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Hansjörg Eberle: "L'Ukraine est probablement le pays le plus miné du monde"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Hansjörg Eberle, confondateur et directeur de la Fondation suisse de déminage
L'invité de La Matinale (vidéo) - Hansjörg Eberle, confondateur et directeur de la Fondation suisse de déminage / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 14 min. / le 16 août 2023
Malgré plusieurs initiatives internationales, les mines antipersonnel font toujours plus de victimes dans le monde. En Ukraine, ce sont des centaines de milliers de ces armes qui auraient déjà été neutralisées depuis le début du conflit. Un chiffre infime face à l'étendue de la contamination du pays, "sans doute le plus miné au monde", selon Hansjörg Eberle.

Les mines sont devenues depuis des décennies un incontournable des conflits armés. La guerre en Ukraine ne fait pas exception. A cela s'ajoutent de très nombreux explosifs "non explosés", des obus qui ne se sont pas déclenchés sur le moment et présentent un risque conséquent.

Cofondateur et directeur de la Fondation suisse de déminage (FSD), une organisation basée à Genève, Hansjörg Eberle estime qu'il est actuellement très probable que l'Ukraine soit le pays "le plus miné au monde".

Active depuis fin 2014 dans le pays, la FSD a vu le nombre de ces armes se démultiplier depuis le début de l'invasion russe. Au total, près de 350'000 mines auraient déjà été neutralisées depuis le début de la guerre. "Nous et plusieurs autres organisations sommes en train de déminer mais tous les jours il y a de nouveaux obus non explosés, de nouvelles mines qui sont posées. Le problème est vraiment très grave", juge celui qui était l'invité de La Matinale mercredi.

Des terrains encore à évaluer

Selon les derniers rapports, 30 à 40% des terres agricoles ukrainiennes ne seraient plus utilisables à cause de la guerre. Pour le directeur de la FSD, ces chiffres restent toutefois encore à analyser.

"Tous ces terrains n'ont pas encore été évalués. J'espère qu'en réalité, les terrains contaminés par les mines soient inférieurs à ce 30%. Mais aujourd'hui, on ne le sait pas encore", admet-il.

Les dangers pour la population civile sont quoi qu'il en soit bien réels. Certains événements, comme l'explosion du barrage hydroélectrique de Kakhovka, ayant même aggravé les choses. "L'explosion a déplacé beaucoup de mines, cela pose un grand problème", ajoute Hansjörg Eberle.

Un déminage humanitaire éloigné du front

La Fondation suisse de déminage ainsi que les autres organisations humanitaires de ce type restent toutefois éloignées du front et des régions frontalières avec la Russie, car il s'agit avant tout d'éviter de "faire partie du conflit", selon les mots du directeur.

"Nous ne sommes pas en train de travailler près de la frontière avec la Russie ou du front. Nous sommes tenus de rester à 30 ou 40 km de ces zones. Nous ne sommes donc pas en zone de guerre", détaille-t-il.

Le déminage sur le front est réservé aux forces militaires. Un déminage qui a d'ailleurs un tout autre rôle.

>> Lire à ce propos : L'armée ukrainienne à l'épreuve des lignes de défense russes

"Le but du déminage militaire est de passer à travers un champs de mines. Actuellement, ce sont les Ukrainiens qui essaient et ils ont des moyens militaires pour le faire, comme des chars capables de pousser la terre (...) ça peut suffire pour un usage militaire, afin de passer, mais c'est inutile en termes d'objectifs civils, puisque pour les civils, il s'agit de déminer une terre à 100% pour qu'elle ne constitue plus un danger", précise Hansjörg Eberle.

En négociations avec la Confédération

Essentiellement active dans la région de Kharkiv (est) et de Tchernihiv (nord), la Fondation suisse de déminage est actuellement en discussion pour étendre son action, soit à Mykolaïv (sud), soit à Kherson (sud).

Mais ce sont surtout les autorités ukrainiennes qui coordonnent le déminage humanitaire. En tout, une dizaine d'organisations de déminage seraient présentes dans le pays.

Quant au financement de la FSD, il provient de différents bailleurs de fonds. Sur un budget de 20 millions de francs pour l'Ukraine, la Confédération a alloué pour l'instant 2,5 millions. Pour le directeur de la Fondation, il faudrait réussir à atteindre un budget de 5 à 7 millions par an pour avoir un véritable impact sur le terrain. Un besoin qui pourrait bientôt se matérialiser.

>> Réécouter le reportage de Tout un monde sur les champs de mines en Ukraine :

Une mine antichar est vue dans le village de Neskuchne, récemment repris par les forces armées ukrainiennes, au milieu de l'attaque de la Russie contre l'Ukraine, près d'une ligne de front dans la région de Donetsk, Ukraine le 8 juillet 2023 [reuters - Sofiia Gatilova]reuters - Sofiia Gatilova
Guerre en Ukraine: les champs de mines / Tout un monde / 2 min. / le 14 août 2023

"Nous sommes en négociations et il y a beaucoup de bonne volonté de la Confédération mais aussi de la DDC (Direction du développement et de la coopération, ndlr) ou encore de l'armée suisse, qui nous soutiennent aussi avec des dons matériels. Je pense qu'on va y arriver", conclut Hansjörg Eberle.

La Fondation suisse de déminage vit également de dons privés, qui représentent environ 10% de son budget. En Suisse romande, ils sont environ 10'000 à donner chaque mois un petit montant.

Propos recueillis par Benjamin Luis

Adapation web: Tristan Hertig

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L'Afghanistan et l'Irak laissés-pour-compte

Hansjörg Eberle observe que, avec la guerre en Ukraine, le financement de l'humanitaire dans d'autres zones dans le besoin est passé au second plan. En ce qui concerne le déminage, il cite l'exemple de l'Irak.

"L'Irak a un énorme problème de mines, où des centaines de milliers d'engins fabriqués artisanalement par Daesh ou Al-Qaïda ont été posés. De nombreux villages ne sont toujours pas habitables, parce qu'ils sont minés", indique-t-il.

"Nous avons malheureusement constaté cette année, après plusieurs années d'efforts, que les ressources financières allouées au déminage en Irak diminuent", se désole-t-il.

"C'est peut-être la conséquence de la guerre en Ukraine. L'attention du monde va vers l'Ukraine. L'argent y afflue, mais n'est plus disponible pour d'autres actions", analyse Hansjörg Eberle.

L'Afghanistan laissé sur la touche

La FSD œuvre depuis plus de 20 ans en Afghanistan. Pour ce pays, le constat est plus dramatique encore en raison du retour des talibans au pouvoir. "Presque aucun gouvernement n'a envie de soutenir les talibans. Cela veut dire que les efforts humanitaires et de développement ont presque tous été gelés", relève Hansjörg Eberle.

"Pour nous, c'est très grave. Nous travaillons dans une région extrêmement isolée, où nous sommes les seuls démineurs. Il n'y a pas d'autre aide qui arrive dans cette région. Nous sommes en train de réfléchir si nous ne devrions pas arrêter les opérations. Parce qu'il n'y a plus d'argent disponible. Tous nos bailleurs de fonds nous ont dit que l'Afghanistan ne les intéressait plus", déplore le directeur de la FSD.

La fin des mines en 2025, "c'est illusoire", selon Hansjörg Eberle

Il y a un peu plus d'une vingtaine d'années, le traité d'Ottawa entendait interdire l'acquisition, la production, le stockage et l'utilisation des mines antipersonnel.

L'année dernière, une conférence de révision du traité se tenait à Genève avec un objectif ambitieux, "un monde sans mine" d'ici 2025.

Pour Hansjörg Eberle, cet objectif est tout à fait "irréaliste" et "illusoire".

Des problèmes de mines dans les pays pauvres

"Les membres signataires ont l'obligation de déminer les terrains sous leur contrôle et une grande partie de ces pays n'y arrivant pas, ils demandent des délais supplémentaires", explique-t-il.

Une réalité qui ne serait pas vraiment le fruit d'une mauvaise volonté. "La plupart des problèmes de mines sont dans des pays pauvres qui n'ont pas les moyens de déminer et dépendent des pays riches qui financent le déminage humanitaire", ajoute-t-il.

Or le déminage humanitaire n'aurait tout simplement pas assez de moyens. "Si on compare le budget du déminage humanitaire avec le budget militaire du monde, les moyens mis à disposition sont dérisoires", conclut-il.