La Géorgie a mis en accusation lundi l'ancien président Donald Trump et 18 autres personnes, dont son ancien chef de cabinet Mark Meadows, pour leurs tentatives présumées illicites d'obtenir l'inversion du résultat de l'élection de 2020 dans cet Etat du sud-est des Etats-Unis, déterminant dans l'issue du scrutin présidentiel. Ils ont jusqu'au 25 août à midi pour se rendre aux autorités volontairement afin d'être formellement arrêtés.
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C'est la quatrième fois en six mois que celui qui a dirigé les Etats-Unis de 2016 à 2020 est inculpé. Deux enquêtes le visent au niveau fédéral: l'une portant sur la gestion des documents secrets de la Maison Blanche, l'autre sur l'attaque du Capitole, le 6 janvier 2021.
Au niveau étatique, Donald Trump était déjà poursuivi par l'Etat de New York pour des versements destinés à acheter le silence de l'actrice porno Stormy Daniels, lors de la campagne de 2016.
Une loi anti-mafia
Deuxième Etat à viser l'ancien président, la Géorgie a eu recours à une loi sur la délinquance en bande organisée (RICO ou "Racketeer Influenced and Corrupt Organization"), utilisée notamment dans la lutte contre les gangs et la mafia.
Personnellement visé par pas moins de treize chefs d'inculpation, plus que dans les autres affaires le touchant, Donald Trump risquerait au moins cinq ans de prison et des amendes allant jusqu'à 250'000 dollars ou trois fois le montant de la valeur pécuniaire qu'il a tirée du stratagème pour interférer dans les résultats des élections, avance le site américain Vox.
Une éventuelle condamnation lors d'un procès, qui n'est pas encore agendé, pose une série de questions auxquelles la Constitution et le droit américain n'offrent pas toutes les réponses.
Plusieurs stratégies
"Les procureurs ont des stratégies différentes et complémentaires, ce que je trouve extrêmement intéressant, et ce qui est aussi extrêmement dangereux pour Donald Trump", relève Anne Deysine, spécialiste des questions juridiques et politiques aux Etats-Unis, dans l'émission de la RTS Forum.
D'un côté, observe-t-elle, le procureur fédéral Jack Smith s'attaque uniquement à Donald Trump, en se basant sur un certain nombre d'articles du code américain "pour être sûr d'avoir de bonnes chances lors du procès que certaines des inculpations soient validées par les membres du jury et qu'il soit reconnu coupable".
De l'autre côté, la procureure géorgienne Fani Willis s'appuie sur un support juridique différent, la loi RICO de l'Etat de Géorgie, qui est une copie de la loi RICO sur le plan fédéral, et qu'elle utilise non seulement contre l'ancien président, mais aussi contre un certain nombre de ses proches ayant travaillé à la Maison Blanche ou dans l'Etat de Géorgie pour notamment fabriquer des listes de grands électeurs.
Une grâce possible?
L'affaire de Géorgie pourrait être d'autant plus explosive pour Donald Trump qu'elle est la seule où l'accusation dispose d'une preuve irréfutable, un "smoking gun" comme on dit en anglais.
A savoir l'enregistrement d'un appel au responsable des élections de Géorgie, le républicain Brad Raffensperger, le 2 janvier 2021, dans lequel on entend Donald Trump le presser de lui trouver 11'780 voix, soit une de plus que son écart avec son adversaire, Joe Biden.
Une condamnation dans un Etat - et non au plan fédéral - aurait en outre ceci de particulier que Donald Trump ne pourrait pas être gracié, voire s'auto-gracier en cas de réélection.
"La grâce présidentielle ne s'applique qu'aux crimes de nature fédérale", confirme Anne Deysine. Et d'ajouter: "Et encore, il n'est pas du tout sûr qu'un président puisse se gracier. Le texte quand on le regarde de près montre bien qu'on gracie quelqu'un d’autre et non soi-même."
Candidature pas compromise
Condamné, en Géorgie ou ailleurs, Donald Trump pourrait en théorie être candidat et même faire campagne depuis la prison. Un précédent existe dans l'histoire des Etats-Unis: le socialiste Eugene Victor Debs s'était présenté en 1920 alors qu'il était emprisonné. Il avait obtenu environ 3% des voix.
Le cas de figure ne s'est cependant jamais présenté pour un grand parti, rappelle le New York Times. "S'il serait logistiquement difficile de se présenter à la présidence depuis une prison, le personnel de campagne de Trump pourrait gérer la collecte de fonds et d'autres activités de campagne en son absence", écrit-il.
Une condamnation n'empêcherait en tout cas pas l'ancien président de concourir à nouveau. La Constitution américaine fixe en effet très peu de critères d'éligibilité pour les présidents. Ils doivent être âgés d'au moins 35 ans, être des citoyens "de naissance" et vivre aux Etats-Unis depuis au moins quatorze ans.
Aucune limitation basée sur le caractère ou le casier judiciaire n'est prévue, contrairement à ce qui est en vigueur dans de nombreux Etats, qui interdisent aux criminels de se présenter.
Appels à une disqualification
De nombreux critiques de Donald Trump et certains juristes, dont récemment deux professeurs de droit conservateurs, appellent néanmoins à ce qu'il soit disqualifié en vertu de l'article 3 du 14e amendement qui vise toute personne qui "s'est engagée dans une insurrection ou une rébellion" après avoir prêté serment de soutenir la Constitution.
"Si toutes les infractions reprochées à Donald Trump sont extrêmement graves, la plus grave pour laquelle il a été inculpé jusqu'ici, à mon avis, est celle de l'assaut du Capitole", commente l'avocate Anna Vladau, dans le 19h30 de la RTS. "S'il venait à être condamné, mais la route est encore longue, cela pourrait lui barrer la route pour devenir président des Etats-Unis une nouvelle fois", estime-t-elle.
Une condamnation ne déclencherait toutefois pas l'annulation de sa candidature, précise le New York Times. Il faudrait que les administrateurs électoraux invoquent le 14e amendement pour le retirer des bulletins de vote, ce qui pourrait d'ailleurs avoir lieu avec ou sans condamnation, mais que le quotidien américain semble juger peu probable.
Bataille juridique
Si Donald Trump devait être élu alors qu'il est en prison, il pourrait en théorie être déchu de son autorité en vertu du 25e amendement, qui prévoit un processus de transfert de son autorité au vice-président ou à la vice-présidente. En pratique, il pourrait aussi réclamer de sortir de prison pour exercer son mandat. Les deux cas de figure donneraient lieu à une bataille juridique inédite.
De même, si Donald Trump devait être élu alors que les affaires qui le visent sont encore en cours, personne ne sait très bien ce qu'il se passerait. Sur le plan fédéral, l'hypothèse la plus probable serait qu'un procureur général nommé par Donald Trump lui-même retirerait les accusations, estime le New York Times. Le doute plane sur ce qu'il en serait pour les dossiers ouverts à New York et en Géorgie.
Une issue politique?
Mais au lendemain de cette quatrième inculpation, un autre scénario, moins juridique et plus politique, se dessine. Car pour être réélu, encore faut-il que Donald Trump remporte la primaire républicaine, puis qu'il batte son adversaire démocrate. Or, même si cela ne se reflète pas pour l'instant dans les sondages, de plus en plus de voix s'élèvent côté républicain pour protester contre une candidature de l'ancien président.
Le gouverneur adjoint de la Géorgie, le républicain Geoff Duncan, qui a témoigné contre Donald Trump dans le cadre de l'enquête, en fait partie. "Les républicains vont devoir se rendre à l'évidence que l'élection n'était pas truquée et que Donald Trump était le pire candidat de l'histoire de notre parti. Si nous voulons gagner, cela devra être avec quelqu'un d'autre", a-t-il déclaré.
L'Etat de 11 millions d'habitants, traditionnellement acquis aux conservateurs, a basculé dans le camp démocrate en 2020. La tendance s'est confirmée lors des élections de mi-mandat, quand la Géorgie a réélu le démocrate Raphael Warnock au Sénat. Or, s'ils veulent retrouver la Maison Blanche, les républicains pourront difficilement se passer de la Géorgie en 2024.
Juliette Galeazzi