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En Haïti, "la souffrance du peuple n'est pas toujours comprise ou entendue"

En Haïti, "la souffrance du peuple n'est pas toujours comprise ou entendue", estime le directeur de la section haïtienne du Programme alimentaire mondial (PAM) Jean-Martin Bauer. [AFP - Richard Pierrin]
Le bilan de la situation en Haïti: interview de Jean-Martin Bauer / Tout un monde / 6 min. / le 23 août 2023
Haïti connaît un regain de violence sans précédent depuis le début de l'année. Face à une situation sécuritaire et alimentaire "extrêmement préoccupante", le directeur du Programme alimentaire mondial dans le pays Jean-Martin Bauer a plaidé dans Tout un monde pour un plus grand soutien.

Au milieu des crises politiques, sécuritaires et économiques, la crise humanitaire s'aggrave en Haïti. Selon Jean-Martin Bauer, directeur de la section haïtienne du Programme alimentaire mondial (PAM), il y a urgence: "La situation sécuritaire [dans le pays] est extrêmement préoccupante. La violence touche non seulement la capitale Port-au-Prince, mais aussi la province. La population vit dans la terreur et l'angoisse", relate-t-il mercredi dans l'émission Tout un monde.

Le responsable avertit également de l'inquiétude de ses collègues de l'agence d'aide alimentaire de l'ONU sur place, qui craignent d'envoyer leurs enfants à l'école, d'aller ou travail ou "simplement d'entrer dans leur voiture et d'affronter la circulation tous les jours par peur d'être kidnappés". Cette année, les gangs qui contrôlent plusieurs zones du pays ont provoqué la mort de plus de 2400 personnes en quelques mois.

>> Lire à ce sujet : Les violences des gangs en Haïti ont fait plus de 2400 morts depuis le début de l'année

La sécurité alimentaire menacée

Cette insécurité s'étend désormais dans les zones rurales et affecte directement la sécurité alimentaire. Dans le département de l'Artibonite, panier alimentaire d'Haïti, les groupes armés se sont installés dans cinq communes et leurs actions "sapent les fondements du système alimentaire haïtien", rapporte Jean-Martin Bauer.

Nous sommes dans la crise humanitaire la plus sévère en Haïti depuis le tremblement de terre en 2010. Ce n'est pas la crise habituelle, c'est quelque chose de beaucoup plus grave

Jean-Martin Bauer, directeur de la section haïtienne du Programme alimentaire mondial de l'ONU

"Les agriculteurs ont peur d'être kidnappés, d'aller vendre leurs produits au marché, de cultiver le riz et les autres produits essentiels qui font vivre le pays. L'action des gangs a été tellement pernicieuse qu'il y a des personnes assises sur des montagnes de nourriture qu'elles n'arrivent pas à vendre, parce qu'il est trop difficile d'envoyer un camion pour évacuer les produits vers les marchés."

A cette instabilité générale, s'ajoutent les affres du changement climatique. Outre les conséquences sur la santé des populations précaires, l'augmentation des épisodes météorologiques violents fragilise encore davantage l'agriculture.

Réduction du programme d'aide

Selon le plan de réponse humanitaire de l'ONU, il faudrait cette année aider financièrement Haïti à hauteur de quelque 720 millions de dollars. Mais l'objectif est encore très loin d'être atteint, alors que les grands donateurs, les Etats et les privés se détournent du pays. "Nous sommes à environ 20% de financement obtenu depuis le début de l'année, c'est largement insuffisant", souligne Jean-Martin Bauer, qui appelle à la solidarité et aux donations.

"Nous sommes dans la crise humanitaire la plus sévère depuis le tremblement de terre en 2010. Ce n'est pas la crise habituelle, c'est quelque chose de beaucoup plus grave", insiste le directeur.

Ce sous-financement a contraint le PAM à réduire son programme d'aide alimentaire en Haïti de 25% le mois dernier. Et la situation ne s'arrange pas: en août, ce programme a encore été réduit. Il couvre désormais moins de la moitié des besoins, précise Jean-Martin Bauer. "Malheureusement, nous n'avons pas été entendus par nos partenaires. Le résultat est que les volumes d'assistance qui atteignent la population haïtienne ont réduit."

Le travail n'est jamais facile en Haïti et on a besoin de tout le soutien que l'on peut attendre de nos amis

Jean-Martin Bauer, directeur de la section haïtienne du Programme alimentaire mondial de l'ONU

Du soutien demandé

Le manque de financement entraîne inévitablement l'arrêt d'une partie de la distribution alimentaire, avec la lourde responsabilité de choisir "entre ceux qui recevront de l'aide et ceux qui n'en recevront pas". "Je me rends compte que la souffrance du peuple haïtien n'est pas toujours comprise ou entendue, dans un contexte où il y a un grand nombre de crises et où les opinions publiques se tournent peut-être davantage vers l'intérieur que par le passé", constate Jean-Martin Bauer.

"Personnellement, cela m'encourage aussi à faire beaucoup plus pour qu'on ne lâche pas. Le travail n'est jamais facile en Haïti et on a besoin de tout le soutien que l'on peut attendre de nos amis", ajoute le responsable, qui dit par ailleurs espérer pouvoir continuer la bonne collaboration avec la Suisse.

Aux Nations unies, le secrétaire général de l'organisation Antonio Guterres a encore récemment rappelé l'urgence d'un déploiement en Haïti d'une force multinationale de "police" et de "militaires" pour lutter contre les gangs armés. Il revient maintenant au Conseil de sécurité de se prononcer.

>> Lire aussi : Le secrétaire général de l'ONU plaide pour un soutien international à Haïti

Sujet radio: Benjamin Luis

Adaptation web: iar

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