L'histoire avait débuté sur une toute autre note: Andrés Manuel López Obrador s'était fait élire à la présidence du Mexique en 2018 sur la promesse de renvoyer les militaires dans leurs casernes, alors que les gouvernements précédents avaient déployé l'armée à travers le pays pour lutter contre les cartels.
Une fois élu, le président a fait marche arrière en créant une nouvelle institution militaire pour remplacer la police - la Garde nationale - et en faisant inscrire dans la Constitution la tâche d'assurer la sécurité publique confiée par les forces armées.
"La société se sent davantage en sécurité et mieux protégée lorsque cette mission est confiée à l'armée. Les gens perçoivent les soldats comme le peuple en uniforme. Cette réforme a permis de garantir la paix et la tranquillité à travers le Mexique", a justifié Andrés Manuel López Obrador dans un récent discours.
Or, loin de cette vision flatteuse de l'armée, le bilan des homicides depuis le début du mandat du président reflète une autre réalité: leur nombre s'est maintenu au-dessus des 30'000 chaque année et les opérations des cartels de la drogue ont prospéré.
Une armée "incorruptible"
La confiance manifestée par le président mexicain aux militaires en matière de sécurité s'étend à d'autres domaines. Progressivement, Andrés Manuel López Obrador leur a confié le contrôle des ports maritimes et des douanes pour des raisons de "sécurité nationale", puis la construction d'une quinzaine d'aéroports et de certains tronçons du train Maya, un coûteux projet de ligne ferroviaire controversé dans le sud-est du pays.
A l'inverse du reste de l'Amérique latine, où le pouvoir des forces armées est limité depuis que les dictatures militaires sont tombées, le Mexique considère l'armée comme la seule institution incorruptible, analyse Ramón Centeno, chercheur en sciences politiques de l'Université de Sonora.
"Selon le président, le néolibéralisme a perverti toutes les institutions de l'Etat mexicain, sauf l'armée. Dans sa vision, c'est l'une des seules, voire la seule institution qui s'est maintenue inaltérée", précise le chercheur dans l'émission Tout un monde de la RTS.
Le risque d'une force indépendante
Andrés Manuel López Obrador a petit à petit développé une fascination pour les militaires et leur confie désormais un rôle dans tous ses projets d'infrastructures.
L'armée est ainsi devenue une sorte de grande corporation, qui chapeaute plusieurs entreprises et gère des bénéfices. Au risque, selon Cristina Reyes, avocate au sein de l'organisation "Mexique uni contre le crime", qu'elle ne veuille plus céder le contrôle sur ces activités.
"En octroyant aux militaires de nouvelles fonctions, et surtout des entreprises qui leur permettent de générer leurs propres gains, on installe une force de plus en plus autonome et indépendante. Et cela n’est pas réversible. Les instances civiles ne pourront pas leur réclamer de comptes, il n'y aura pas moyen de leur ôter facilement ces pouvoirs."
Une garantie de postérité
Le pouvoir confié à l'armée permet au gouvernement d'avancer rapidement sur certains projets estimés comme vitaux par le président, alors que des groupes écologistes s'opposent aux chantiers du train Maya et des aéroports.
Andrés Manuel López Obrador souhaite que ces grandes infrastructures soient conclues à la fin de son mandat dans un an et opte donc pour la militarisation, relève Ramón Centeno. "Il a une ambition très claire: il veut passer à la postérité et utilise l'armée pour cela. Il classe ses grands projets comme des activités de sécurité nationale, cela permet de garantir leur exécution, malgré les mouvements de contestation."
Par ailleurs, le discours des républicains aux Etats-Unis, qui prônent une intervention armée au Mexique pour attaquer les cartels, renforce la vision du président mexicain d'une armée puissante et capable de défendre la souveraineté nationale et le territoire en cas d’intervention étrangère.
Emmanuelle Steels/iar