Mort d'Evguéni Prigojine: Vladimir Poutine salue un homme "talentueux" qui a commis des "erreurs"
"C'était un homme au destin compliqué, qui a commis de graves erreurs dans sa vie, mais qui obtenait les résultats qu'il fallait", a déclaré Vladimir Poutine lors d'une réunion retransmise à la télévision, présentant ses condoléances aux proches des victimes du crash.
"Il s'agit de personnes qui ont apporté une contribution significative à notre effort commun" en Ukraine, où la Russie mène une offensive militaire depuis février 2022, a poursuivi le président russe.
Une enquête lancée
Evoquant l'enquête sur les causes du crash lancée par les autorités russes, le président a promis de la "mener dans son intégralité et d'aboutir à une conclusion".
"Nous verrons ce que les enquêteurs diront dans un avenir proche. L'expertise est en cours, une expertise technique et génétique. Cela prendra un certain temps", a encore dit Vladimir Poutine.
Les autorités russes n'ont jusqu'à présent avancé aucune piste pour expliquer le crash mercredi en début de soirée du jet privé qui transportait selon l'aviation civile russe Evguéni Prigojine, son bras droit Dmitri Outkine et d'autres responsables de Wagner.
L'appareil, un jet privé Embraer Legacy, s'est écrasé dans la région de Tver. L'agence russe du transport aérien Rossaviatsia a confirmé qu'Evguéni Prigojine se trouvait à bord de l'avion effectuant une liaison de Moscou à Saint-Pétersbourg. Tous les occupants sont morts.
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Le caractère vraisemblable d'un tir de missile
Des vidéos, dont l'authenticité n'a pas pu être confirmée de manière indépendante, ont été diffusées sur plusieurs chaînes Telegram se disant liées à Wagner, montrant des débris en feu dans un champ ou encore un appareil tombant du ciel.
"L'Embraer Legacy d'Evguéni Prigojine est assez moderne et récent. Les images montrent qu'il aurait perdu une aile, ce qui peut laisser penser au caractère vraisemblable de l'accusation d'un tir de missile. Mais à ce stade, nous n'avons aucune certitude", explique l'historien militaire Cédric Mas, jeudi dans La Matinale.
Un avis partagé par le Pentagone. Rien n'indique qu'un missile sol-air a abattu l'avion transportant le patron du groupe paramilitaire russe Wagner Evguéni Prigojine, a-t-il affirmé jeudi.
L'armée américaine ne dispose "d'aucune information indiquant qu'un missile sol-air" était impliqué dans le crash qui a tué Evguéni Prigojine.
Propagande et fausses informations
Pour Cédric Mas, cette annonce par l'aviation civile russe est à prendre avec des pincettes. "C'est un service officiel d'une dictature, et pas n'importe laquelle, la Russie, qui sait largement manipuler la propagande et les fausses informations", souligne-t-il.
"Pour l'instant, nous n'avons pas de certitude, à part les déclarations officielles russes, que Prigojine ferait partie des victimes. A ma connaissance, ils n'ont découvert que huit corps sur les dix enregistrés par l'aviation civile", relève Cédric Mas.
Ce dernier s'interroge par ailleurs sur le départ au même moment d'un deuxième jet Embraer Legacy 600: "Il appartenait aussi à la compagnie Wagner et volait en même temps que l'autre appareil. Il a rebroussé chemin et s'est posé à Saint-Petersbourg. Donc, qui était dans cet avion? Il faut rester prudent, même si la réaction des membres de Wagner montre qu'ils sont convaincus que leur chef a été tué."
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Un pouvoir russe fragilisé
L'expert français rappelle également qu'Evguéni Prigojine avait déjà été annoncé mort en Afrique il y a quelques années dans un accident d'avion. Si le patron de Wagner devait encore être en vie, quel serait l'intérêt pour la Russie de confirmer son décès?
"Nous sommes dans de la conjecture et il faut attendre des preuves incontestables de sa mort, mais ça serait un moyen de conserver la vie sauve, tout en sauvant la face d'un régime qui s'est fait connaître par sa capacité à éliminer de manière violente un certain nombre d'opposants", imagine Cédric Mas.
Il est évident que ce qui s'est passé fin juin a ébranlé fortement la solidité du régime
Pour l'historien militaire, l'assassinat d'Evguéni Prigojine est aussi une des "hypothèses vraisemblables". "Il est évident que ce qui s'est passé fin juin a ébranlé fortement la solidité du régime. Sa fragilité est apparue. Un des enjeux pour le régime de Vladimir Poutine est de continuer à faire croire au peuple russe qu'il est fort et qu'il peut le protéger d'un nouvel effondrement."
Et Cédric Mas de poursuivre: "Le régime a montré une énorme fragilité, tout comme les attaques de drones ukrainiens sur Moscou, qui démontrent aussi la faiblesse de la défense antiaérienne russe, laquelle n'est manifestement efficace que contre les appareils civils."
Victoire du clan Choïgu-Guérassimov
L'accident qui aurait coûté la vie à Evguéni Prigojine arrive le même jour que la destitution du général russe Sergueï Sourovikine, considéré comme l'un de ses proches, et qui a disparu des radars dès le début de la tentative de coup de force de Wagner.
"Sergueï Sourovikine est moins un proche de Prigojine qu'un des éléments centraux du clan qui s'oppose au clan Choïgou-Guérassimov dans la conduite de la guerre en Ukraine. Cela montre que le clan qui soutenait Wagner, constitué de généraux de l'aviation et des forces spéciales, ont perdu dans l'esprit de Poutine, contre Choïgou-Guérassimov", conclut finalement Cédric Mas.
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Sujet radio: Valérie Hauert
Adaptation web: Jérémie Favre/lan avec afp
La communauté internationale réagit, entre doutes et ironie
Le porte-parole du gouvernement français Olivier Véran a estimé jeudi qu'existaient "des doutes raisonnables" sur "les conditions" du crash aérien dans lequel le patron du groupe paramilitaire Wagner Evguéni Prigojine, à l'origine d'une rébellion en juin en Russie, est présumé mort.
Alors que le président américain Joe Biden a relevé mercredi que "peu de choses se passent en Russie sans que Poutine n'y soit pour quelque chose", Olivier Véran, interrogé sur France 2, a abondé: "C'est par principe une vérité qu'on peut établir."
La ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna a de son côté réagi avec ironie en notant que "le taux de mortalité parmi les proches de Poutine est particulièrement élevé". "C'est une activité à risque", a-t-elle encre déclaré.
La cheffe allemande de la diplomatie Annalena Baerbock a estimé pour sa part que ce n'était "pas un hasard" que tout le monde soupçonne le Kremlin d'être derrière la mort présumée d'Evguéni Prigojine.
"Ce n'est pas un hasard que le monde entier regarde maintenant vers le Kremlin quand un ex-proche de Poutine en disgrâce tombe littéralement subitement du ciel deux mois après avoir tenté une rébellion", a-t-elle déclaré, soulignant un système dictatorial en Russie "basé sur la violence en interne et à l'extérieur".