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Au Caire, un chantier routier menace la plus grande nécropole du Moyen-Orient

La construction d'une route à travers la Cité des morts, au Caire, menace ce patrimoine classé au patrimoine mondial de l'humanité de l'UNESCO. [Keystone - AP Photo/Nariman El-Mofty]
Reportage au Caire, prêt à sacrifier la plus grande nécropole du Moyen-Orient pour une route / Tout un monde / 4 min. / le 25 août 2023
La plus grande nécropole du Moyen-Orient va-t-elle disparaître? Au Caire, une partie de la "Cité des morts" est menacée de destruction pour faire place à un pont routier censé relier le centre-ville à la nouvelle capitale administrative de l'Egypte, dont la construction est en cours en plein désert.

Des tombes vieilles de plus de 1000 ans sont menacées par les démolitions. Engagées en 2020, les destructions ont été interrompues à plusieurs reprises. Mais elles vont à nouveau reprendre. Les bulldozers sont de retour depuis quelques jours.

Les habitants des lieux, souvent très pauvres et venus s'installer ici dès le siècle dernier comme gardiens ou juste pour fuir la hausse des prix en ville, craignent de leur côté d'être expulsés. Des citoyens tentent d'alerter et de documenter les destructions sur ce site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO.

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Le caveau de Mohamed Fadel Bacha, un dignitaire égyptien du début du XIXe siècle, est emblématique de l'épée de Damoclès qui pèse sur cet endroit. Pour le trouver, il faut se faufiler dans le dédale des rues de la grande nécropole du Caire. Le bâtiment impressionne par la finesse de ses décorations et son dôme, typique de l'architecture islamique.

"Mohamed Fadel Bacha était le gouverneur de Minya, une place en Haute-Égypte, pendant 20 ans. Et c'était un relatif de la famille royale", explique Mostafa El Sadek dans Tout Un Monde.

Des ouvriers construisent un pont dans la Cité des morts au Caire, le 21 juillet 2020. [Keystone - Khaled Elfiqi/EPA]
Des ouvriers construisent un pont dans la Cité des morts au Caire, le 21 juillet 2020. [Keystone - Khaled Elfiqi/EPA]

Un lieu de sépulture millénaire

Passionné d'histoire, ce médecin de 62 ans arpente depuis presque dix ans les quelque 1000 hectares de cimetières qui ceinturent la vieille ville du Caire et regorgent de tombeaux comme celui-ci.

"Cela a été fait comme un cimetière dès que l'Islam est entré en Égypte. C'est-à-dire il y a 1400 ans", relève-t-il.

Personnalités politiques ou religieuses, artistes ou encore simples citoyens: des milliers d'Égyptiens sont enterrés dans ce complexe funéraire qu'on dit le plus vieux du monde musulman. Mais une partie de celui-ci est aujourd'hui menacée de démolition pour faire place à l'imposant aménagement routier. C'est le cas du caveau de Mohamed Fadel Bacha.

De la peinture pour annoncer la destruction

Sur la façade, une marque noire a récemment été apposée à la bombe de peinture et un document y est placardé en deux exemplaires.

"C'est le signe qu'ils vont le détruire", indique Mostafa El Sadek. "Il n'y a pas de plan pour nous dire ce qui va être enlevé ou non. Ce sont des choses qu'on retrouve écrites sur place."

Le médecin précise ce qui est affiché sur les portes du caveau: "Le propriétaire de cet endroit a fait un procès contre le Premier ministre, le gouverneur d'Égypte et le ministère des Antiquités. S'ils veulent détruire, ils ne peuvent pas, car il y a un procès", note-t-il. Il faudra donc attendre jusqu'au jugement.

La phrase "Nous allons détruire" est écrite sur un bâtiment du cimetière de l'imam Al-Shafi’i, le 2 juin 2023, dans la Cité des morts du Caire. [Reuters - Hadeer Mahmoud]
La phrase "Nous allons détruire" est écrite sur un bâtiment du cimetière de l'imam Al-Shafi’i, le 2 juin 2023, dans la Cité des morts du Caire. [Reuters - Hadeer Mahmoud]

"Un musée à ciel ouvert"

Depuis 2020, le site voit régulièrement débarquer des hordes de bulldozers venus raser des tombeaux entiers, sans se préoccuper des vestiges qu'ils abritent.

Pour alerter sur la situation, le photographe amateur Ibrahim Tayei publie des clichés de ce patrimoine sur une page Facebook suivie aujourd'hui par plus de 8000 personnes.

"Depuis trois ou quatre ans, il y a un vrai intérêt de la population pour les cimetières", raconte Ibrahim Tayei. "Ce sont des sources de documentation très importantes. C'est souvent la source principale des chercheurs, des écrivains ou des universitaires. C'est comme un musée à ciel ouvert!"

Un sujet sensible

Mais à l'image de Mostafa Elsadek, il ne se revendique pas activiste ou même lanceur d'alerte, car le sujet est très sensible en Égypte. Sur place, les habitants du quartier refusent de s'exprimer par crainte des représailles de la police, qui quadrille le secteur.

"Notre rôle, c'est de documenter", souligne Ibrahim Tayei. "Je veux préciser que nous ne sommes pas contre les projets de construction ou de développement de l'État. Je pense que les cimetières sont notre mémoire, notre héritage. C'est de l'art. Ici, c'est un lieu qui a plus de 1200 ou 1300 ans. On veut qu'il reste encore longtemps", plaide-t-il.

Le cimetière de l'imam Al-Shafi’i et ses bâtiments détruits, le 31 mai 2023, dans la Cité des morts, au Caire. [Reuters - Hadeer Mahmoud]
Le cimetière de l'imam Al-Shafi’i et ses bâtiments détruits, le 31 mai 2023, dans la Cité des morts, au Caire. [Reuters - Hadeer Mahmoud]

Venu visiter la zone il y a quinze jours, le Premier ministre égyptien Moustafa Madbouli a nié les accusations de démolitions. Le dirigeant affirme toutefois la nécessité de déplacer les tombes en raison de l'insalubrité des lieux. Le gouvernement assure vouloir y installer des routes et des jardins, pour le bien des habitants du quartier.

Reportage radio: Martin Dumas Primbault

Adaptation web: ami

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