Vienne est un nid d'espions, un rôle qui n'a rien de nouveau pour la capitale autrichienne. Il s'agit d'une vieille tradition remontant au début du XXe siècle, qui a pris de l'importance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui a atteint son apogée lors de la Guerre froide.
L'Autriche, pays neutre non-membre de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan), a en effet une position géographique stratégique, au centre de l'Europe. Le pays accueille en outre de grandes institutions internationales comme l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Alors que la guerre fait rage en Ukraine, l'espionnage russe y serait particulièrement actif. Le journaliste bulgare Christo Grozev, qui est l'un des enquêteurs principaux du site d'investigation Bellingcat et qui est recherché par Moscou, a été contraint au début de l'année de quitter l'Autriche - un pays dans lequel il vivait depuis près de vingt ans - car sa sécurité n'y était plus assurée.
Des diplomates sous couverture
Selon plusieurs experts interrogés par la RTS, environ 180 diplomates russes seraient actuellement accrédités à Vienne dont un tiers, au moins, travailleraient pour les services secrets russes. En plus, il y aurait des espions "illégaux", des agents sous couverture non-officielle. Il est toutefois difficile d'avoir un chiffre précis.
Le plus grand avantage que la Russie retire à Vienne concerne la surveillance d'origine électromagnétique
Vienne n'est évidemment pas la seule ville où l'espionnage russe joue un rôle important. Genève et Bruxelles sont également régulièrement citées.
"Le plus grand avantage que la Russie retire à Vienne concerne la surveillance d'origine électromagnétique", analyse Thomas Riegler, historien et spécialiste des services secrets, dans l'émission Tout un monde de la RTS. "De grandes antennes paraboliques sont installées sur les toits des représentations russes et à l'aide de ces antennes, les communications militaires qui passent par les satellites sont interceptées."
Et d'ajouter: "Si l'on compare à d'autres villes européennes où des installations similaires ont été mises en place, Vienne apparaît tout simplement comme la station la plus importante. En outre, dans plusieurs autres villes européennes, ces stations ont été rendues inutiles par l'expulsion ciblée du personnel technique. Vienne, elle, remplit toujours cette fonction importante de lieu où l'on peut capter des données."
Seuls quatre espions russes expulsés
Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, les pays européens ont expulsé de leur sol plus de 400 espions russes sous couverture diplomatique. A titre de comparaison, l'Autriche n'en a expulsé que quatre.
En Autriche, l'espionnage est légal tant qu'il n'est pas dirigé contre le pays lui-même. Il n'est donc pas punissable lorsqu'il se fait au détriment d'un Etat étranger ou d'une organisation internationale, une législation jugée "laxiste" par certains experts.
"C'est une question politique pour l'Autriche: soit elle souhaite maintenir sa tradition historique - laisser vivre tous les espions - au nom de la neutralité, soit elle adapte la loi en raison de la situation géopolitique actuelle", estime Adrian Hänni, historien et collaborateur au Centre autrichien d'études sur le renseignement, la propagande et la sécurité.
Un durcissement de la loi demandé
Le parti d'opposition NEOS a présenté en juin dernier une proposition au Parlement demandant que l'espionnage au détriment d'autres Etats et d'organisations internationales devienne également punissable.
Mais cette proposition a été ajournée. Le parti conservateur, qui dirige le pays au sein d'une coalition avec les Verts, a justifié sa décision en expliquant que les discussions interministérielles étaient toujours en cours. Mais certains en Autriche doutent que ce sujet soit actuellement une priorité du gouvernement.
Les services de renseignement autrichiens avaient déjà mauvaise réputation depuis 2018 et plusieurs scandales, notamment lorsque le FPÖ, le parti d'extrême droite pro-russe, était au pouvoir.
Mais une réforme importante a depuis été menée et les relations entre les services autrichiens et leurs alliés se seraient apaisées. Le fait que l'Autriche soit une base importante pour l'espionnage russe a toutefois des conséquences, selon Adrian Hänni, certaines informations concernant la Russie ne seraient, par exemple, pas partagées avec les services autrichiens.
Isaure Hiace/vajo