Des troupes ukrainiennes ont franchi "la ligne Sourovikine", 1ère ceinture de défense du dispositif russe
Depuis le milieu du mois d'août, certaines critiques ont émergé dans le camp occidental concernant l'offensive ukrainienne dans le sud du pays. S'exprimant dans le New York Times, des officiels américains ayant requis l'anonymat ont expliqué que les troupes ukrainiennes étaient "trop dispersées" pour réussir une avancée franche.
Pour ces responsables, l'objectif principal de cette offensive, qui est de couper les lignes d'approvisionnement russes dans le sud du pays en sectionnant le "pont terrestre" entre la Russie continentale et la péninsule de Crimée, ne peut pas être atteint tant que les troupes ukrainiennes sont équitablement réparties entre le front sud et le front est.
Le 15 août dernier, une réunion entre certains des plus hauts dirigeants de l'Otan et le général Valeri Zaloujny, commandant en chef des forces armées ukrainiennes, s'est tenue à ce sujet dans un endroit secret à la frontière ukraino-polonaise. Une rencontre à laquelle participaient notamment le général américain Christopher G. Cavoli, commandant suprême des forces alliées en Europe, et l'amiral Sir Antony David Radakin, chef d'État-Major de la Défense britannique, et qui portait sur la stratégie à adopter pour cette offensive.
Après Robotyne, la première ligne de défense traversée
S'il reste difficile de penser que cette rencontre porte déjà ses fruits, force est de constater que certaines avancées ont depuis été effectuées. Lundi, l'armée ukrainienne a ainsi annoncé la libération du village de Robotyne, dans l'oblast de Zaporijjia, après des semaines de bataille.
Cette prise a semblé rebooster le moral des troupes et des dirigeants ukrainiens, Dmytro Kouleba, ministre des Affaires étrangères, allant jusqu'à dire qu'elle "ouvrait la voie à l'offensive vers le sud occupé et la Crimée annexée". Mais le petit village de 500 habitants n'en restait pas moins en amont de la première ligne principale de fortifications érigée par les Russes, qu'on surnomme "la ligne Sourovikine", du nom de l'ancien commandant en chef des forces aérospatiales russes, tombé depuis en disgrâce.
Deux jours plus tard pourtant, des soldats ukrainiens ont bien été localisés derrière cette ligne, en direction du village de Verbove (oblast de Zaporijjia) à l'est de Robotyne, une première depuis le début de l'offensive. Pour l'analyste finlandais Emil Kastehelmi, il est toutefois encore trop tôt pour savoir si cette "percée" est significative ou s'il s'agit uniquement d'opérations de reconnaissance de la part des forces ukrainiennes.
Trois jours avant cette annonce, l'expert avait toutefois mis en évidence les fragilités de cette zone dans le dispositif défensif russe. "La ligne de défense à l'ouest de Verbove est dans un état bien pire (que la portion en direction de la ville de Tokmak, ndlr) (...) début août, aucun travail de préparation pour la finalisation de ces tranchées n'avait commencé. Fin août, les images ne montrent pratiquement aucun signe d'amélioration des tranchées", jugeait-il dans un message publié sur "X" (anciennement Twitter).
Prudent, l'expert se garde de parler de "véritable avancée", jugeant les progrès encore "locaux" et rappelant qu'il n'y a pas eu jusqu'à présent "un effondrement rapide des forces russes". Il ajoute que Verbove pourrait constituer un nouvel obstacle difficile de par sa topographie. Le village est en effet bâti dans une vallée et les Russes continuent à contrôler les hauteurs, des deux côtés.
Objectif Tokmap, puis Melitopol?
Si la voie est donc encore loin d'être ouverte pour une percée massive des forces ukrainiennes, les deux succès récents que représentent la prise de Robotyne et le franchissement de la première ligne de défense russe permettent un regain d'optimisme pour Kiev.
La ville de Tokmak n'est désormais qu'à une vingtaine de kilomètres. Sa prise serait un véritable succès pour les Ukrainiens, car elle est un noeud routier et ferroviaire stratégique pour les forces russes. Cinquante kilomètres plus au sud, c'est ensuite la ville de Melitopol qui se dresserait devant les troupes ukrainiennes. Si elle semble pour le moment encore complètement inatteignable, sa reconquête signifierait la véritable coupure en deux des territoires annexés par Moscou.
Le chemin semble encore long car les Russes continuent à résister et tous les rapports évoquent des lignes de défenses globalement solides, des tranchées profondes, des mines toujours plus nombreuses et des fortifications qui continuent à être érigées alors que l'Ukraine tente de pousser vers le sud, ce qui fait craindre de nouvelles pertes importantes pour Kiev.
Mais dans le même temps, les armes occidentales à plus longue portée livrées à l'Ukraine prouvent chaque jour leur efficacité. Canons français Caesars, lance-roquettes américains Himars ou encore missiles de croisière britanniques Storm Shadow permettent d'atteindre des positions russes situées bien au-delà de la ligne de front. Ces dernières semaines, les forces ukrainiennes ont focalisé les tirs sur des positions d'artillerie russe ou encore des dépôts de munitions, dans l'espoir de voir le feu adverse diminuer suffisamment pour permettre des avancées.
Un danger sur le front du nord-est
Si l'offensive ukrainienne vise avant tout le sud, l'armée doit toutefois gérer un front qui s'étend sur plus de 1000 kilomètres. Or au moment où des succès sont enfin visibles dans l'oblast de Zaporijjia, un danger est perceptible au nord-est.
En effet, dans l'oblast de Kharkiv, ce sont les Russes qui ont connu des avancées au cours des dernières semaines et qui se rapprochent dangereusement de la ville de Koupiansk. Moscou aurait déployé près de 100'000 hommes dans la région et plusieurs localités ont déjà ordonné depuis plusieurs jours des évacuations de civils.
La crainte pour certains experts est donc que Kiev doive à un moment ou un autre détourner des hommes et du matériel du front sud vers le nord-est pour parer à une avancée russe. Ce qui retarderait encore une fois sensiblement l'offensive en cours.
Tristan Hertig