Le "Sud Global" désigne à sa base les pays qui autrefois étaient dits "du Tiers-monde", des Etats qui se voient comme les principales victimes de la mondialisation et qui refusent la plupart du temps de s'aligner sur l'une ou l'autre des puissances occidentales.
Au cours des dernières années, ce "club" hétéroclite a pris de l'importance. Démographiquement d'abord, puisqu'il représente désormais près de 85% de la population mondiale, un chiffre amené à augmenter encore. Economiquement ensuite, car sa place ne cesse de se développer, au détriment de l'Occident, dont la part dans le PIB mondial était de 56% en 2000 pour moins de 40% aujourd'hui.
Des pays divergents avec un objectif commun
Les pays du Sud Global n'en sont pas moins des Etats parfois très différents, avec des intérêts qui peuvent varier sensiblement au point d'entrer en conflit.
L'ambition collective de ces pays est de peser davantage dans la définition des règles internationales
Pourtant, il existe bien un objectif commun. C'est en tout cas l'avis de Gilles Yabi, fondateur et directeur du think tank africain WATHI. "Le dénominateur commun, c'est peut-être l'ambition collective de ces pays de peser davantage dans la définition des règles internationales et cela dans tous les domaines: de la paix et de la sécurité, du commerce international ou encore de l'économie de manière générale", développe-t-il jeudi dans l'émission Tout un monde.
Un contrepoids à l'Occident?
Alors que les règles internationales sont encore souvent façonnées par des pays occidentaux, peut-on dire que le Sud Global est un nouveau front anti-occidental?
Le ressentiment est plus émotif que stratégique. Il y a une positivité, une volonté de construire un ordre international inclusif
Les experts divergent sur la réponse à apporter à cette question mais tous admettent que cela ne se limite pas à cet aspect. "Quand on entend la rhétorique qui vient de ce Sud Global, on perçoit ce ressentiment à l'égard de l'Occident comme étant la suite logique d'un temps de domination. (...) mais je pense qu'on aurait tort de se limiter à ce ressentiment pour détecter un dénominateur commun. Ce ressentiment est plus émotif que stratégique. Il y a aussi une positivité, une volonté de construire un ordre international inclusif", juge Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po et auteur de "Quand le Sud réinvente le monde".
Se dire appartenir au Sud Global, c'est la volonté de certains gouvernements de ne pas apparaître comme inféodé à Washington ou à l'Europe
Pour Frédéric Encel, maître de conférence à Science Po et auteur des "100 mots de la guerre", l'attitude de défiance à l'égard de l'Occident, et des Etats-Unis en particulier, reste tout de même un facteur central. "Je pense que c'est la variable principale de prises de décisions (...) se dire appartenir au Sud Global, c'est la volonté de certains gouvernements de ne pas apparaître comme inféodé à Washington ou à l'Europe", explique-t-il.
Mais pour le géopolitologue, il s'agit souvent d'une "posture" qui ne reflète pas les réalités stratégiques. Et de donner l'exemple des Emirats arabes unis qui, bien que rejoignant désormais les BRICS, ont sur leur territoire des bases militaires américaines et françaises.
Nous, Européens, sortons d'une vieille culture de l'alliance alors que l'ensemble de ces pays du Sud ont développé une diplomatie qui préfère l'union libre diplomatique au mariage
De la fluidité à l'opportunisme
Le Sud Global est donc un groupe de pays qui reste très fluide. Il ne représente en aucun cas une alliance qui serait vouée à combattre l'Occident. Pour Bertrand Badie, il faut faire évoluer les concepts pour comprendre ce nouveau phénomène.
"Il y a eu une modification en profondeur des styles diplomatiques. Nous, Européens, sortons d'une vieille culture de l'alliance, pérennisée et institutionnalisée du temps de la Guerre froide, alors que l'ensemble de ces pays du Sud (...) ont développé une diplomatie qui préfère l'union libre diplomatique au mariage" image-t-il.
>> Lire à ce sujet : Bertrand Badie: "Entre l'Iran et la Russie, ce sont surtout des connivences"
Le Sud Global est donc composé d'Etats qui, au gré de leurs intérêts, peuvent choisir un camp ou un autre, dans une sorte d'opportunisme politique assumé.
Ces pays ont une vision pragmatique et compatible avec l'absence d'une prétention d'union politique ou de convergence
"Lorsqu'on regarde la déclaration finale du sommet des BRICS, il y a beaucoup d'éléments très concrets sur le spatial, sur la recherche, sur l'éducation, sur le commerce (....) on a un cadre qui s'intéresse à des domaines très concrets, avec des possibilités d'entretenir de la collaboration, du partage d'expériences entre les pays (...) c'est une vision qui est pragmatique et compatible avec l'absence d'une prétention d'union politique ou de convergence", confirme Gilles Yabi.
Des déséquilibres
La notion de Sud Global ne définit pas non plus un groupe égalitaire, où chaque pays aurait la même importance. Certaines puissances émergentes, spécialement la Chine mais aussi l'Inde, ont beaucoup plus de poids que les autres.
"Pour les plus petits pays, l'intérêt est justement d'avoir une sorte de couverture de la part des puissances émergentes (...) en appartenant à ce bloc mouvant, ils peuvent poursuivre des intérêts de développement économique sans nécessairement adhérer à un bloc uni par des règles très fortes sur le plan politique", résume Gilles Yabi.
L'un des plus de l'Occident, c'est justement son soft power.
Enfin, si les pays du Sud Global trouvent des points d'accord en de nombreux domaines, ils gardent un retard considérable sur au moins un secteur: le soft power.
Pour Frédéric Encel, ces pays n'arrivent tout simplement pas à attirer. "Vous n'avez pas envie d'envoyer vos enfants faire leurs études à Pékin, alors qu'il y a de très bonnes universités. Pourquoi? Car les Chinois ne veulent pas de vous. Ils ont une peur paranoïaque de l'espionnage et de la porosité culturelle et démocratique", dit-il en exemple.
Pour le politologue, le manque de sécurité et de moyens dans de nombreux Etats appartenant au Sud Global explique également ce manque de capacité pour projeter une véritable influence. "L'un des plus de l'Occident, c'est justement son soft power", conclut-il.
Propos recueillis par Patrick Chaboudez
Adaptation web: ther
Bertrand Badie: "Il n'y a pas moins sudiste que la Russie"
Membre des BRICS, la Russie fait aussi partie de ce Sud Global alors qu'elle est pourtant géographiquement bien plus au nord et héritière d'une superpuissance, l'URSS.
Pour Bertrand Badie, Moscou a réussi à "s'habiller des oripeaux du Sud" alors qu'il y a selon lui "pas moins sudiste que la Russie".
"Poutine sait transformer ses défaites militaires en Ukraine en victoires diplomatiques, en se présentant auprès des pays du Sud comme étant leur semblable, en leur disant aussi être victime de l'hégémonie occidentale (....) c'est un bluff diplomatique qui a réussi à Poutine", conclut l'expert.
Un bluff qui ne permet pas à la Russie d'obtenir un soutien de la part du Sud Global, mas d'au moins le garder dans une position de neutralité.