Chaque année depuis cinq ans, Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) sortent un rapport sur la question basé sur les demandes qui sont faites chaque jour au 115, le numéro d’urgence sociale qui répartit les personnes dans le besoin dans les hébergements d'urgence.
Or, dans la nuit du 21 au 22 août, 3735 personnes en famille ayant composé le 115 n'ont pas pu être hébergées faute de places disponibles ou adaptées. Parmi elles, 1990 étaient des enfants, dont 480 âgés de moins de trois ans. Près de 80% de ces 1990 enfants ont déclaré avoir déjà dormi dans la rue la veille de leur demande.
NB: sur le graphique, "DNP" signifie demande d’hébergement non pourvue
En dessous de la réalité
Et ces chiffres sont probablement très en dessous de la réalité, car ils ne prennent pas en compte ceux qui n’appellent pas le 115 ou qui ne l’ont pas fait cette nuit-là. Les enfants vivant dans des bidonvilles ou des squats, ainsi que les mineurs isolés qui dorment dans des camps de migrants ne figurent pas non plus dans ces statistiques.
Et depuis la mise en place de ce baromètre il y a cinq ans, le nombre de mineurs restés à la rue est en augmentation. La hausse a même atteint 20% par rapport à l’an passé.
Les profils de ces familles sont très variés, mais toutes sont en situation de précarité. "Ca peut être des familles qui sont impactées par les enjeux de l'inflation et qui étaient déjà dans des situations un peu précaires (...). Ca peut être aussi des personnes qui ont des parcours de vie qui font qu'à un moment donné, sur des enjeux de santé ou tout un tas de choses, elles arrivent à la rue", explique Nicole Latour, directrice de la FAS.
A noter que les femmes seules avec enfants sont de plus en plus nombreuses à être concernées, mais on retrouve aussi des personnes sans papiers ou des demandeurs d'asile sans solutions de logement.
Un pays qui est obligé de trier ses enfants (...), ce n'est pas une position qui est acceptable
La situation s’est péjorée globalement en France, à tel point que les femmes et les enfants qui étaient censés être prioritaires sont désormais "triés", s'alarme Béatrice Lefrançois, secrétaire générale d'Unicef France.
"Compte tenu du fait qu'il n'y a pas suffisamment de places d'hébergement d'urgence, on en arrive à faire des tris. Une famille avec deux ou trois enfants, dont le plus jeune a trois ans, on va l'héberger une nuit. Et puis arrive une famille avec un bébé d'un mois, alors on va sortir la famille avec l'enfant de 3 ans pour mettre celle avec le bébé d'un mois (...). Un pays qui est obligé de trier ses enfants (...) pour la France, ce n'est pas une position qui est acceptable", explique Béatrice Lefrançois vendredi dans l'émission Tout un monde.
Une gestion "au thermomètre"
On assiste à un double mouvement, celui d'une augmentation importante des besoins en hébergement en raison du contexte économique et des questions géopolitiques et celui d'une volonté" de l'exécutif "de réduire le nombre de places d'hébergement", décrypte Nathalie Latour, directrice de la FAS. Elle évoque le fait qu’en été, malgré les canicules, les places sont très réduites. Elle mentionne aussi le gel de projets de places d'hébergement, la réduction des subventions pour certaines associations ou la crise du logement.
L'Unicef et la FAS dénoncent une politique court-termiste et une gestion "au thermomètre". C'est-à-dire qu'on ouvre des places quand il fait très froid, ou désormais très chaud, puis on les referme, mais sans résoudre le problème de fond.
Des conditions de vie qui ne permettent absolument pas d'espérer que ces enfants aient une scolarité sereine et une vie d'enfant normale
Or, vivre dans des logements précaires n'est pas sans conséquences pour les enfants. Plusieurs études montrent que ces jeunes sont plus fragiles physiquement et sont exposés psychologiquement en raison du stress, du manque de sommeil, de la malnutrition et des difficultés d'apprentissage.
Pourtant la France est un des premiers pays signataires de la Convention internationale des droits de l'enfant, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies en 1989, et qui reconnaît un certain nombre de droits aux enfants. Or, "on voit bien que le droit au logement, qui est un droit fondamental, n'est pas respecté. Et à quelques jours de la rentrée scolaire, le droit à l'éducation ne l'est pas non plus, puisque la plupart du temps, même si ces enfants sont scolarisés, ils sont dans des conditions de vie qui ne permettent absolument pas d'espérer qu'ils aient une scolarité sereine et une vie d'enfant normale", souligne Béatrice Lefrançois.
Par ailleurs, il faut savoir qu’en plus des cas d'enfants restés à la rue, 29'000 mineurs sont logés dans des chambres d’hôtels en France.
Sujet radio: Ariane Hasler
Adaptation web: cab