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"Le Niger était le dernier pilier de la lutte des Occidentaux contre le djihadisme au Sahel"

Géopolitis: Niger, putsch de trop [Keystone - ORTN via AP]
Niger, putsch de trop / Geopolitis / 27 min. / le 10 septembre 2023
Depuis le 26 juillet, des militaires ont pris le pouvoir au Niger. C'est le quatrième pays touché par un putsch dans la bande sahélienne depuis 2020, alors que la région est fragilisée par les violences de groupes djihadistes.

Dix-sept soldats nigériens tués et une vingtaine de blessés, c'est le bilan, lourd et encore provisoire, annoncé par Niamey mi-août, après une "embuscade terroriste" dans le nord du pays. L'attaque est la plus meurtrière qu'a connue le Niger depuis le coup d'Etat militaire du 26 juillet. "Il y a eu une reprise des attaques des groupes djihadistes sur l'ouest du Niger, alors que le front était assez calme ces derniers mois", explique Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (IFRI) et invité de Géopolitis.

Les militaires putschistes ont justifié le renversement du président élu, Mohamed Bazoum, par "la dégradation continue de la situation sécuritaire" du pays, selon les termes utilisés lors de leur première prise de parole sur la télévision nationale nigérienne. Mais la confusion et les tensions qui ont suivi le putsch pourraient permettre aux groupes armés djihadistes de renforcer leurs positions. "On voit en effet que la concentration des troupes pour soutenir le putsch s'est faite en quelque sorte aux dépens de la sécurisation de la frontière ouest", estime Thierry Vircoulon, "et on va voir comment ça évolue ces prochains mois."

Série de coups d'Etat

Le putsch au Niger n’est pas le premier en Afrique de l'Ouest. Le Mali a connu deux coups d’Etat, en 2020 et 2021, la Guinée un, en 2021, et le Burkina Faso deux, à quelques mois d’écart, en 2022. Le Mali et le Burkina Faso, tout comme le Niger, sont touchés par des attaques régulières de groupes armés djihadistes sur leurs territoires. Des violences que les Etats de la région craignent de voir encore plus déborder sur leurs territoires.

Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont touchés par des violences djihadistes. [RTS - Géopolitis]
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont touchés par des violences djihadistes. [RTS - Géopolitis]

"Le Niger était le dernier pilier de la lutte des Occidentaux, et notamment des Français et des Américains, contre le djihadisme au Sahel puisque l'armée française a dû quitter le Mali et le Burkina Faso à la demande des autorités", explique Thierry Vircoulon. "Elle avait replié son dispositif sur le Niger." La France dispose de 1500 soldats au Niger, dont la junte a exigé le départ. Paris a reconnu être en discussion avec Niamey sur le retrait de "certains éléments militaires". Les Etats-Unis ont aussi plus d'un millier de militaires au Niger.

La situation au Niger pourrait aussi avoir un impact sur les flux migratoires en Afrique de l'Ouest, selon Thierry Vircoulon: "Le Niger jouait aussi un rôle important pour le contrôle des routes de la migration puisqu'à l'apogée de la crise migratoire, une des grandes autoroutes des migrants subsahariens vers la Libye et après pour passer la Méditerranée, c'était Agadez. C'était la région qui se trouve entre Agadez, au nord du Niger, et le sud de la Libye. Au plus fort de cette crise, vers 2015, il y avait à peu près 100'000 personnes qui sont passées par ce couloir migratoire."

Tensions au sommet

Depuis le coup d'Etat, le président Bazoum, élu en 2021, est retenu par les nouveaux maîtres du pays. Le général Abdourahmane Tiani, chef de la garde présidentielle, est devenu le nouveau dirigeant de facto du Niger, en s'autoproclamant président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Pour Thierry Vircoulon, le coup de force du général Tiani doit être compris dans le contexte des tensions préexistantes entre une partie de la hiérarchie militaire et le président Bazoum.

"Il avait procédé à des nouvelles nominations parmi les sécurocrates nigériens. Le chef de la garde présidentielle, qui a été l'âme du putsch et qui est maintenant à la tête du Niger, devait être remplacé lors d'un conseil des ministres. Il a organisé un putsch juste avant", relève le chercheur. "On voit que les gens qui ont pris le pouvoir actuellement au Niger sont des militaires qui étaient soit déjà écartés, soit qui allaient être écartés. Et évidemment, leur position très importante dans le système sécuritaire nigérien leur permettait d'avoir une rente sécuritaire et de tirer profit de la grande corruption qui règne dans l'armée nigérienne."

Menace d'intervention

Le général Tiani a annoncé une transition de trois ans au maximum avant le retour des civils au pouvoir. La proposition a été jugée inacceptable par la Cedeao, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest. L'Organisation régionale a menacé, cet été, le Niger d'une intervention militaire si l'ordre constitutionnel n'est pas rétabli. La Cedeao a aussi imposé de lourdes sanctions à Niamey. Les gouvernements civils de la région craignent de nouveaux coups de force des militaires dans d’autres pays. Le Nigeria, dont le président, Bola Tinubu, a été nommé à la tête de la Cedeao, a adopté une position particulièrement ferme après le putsch. Le pays partage une frontière de 1500 km avec le Niger. Il tente d'éloigner le risque d’un retour aux longues années de dictatures militaires qu'il a connues après son indépendance.

Les Etats membres de la Cedeao, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest. [RTS - Géopolitis]
Les Etats membres de la Cedeao, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest. [RTS - Géopolitis]

Le Niger n'est pas le dernier pays africain touché par un coup d'Etat. Des militaires ont aussi pris le pouvoir au Gabon, le 30 août, à la suite de la publication des résultats officiels de l'élection présidentielle. Ils donnaient la victoire au président sortant Ali Bongo Odimba, dont la famille était au pouvoir depuis plus de 50 ans.

Elsa Anghinolfi

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