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Il ne manque qu'une "nouvelle tête pensante à la tête de l'hydre Wagner"

Un mémorial informel à la gloire d'Evgueni Prigojine à Moscou le 3 septembre 2023. [Keystone/EPA - Sergei Ilnitsky]
Wagner: plongée dans le système Prigojine / Tout un monde / 13 min. / le 11 septembre 2023
Pour Lou Osborn et Dimitri Zufferey, auteurs d'une enquête fouillée sur Wagner, le groupe paramilitaire va peut-être disparaître sous sa forme actuelle, mais c'est un "si bel outil" pour Moscou qu'une nouvelle mouture du groupe plus adaptée aux besoins du Kremlin va fatalement resurgir.

Depuis la mort, confirmée par Moscou, du leader du groupe Wagner Evguéni Prigojine, les experts se demandent si l'organisation paramilitaire russe va parvenir à survivre sans son chef et si oui, de quelle manière et sous quelle forme.

Invités lundi dans l'émission Tout un monde de la RTS, Lou Osborn et Dimitri Zufferey, les auteurs du livre "Wagner: enquête au coeur du système Prigojine" (à paraître en fin de semaine aux Editions du Faubourg) n'ont pas de doute quant à la persistance à l'avenir, sinon du groupe Wagner lui-même, du moins de nouveaux groupes au fonctionnement similaire et construits sur les cendres de l'organisation d'Evguéni Prigojine.

D'autres entités du même genre

"Ça va être assez difficile pour le groupe tel qu'on le connaît aujourd'hui de survivre à la décapitation de son commandement, notamment parce qu'Evguéni Prigojine, l'oligarque qui portait l'organisation, était devenu persona non grata depuis la mutinerie", estime tout d'abord Lou Osborn.

Le concept expérimenté et mis en place par Wagner va survivre. Prendre d'autres formes. Moscou ne va pas se passer d'un si bel outil!

Lou Osborn, enquêtrice freelance

Mais avant Wagner, préviennent tout de suite les deux enquêteurs, il y a déjà eu d'autres entités du même genre. Certaines ont commencé à gêner et ont été démantelées par le pouvoir. "A chaque fois, de nouvelles itérations essaient de s'améliorer, de répondre mieux aux objectifs du Kremlin [...] Le concept expérimenté et mis en place par Wagner va survivre, prendre d'autres formes. Moscou ne va pas se passer d'un si bel outil!", lance la chercheuse. "C'est un instrument diplomatique aujourd'hui absolument indispensable dans les mains du Kremlin", abonde Dimitri Zufferey.

C'est l'une des deux fonctions de ces groupes qui les rendent si utiles pour Moscou: celle d'être des outils d'influence, expliquent les deux enquêteurs. Ils offrent en quelque sorte des services de préservation du régime: actions de sécurité, formation militaire, opérations conjointes avec l'Etat client, voire publicité dont les bénéfices retombent en partie sur l'image de la Russie.

Wagner côté marketing

Dans le cas de Wagner, le groupe pratiquait une forme d'exhibition. Son chef Evguéni Prigojine lui-même adorait s'épancher sur les réseaux sociaux. "Il y a une partie très publique, très communication, très marketing. En Russie, ça participe à l'aura du groupe, au recrutement. C'est d'ailleurs fantastique pour des chercheurs comme nous, car ça laisse énormément de traces", souligne Lou Osborn.

Quand ils sont déployés à l'étranger, ils essaient de se rémunérer en faisant main basse sur les ressources naturelles du pays dans lequel ils sont établis

Lou Osborn

Le fait d'être un outil d'influence au bénéfice du pouvoir russe n'est qu'un des deux visages du groupe Wagner. Son autre visage le rapproche davantage d'une organisation criminelle, portée par une structure composée de plusieurs sociétés, "Concord". Les activités de la milice Wagner ont aussi pour fonction de rapporter de l'argent à ce consortium: "Quand ils sont déployés à l'étranger, ils essaient de se rémunérer - en plus des contrats de sécurité qui existent - en faisant main basse sur les ressources naturelles du pays dans lequel ils sont établis", explique la coauteure de l'enquête.

C'est d'ailleurs à ce visage-là du groupe paramilitaire que le Kremlin s'en est pris pour le remettre sur le droit chemin. "Au moment de la mutinerie, il y a déjà eu des pourparlers pour démanteler l'empire "Concord", notamment toute sa partie médias. Par le passé, quand le Kremlin a voulu se débarrasser d'oligarques, il y a eu ce phénomène d'anéantissement de leur empire économique pour tuer économiquement les oligarques en question. On est dans un processus du Kremlin assez traditionnel", analyse Lou Osborn.

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D'autres Wagner, mais pas forcément d'autres Prigojine

Pour les deux enquêteurs, si Vladimir Poutine a laissé Evguéni Prigojine aller aussi loin avant d'intervenir dans les affaires du groupe, c'est parce qu'il servait de porte-voix faisant émerger des critiques qui ne peuvent pas émerger autrement, de caution démontrant que les voix discordantes sont possibles en Russie.

Selon Dimitri Zufferey, c'est finalement le Kremlin qui a poussé Evguéni Prigojine à tenter le tout pour le tout lors de sa marche sur Moscou, en ne laissant au groupe que deux choix qui ne lui convenaient pas: se fondre dans l'armée russe ou s'exiler hors du pays.

Les deux mois entre la mutinerie et la mort de Prigojine? Un sursis accordé par Poutine pour voir quelle sera la future 'marque' qui prendra la suite de Wagner

Dimitri Zufferey, enquêteur et journaliste à la RTS

"Les deux mois entre la mutinerie et la mort d'Evguéni Prigojine ont été une sorte de sursis accordé par Vladimir Poutine afin de laisser un peu de temps pour se réorganiser, pour voir quelle sera la future franchise, la future marque qui prendra la suite du groupe Wagner", estime Dimitri Zufferey. "Ce qui manque, c'est une véritable tête pensante, une tête à la tête de l'hydre, qui soit en mesure de reprendre la figure et le rôle joués par Evguéni Prigojine. Et il y a vraiment très peu de chances qu'une figure de ce genre émerge."

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Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Vincent Cherpillod

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Wagner ambitionnait de s'implanter en Asie et en Nouvelle-Zélande

Dans une interview donnée par Evguéni Prigojine en mai 2023 à un blogueur militaire pro-russe, une carte du monde affichée derrière le leader de Wagner avait attiré l'attention: on y voyait 32 punaises plantées sur différents pays, certaines en Afrique, mais d'autres nettement plus surprenantes.

"Certaines se baladaient du côté de la Nouvelle-Zélande, certaines en Asie... Très probablement, il s'agissait d'intentions de futurs déploiements pour le groupe Wagner, [car] on n'a eu aucune trace effective de déploiement, d'opération d'influence. Au vu de ce qui s'est passé le 23 août, il est très probable que Wagner n'aille pas jusque-là", relativise Dimitri Zufferey.