Le cyclone Daniel a commencé dimanche après-midi à déverser des torrents d'eau sur la Libye. Deux barrages ont cédé. Il a pourtant fallu deux jours pour que les informations circulent et que le monde prenne conscience de ce qui s'est passé.
La Croix-Rouge articulait mardi le chiffre de 10'000 disparus. Le gouvernement internationalement reconnu de l'ouest du pays confirme, pour l'instant, 2300 morts. Pour rappel, la Libye est divisée en deux, l'est étant contrôlé par le maréchal Khalifa Haftar. Un membre de l'exécutif de cette région a de son côté communiqué que 5300 décès ont été recensés.
Les zones les plus touchées, notamment la ville de Derna, se situent dans la partie orientale du pays.
Des infrastructures négligées
Interrogé mercredi dans Tout Un Monde, Jalel Harchaoui, chercheur associé à l'Institut royal pour les études de défense et de sécurité (RUSI) à Londres, indique que la "Libye est complètement désemparée".
"Même un pays avancé aurait été désemparé face à un événement aussi inhabituel (…), évidemment dans une moindre mesure", nuance le politologue spécialiste du pays d'Afrique du Nord.
Mais "la Libye est encore moins équipée. Elle ne maintient pas son infrastructure depuis plus de 20 ans et, plus particulièrement, depuis la révolution de 2011, parce que les élites sont occupées à empocher l'argent public. Une ville marginalisée comme Derna a été particulièrement négligée", analyse-t-il.
Il indique que la Libye manque d'expertise pour faire face à ce genre de situation. La France, la Grèce ou encore la Turquie bénéficient de ces compétences et, d'après lui, devraient intervenir. A ses yeux, l'attitude libyenne n'est pas similaire à celle du Maroc, qui filtre les pays offrant leurs services. A l'entendre, toute main tendue serait donc acceptée.
"Opportunités de diversions, de vols et de confiscations"
L'aide étrangère, égyptienne et italienne notamment, commence d'ailleurs à être acheminée en Libye.
Mais selon Jalel Harchaoui, il faut être attentif à l'organisation du soutien aux habitants sinistrés par les différentes structures administratives. "Ce n'est pas parce qu'une aide arrive sur le territoire libyen qu'elle arrive à bon port. Elle ne sera pas forcément distribuée de manière optimale. Il faut se battre pour une plus grande proximité avec les victimes", déclare-t-il.
"Les avions cargo d'aide sont forcés d'atterrir à l'aéroport de Benghazi, qui est très loin de la municipalité de Derna. C'est autant d'opportunités de diversions, de vols et de confiscations", illustre-t-il.
Le défi de la reconstruction
Une fois l'urgence passée, il faudra reconstruire. Une tâche immense, qui risque elle aussi d'être perturbée par les malversations. Derna avait déjà subi les ravages de la guerre civile entre 2018 et 2019. "La ville n'a jamais été reconstruite par la suite. Il faut se demander pourquoi", se demande Jalel Harchaoui, qui répond à sa propre question: "La raison est que les gens voulant superviser ces efforts de reconstruction sont tellement préoccupés par la part de bakchich qu'ils pourraient capter, qu'ils finissent toujours par se battre entre eux et retarder le processus. Nous pourrions assister à ce genre de mesquinerie dans le cadre de la reconstruction de Derna."
Autre possibilité, selon le chercheur: que la cité ne soit pas reconstruite. "Il est possible qu'elle devienne invivable pour toujours. Et là, on serait confrontés à la question des déplacés. Il s'agirait de trouver un nouvel endroit pour les quelque 85'000 survivants", envisage-t-il.
Mercredi, l'agence des migrations de l'ONU a indiqué qu'au moins 30'000 habitants de Derna avaient été déplacés.
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Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Antoine Michel
Un phénomène météorologique particulier
Des mers plus chaudes, un chaos politique et des infrastructures défaillantes sont à l'origine des effets dévastateurs des inondations qui ont tué au moins 2300 personnes en Libye, selon plusieurs experts.
Dans la nuit de dimanche à lundi, les deux barrages de retenue des eaux du Wadi Derna, l'oued qui traverse la ville de Derna, sur la côte est de la Méditerranée, ont lâché.
Des torrents puissants ont détruit les ponts et emporté des quartiers entiers avec leurs habitants de part et d'autre de l'oued, avant de se déverser dans la mer.
La tempête Daniel s'est formée autour du 4 septembre, semant la mort et la destruction en Bulgarie, en Grèce et en Turquie la semaine dernière avant d'arriver en Libye.
Un genre de cyclone
Ces tempêtes méditerranéennes qui présentent les caractéristiques des cyclones et ouragans tropicaux, appelés "medicanes" (contraction de Mediterranean hurricanes, ouragans méditerranéens), ne se produisent qu'une à trois fois par an.
Pour se former, elles ont besoin de flux de chaleur et d'humidité, qui sont "renforcés par les températures chaudes de la surface de la mer", souligne Suzanne Gray, professeur au département de météorologie de l'Université de Reading en Grande-Bretagne.
Or, depuis plusieurs semaines, les eaux de surface de la Méditerranée orientale et de l'Atlantique sont deux à trois degrés Celsius plus chaudes que d'habitude. Elles sont donc "susceptibles d'avoir provoqué des précipitations plus intenses", ont déclaré plusieurs scientifiques lors d'une réunion du UK National Climate Impacts.