Trois voies de circulation, des dizaines de ponts et de tunnels qui traversent d'imposantes montagnes. Dès la sortie de Podgorica, la capitale, la première autoroute du petit Etat du Monténégro impressionne par son gigantisme.
Sinisa a déjà roulé plusieurs fois sur le premier tronçon de 41 kilomètres, ouvert à la circulation depuis un an. Ce jeune homme de 26 ans estime que l'autoroute aura un rôle majeur dans le futur. "Je suis content de la manière dont le projet a été réalisé. Je pense qu'à l'avenir, cette autoroute nous apportera de grands avantages en nous connectant avec la Serbie et avec l'Europe", a-t-il expliqué cette semaine dans l'émission de la RTS Tout un monde.
Des coûts qui prennent l'ascenseur
Au total, un lien de 160 kilomètres doit relier la ville portuaire de Bar, sur la mer Adriatique, aux montagnes isolées du nord du pays ainsi qu'à la Serbie voisine.
Nous n'avons aucune information sur le coût total final de cette autoroute
Initié en 2014, le projet est globalement vu d'un bon oeil par les Monténégrins mais le chantier est rythmé par les polémiques. L'autoroute est notamment critiquée pour son coût, qui dépasse déjà le milliard d'euros, ce qui en fait l'une des plus chères au monde. Seule la banque publique chinoise China Exim Bank a accepté de financer le projet, avec un prêt de 800 millions d'euros.
Pour Dejan Milovac, l'un des responsables de l'ONG MANS, il y a de vrais problèmes liés à la corruption. "Nous n'avons aucune information sur le coût total final de cette autoroute. Comme la plupart des données qui concernent le financement et les investissements réalisés par les Chinois, le gouvernement du Monténégro les traite comme un secret d'Etat. La question reste donc béante. Sur un coût total de 20 millions d'euros par kilomètre d'autoroute, quelle est la part réelle liée à la corruption?", s'interroge-t-il.
Le risque de la dette
Durant l'été 2021, alors que les revenus du tourisme étaient au plus bas à cause de la pandémie de Covid-19, le Monténégro a appelé l'Union européenne à l'aide pour rembourser l'aide chinoise. Mais Podgorica s'est vu opposer un refus net de la part de Bruxelles.
Aujourd'hui, l'autoroute représente plus de 20% de la dette extérieure du pays et beaucoup s'inquiètent des futures contreparties qui seront un jour ou l'autre exigées par Pékin.
Certaines des dispositions du contrat ont permis d'exclure de fait la souveraineté du Monténégro et ont transféré tout le processus judiciaire et les arbitrages à Pékin
"Le point clé en ce qui concerne le prêt chinois pour le Monténégro n'est pas seulement le milliard que nous devons rembourser. Selon l'accord trouvé avec les Chinois, chaque futur projet de développement, bien que soumis à un appel d'offres international, ira toujours à des entreprises chinoises, puisque nous leur devons encore de l'argent. C'est un point central auquel le gouvernement a très peu pensé", juge Dejan Milovac.
Pour Natasa Kovacevic, spécialiste des questions énergétiques et environnementales pour l’ONG Bankwtach, cette situation s'explique par la faiblesse des institutions locales, minées par le clientélisme et la corruption. "Le Monténégro est un pays en développement, ce qui signifie que l'Etat de droit n'y est pas à un niveau suffisant. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui amène la Chine à travailler ici. Certaines des dispositions du contrat ont permis d'exclure de fait la souveraineté du Monténégro et ont transféré tout le processus judiciaire et les arbitrages à Pékin", analyse-t-elle.
Un impact environnemental
Derrière le risque pour la dette et donc la souveraineté du Monténégro, le projet d'autoroute est aussi critiqué pour son impact environnemental.
Le long de ses 160 kilomètres, le tracé menace deux des principaux parcs nationaux du pays et notamment le fameux canyon de la Tara, le plus profond d'Europe, un joyau naturel pourtant classé au patrimoine mondial de l'Unesco depuis 1977.
Autour du chantier, Natasa Kovacevic a déjà constaté de nombreux dégâts environnementaux "Depuis 2015 et jusqu'à aujourd'hui, la rivière Tara a été dévastée à de nombreux endroits sur près de 7 kilomètres. D'énormes dépôts de déchets liés au chantier s’entassent sur ses berges et ils dépassent souvent les 20 mètres de haut", déplore-t-elle.
"Ces décharges, les investisseurs chinois tout comme notre gouvernement n'ont aucunement l'intention de les supprimer. Au contraire, ils contournent les lois sur la gestion des déchets en les requalifiant simplement en digues de défense contre les inondations", ajoute-t-elle.
Ce bilan pour l'instant contrasté n'a pourtant pas empêché les autorités monténégrines de signer de nouveaux contrats avec des entreprises chinoises, notamment pour la construction d'une autre autoroute, cette fois-ci le long du littoral.
Sujet radio: Louis Seiller/ther