Y a-t-il un dénominateur commun entre les gardes suisses du Vatican, les soldats engagés dans la légion étrangère en France ou les milices privées actives en Irak ou en Ukraine pour le compte des Etats-Unis ou de la Russie?
Pour Walter Bruyère-Ostells, professeur à Sciences Po Aix et spécialiste des mercenaires qui s'exprimait au micro de l'émission Tout un monde, un mercenaire c'est avant tout "un soldat qui vend ses services pour beaucoup d’argent". Voilà pour la version courte.
Outre l’argent, d'autres aspects différencient pourtant le mercenaire du combattant d'une armée régulière. Selon la définition dans le droit international - basée sur une Convention de l'ONU de 1989 - le mercenaire sert une armée étrangère.
Si on suit cette logique, les hommes du groupe Wagner qui étaient actifs en Ukraine sont "des miliciens" plutôt que des mercenaires, détaille l'expert, puisqu’il s’agit de mercenaire de nationalité russe agissant pour le compte du Kremlin.
Autre spécificité, le mercenaire ne bénéficie pas de la même protection juridique que les autres soldats. En droit international, les conventions de Genève confèrent aux combattants comme aux civils, pris dans un conflit, un certain nombre de droits.
Souvent, le mercenaire ne peut pas y prétendre, n'étant considéré ni comme civil ni comme combattant d’une armée régulière.
Externaliser une partie de missions
Qu’est-ce qui pousse un Etat à faire appel à des sociétés militaires privées? Depuis longtemps déjà, les pays délèguent certaines missions à des milices privées pour des raisons de coûts ou de manque de compétences internes.
Autre possibilité, lorsque des États ne veulent pas apparaître en tant que tel dans les affaires internes d’un autre État et qu'ils agissent à travers un groupe mercenaire. De manière officieuse donc, sans l’afficher.
Une société comme Blackwater pensait qu’elle pouvait prendre des libertés sur le sol irakien car elle avait un contrat avec l’Etat américain, tout-puissant.
L’Etat peut ainsi réfuter toute implication dans le pays en question, comme la Russie, qui jusqu'à très récemment a nié toute relation avec Wagner. Lors de la guerre froide, ce sont surtout les Etats-Unis qui ont utilisé cette méthode.
Le scandale Blackwater
Pour les gouvernements, sous-traiter les tâches de son armée est parfois aussi une manière de se dédouaner en cas d’abus ou de violation des droits humains.
"Une société comme Blackwater pensait qu’elle pouvait prendre des libertés sur le sol irakien car elle avait un contrat avec l’Etat américain, tout-puissant", explique Walter Bruyère-Ostells.
La compagnie de sécurité américaine était ainsi devenue tristement célèbre après une fusillade à Bagdad en 2007. Les agents de Blackwater ont été accusés d’avoir tiré sur au moins 14 civils irakiens désarmés, selon l’enquête américaine.
L’incident avait indigné l’opinion publique à l’international. Par la suite, "les questions éthiques" ont pris une importance grandissante dans "les contrats passés entre le département américain et des sociétés militaires privées", explique l’expert en histoire militaire.
"Les grandes sociétés militaires privées, basées dans des pays occidentaux, ne se trouvent plus au cœur de l’action militaire, mais elles sont plutôt là en appui", limitant le risque pour les droits humains, note encore Walter Bruyère-Ostells.
Groupes privés locaux
Là où le bât blesse, c’est que ces sociétés militaires privées ont elles-mêmes commencé à sous-traiter pour des raisons de coûts.
En Colombie, ou une "main-d’œuvre expérimentée existait déjà", des sociétés locales sont apparues. En Afghanistan, les sociétés militaires anglo-saxonnes, pour des questions de coûts, ont commencé à sous-traiter à des compagnies locales.
>> Lire aussi : Les mercenaires, un produit d'exportation colombien
Propos recueillis par Isabelle Cornaz
Adaptation web: Doreen Enssle
Le Document de Montreux
Il n’existe pas de traité en tant que tel, mais un document non contraignant qui réglemente le recours des États aux mercenaires: le Document de Montreux.
Ce dernier est le fruit d’une initiative conjointe lancée début 2006 par la Suisse et le Comité international de la Croix-Rouge. Le texte a été finalisé en 2008 et actuellement 58 Etats l’ont signé.
Le texte rappelle avant tout aux Etats - Etats contractants, les Etats territoriaux et Etats d’origine - leurs obligations en matière de droit international et droits de l’homme.
Parmi les signataires, on retrouve pourtant de nombreux pays qui interdisent le mercenariat. La loi comporte certaines subtilités.
Interdiction de s'engager individuellement
Les Etats-Unis et la France, par exemple, interdisent à leurs citoyens de s’engager à titre individuel comme mercenaires. Mais les sociétés de sécurité privées ne sont pas forcément considérées comme du mercenariat, selon les missions qui leur sont confiées.
En Suisse, le Code pénal militaire interdit à tout citoyen de servir dans une armée étrangère sans autorisation du Conseil fédéral, sous peine de trois ans de prison.
Il existe aussi une loi qui limite les activités des sociétés de sécurité privées, quand elles sont enregistrées en Suisse, votée en 2013.
Au service du pape
La Garde suisse pontifical fait exception. Elle n’est pas considérée comme une armée, mais comme un service de sécurité du pape.
Les militaires qui servent dans ses rangs doivent donc savoir utiliser des armes mais ne sont pas considérés comme une "armée", n’ayant pas le matériel suffisant pour défendre le Vatican s'il venait à être attaqué.