Le ministère azerbaïdjanais de la Défense a annoncé le lancement d'"opérations antiterroristes" pour mettre hors d'état de nuire "les positions des forces armées arméniennes", après la mort de six Azerbaïdjanais dans l'explosion de mines sur un chantier routier. La présidence azerbaïdjanaise a appelé en début de soirée les troupes de ce territoire sécessionniste d'Azerbaïdjan en majorité peuplé d'Arméniens à déposer les armes, condition sine qua non pour le début de négociations.
"Les forces armées arméniennes illégales doivent hisser le drapeau blanc, rendre toutes les armes et le régime illégal doit se dissoudre. Autrement, les opérations antiterroristes continueront jusqu'au bout", a-t-elle déclaré, faisant écho à la diplomatie azerbaïdjanaise qui réclamait une reddition "totale et inconditionnelle".
La présidence a proposé, en cas de capitulation, des pourparlers "avec les représentants de la population arménienne du Karabakh à Yevlakh", une ville azerbaïdjanaise à 295 km à l'ouest de Bakou. Avant cela, les autorités de cette région disputée avaient réclamé un cessez-le-feu immédiat et des négociations.
Les tensions vont croissantes depuis des mois autour du Haut Karabakh, un territoire sécessionniste d'Azerbaïdjan à majorité arménienne, qui a déjà été au coeur de deux guerres entre Erevan et Bakou, dont la dernière avait duré six semaines il y a trois ans.
Au moins 25 morts dont 2 civils
Les combats ont fait au moins 25 morts, dont deux civils, dans cette région et la population de six localités y a été évacuée, selon un bilan fourni par les séparatistes. Ces derniers ont indiqué par ailleurs que plus de 7000 civils avaient déjà été évacués de 16 localités.
De son côté, l'Azerbaïdjan a annoncé la mort d'un civil, tué "par des éclats d'obus à la suite d'une attaque des forces armées arméniennes".
Les séparatistes affirment que plusieurs villes du Haut Karabakh, dont sa capitale Stepanakert, sont ciblées par des "tirs intensifs", qui visent aussi des infrastructures civiles.
Les affrontements ont lieu "sur toute la ligne de contact" de ce territoire et les Azerbaïdjanais ont recours à l'"artillerie", à des roquettes, à des drones d'attaque, à des avions, ont-ils raconté. Soixante positions arméniennes y ont été conquises, a annoncé dans la soirée Bakou.
A noter que l'accès au réseau social TikTok a par ailleurs été bloqué en Azerbaïdjan. "L'accès à TikTok en Azerbaïdjan a été temporairement bloqué à partir du 19 septembre 2023", a simplement indiqué le ministère azerbaïdjanais du Développement digital, sans donner plus de précisions.
L'Arménie dénonce
Quant à l'Arménie, qui a dénoncé une "agression de grande ampleur" à des fins de "nettoyage ethnique", elle a assuré ne pas avoir de troupes au Haut Karabakh, laissant entendre que les séparatistes étaient seuls face aux soldats azerbaïdjanais.
Et elle considère que c'est à la Russie, garante d'un cessez-le-feu datant de 2020 avec des forces de la paix sur le terrain, d'agir pour "stopper l'agression azerbaïdjanaise". Le conflit de 2020 avait débouché sur une déroute militaire de l'Arménie qui avait dû céder à l'Azerbaïdjan des zones dans et autour du Haut Karabakh.
Un cessez-le-feu, négocié par la Russie, avait été conclu par ces deux anciennes républiques soviétiques du Caucase, sans jamais qu'on aboutisse à un accord de paix.
Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian, qui a aussi appelé l'ONU à "prendre des mesures", a convoqué en urgence son Conseil de sécurité pour faire face à cette crise. Nikol Pachinian, auquel l'opposition reproche d'avoir été responsable de la défaite d'il y a trois ans, a dans le même temps dénoncé des appels à un "coup d'Etat" dans son pays, où des heurts ont opposé des manifestants le qualifiant de "traître" et exigeant sa démission aux policiers devant le siège du gouvernement.
La Russie et les Occidentaux réagissent
Bakou a précisé avoir informé de ses opérations à la fois la Russie - qui a ensuite révélé n'avoir été mise au courant que "quelques minutes" avant leur commencement - et la Turquie.
Le Kremlin, "préoccupé", a dit par la voix de son porte-parole essayer de convaincre l'Arménie et l'Azerbaïdjan de retourner "à la table des négociations", tandis que la mission de maintien de la paix russe au Haut Karabakh s'est prononcée pour un cessez-le-feu "immédiat".
Quant à la Turquie, qui a qualifié de "légitimes" les préoccupations ayant amené les Azerbaïdjanais à se lancer dans une action militaire, elle a également exhorté, en parallèle, à la "poursuite du processus de négociations entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie". "Nous soutenons les mesures prises par l'Azerbaïdjan (...) pour défendre son intégrité territoriale", a martelé le président turc Recep Tayyip Erdogan.
A l'opposé, pour le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, qui prône "une cessation immédiate" des hostilités, le recours à la force est "inacceptable" et "ces actions (de Bakou) aggravent une situation humanitaire déjà difficile au Haut Karabakh et sapent les perspectives de paix".
Réaction similaire du président français Emmanuel Macron qui a peu après condamné "avec la plus grande fermeté" l'offensive azerbaïdjanaise et souhaité sa "cessation immédiate".
Le président du Conseil européen, Charles Michel, qui a effectué une médiation par le passé entre les deux pays, a aussi estimé que l'Azerbaïdjan devait "immédiatement" interrompre ses opérations.
Nikol Pachinian, qui n'a pas fait état de discussions avec Vladimir Poutine, a eu deux entretiens téléphoniques avec Emmanuel Macron et Antony Blinken.
ebz/ther/fgn avec les agences
L'une des régions les plus minées au monde
Aussi appelé Nagorny Karabakh, le Haut Karabakh a été le théâtre de deux guerres entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan au début des années 1990 puis à l'automne 2020. C'est l'une des régions les plus minées d'ex-URSS et des explosions y font régulièrement des victimes, tout comme des heurts armés.
Considéré comme une région centrale de son histoire par l'Arménie, le Haut Karabakh a changé de mains de multiples fois au cours des siècles. Cette enclave terrestre reste essentiellement peuplée d'Arméniens de confession chrétienne, selon les données officielles, et compte environ 120'000 habitants répartis sur 4400 m2 de territoire surtout montagneux. Le tiers environ vit dans la capitale Stepanakert.
Les tensions avaient pourtant diminué d'un cran lundi avec l'arrivée d'aide humanitaire dans l'enclave, soumise depuis des mois à un blocus azerbaïdjanais qui a provoqué de graves pénuries de nourriture et de médicaments.
Erevan accuse Bakou de provoquer à dessein une crise humanitaire à des fins d'épuration ethnique au Haut Karabakh en bloquant le corridor de Latchine, seule route reliant l'enclave montagneuse à l'Arménie.
En juillet, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian avait jugé dans un entretien à l'AFP qu'une nouvelle guerre avec l'Azerbaïdjan était "très probable".
Déroute militaire arménienne en 2020
Le précédent conflit, en 2020, avait débouché sur une déroute militaire arménienne, Erevan ayant dû céder à Bakou des territoires dans et autour du Haut Karabakh. Un cessez-le-feu négocié par la Russie avait été signé, impliquant le déploiement sur place de soldats de la paix russes, mais des échauffourées armées éclataient encore régulièrement à la frontière.
Malgré les efforts de médiation de l'Union européenne, de Washington et de Moscou, les belligérants ne sont jamais parvenus à un accord de paix.
L'Arménie a de son côté accusé la Russie, son allié traditionnel, de ne pas en faire assez pour maintenir la paix dans la région. Moscou a rejeté ces accusations, mais le Kremlin reste avant tout préoccupé par son invasion de l'Ukraine.
Le Conseil fédéral sommé d'agir pour éviter un "génocide"
Les co-présidents du Groupe parlementaire d'amitié Suisse-Arménie condamnent "avec la plus grande fermeté" l'attaque lancée par l'armée azerbaïdjanaise au Nagorny Karabakh. Redoutant un "génocide", ils appellent le Conseil fédéral à agir.
Le gouvernement doit s'activer au sein du Conseil de sécurité de l'ONU pour demander l'arrêt immédiat de cette offensive, qui vise surtout la population civile, ainsi que l'établissement d'un pont aérien humanitaire entre la capitale arménienne Erevan et celle du Nagorny-Karabakh, Stepanakert, affirment les quatre coprésidents dans un communiqué.
La commission de politique extérieure du Conseil des Etats lui avait déjà demandé d'agir en ce sens en janvier dernier, rappellent les conseillers aux Etats Carlo Sommaruga (PS/GE) et Lisa Mazzone (Vert-e-s/GE) et les conseillers nationaux Alex Farinelli (PLR/TI) et Stefan Müller Altermatt (Centre/SO).