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Comment la guerre de l'information menace les démocraties

Des membres du Comité du district central de la ville de Pyongyang de l'Union des femmes socialistes de Corée exécutent une routine de propagande en agitant un drapeau aux heures de pointe, sur la place du Grand Théâtre, le 19 juin 2021. [AFP]
“La Guerre de l’Information”: interview de David Colon / Tout un monde / 9 min. / le 25 septembre 2023
Invité lundi dans l'émission Tout un monde, le spécialiste de l'histoire de la propagande et de la manipulation David Colon décrit les mécanismes de la guerre informationnelle, longtemps ignorée. Il appelle à reconnaître un "état d'urgence informationnelle".

Pendant longtemps, la guerre de l'information - qui désigne le recours à l'information pour infliger un dommage à son adversaire ou le soumettre à sa volonté - a été le prolongement de la guerre militaire.

"A travers les médias internationaux et internet, elle est devenue aujourd'hui son substitut", a expliqué David Colon lundi au micro de la RTS. L'auteur de l'ouvrage "La Guerre de l'Information: les Etats à la conquête de nos esprits” oppose dans cette guerre les régimes démocratiques aux Etats autoritaires.

Une guerre contre les démocraties

Dans les années 1990, les Etats démocratiques étaient persuadés que la fin de la Guerre froide signifiait la fin des régimes autoritaires dans le monde. L'accès à l'information "globale" était vu comme le moyen le plus sûr pour parvenir à cet objectif, explique David Colon.

"De l'autre côté, les régimes autoritaires ont perçu dans l'information une menace existentielle. Cela les a conduits, d'une part, à protéger leur population de tout ingérence informationnelle étrangère et, d'autre part, à se doter de nouveaux instruments comme la diplomatie publique et des médias internationaux pour se lancer dans une guerre contre les démocraties", poursuit le spécialiste.

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Point de départ en 1990

David Colon place le point de départ de cette guerre de l'information au moment de la guerre du Golfe en octobre 1990, quand le Koweït a embauché une grande agence de communication américaine pour influencer l'opinion publique américaine en sa faveur, avec l'aval tacite de Washington.

Les médias de service public ne s'autorisent pas, par exemple, à la manipulation ou à la désinformation de masse

David Colon, spécialiste de l'histoire de la propagande et de la manipulation

"Cette guerre a montré l'influence considérable que pouvaient avoir des médias comme CNN sur la formation de l'opinion publique. Le Koweït a dû influencer l'opinion publique pour que les Etats-Unis s'engagent dans une guerre de libération", poursuit David Colon.

Pression sur les plateformes

Selon l'historien, cet événement a conduit certains théoriciens militaires de régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie à considérer qu'on entrait dans une nouvelle ère, celle de la guerre de l'information.

David Colon estime qu'il est essentiel aujourd'hui que les démocraties admettent "qu'elles sont en guerre". "La difficulté est que, dans les démocraties, nous n'avons pas les mêmes possibilités que les régimes autoritaires. Les médias de service public ne s'autorisent pas, par exemple, à la manipulation ou à la désinformation de masse. C'est la raison pour laquelle la priorité est moins offensive que défensive."

Il s'agit donc de faire en sorte que nos espaces informationnels démocratiques soient protégés des ingérences informationnelles étrangères. Cela passe souvent par des mesures toutes simples comme la transparence, indique David Colon. "On peut aussi envisager de faire davantage pression sur les plateformes des médias sociaux pour qu'elles limitent la diffusion de théories complotistes."

"Etat d'urgence informationnelle"

Enfin, pour David Colon, il est important de veiller à ce que la lutte contre la désinformation ne soit pas utilisée comme prétexte pour restreindre la liberté d'expression.

Dans son ouvrage, le spécialiste appelle à reconnaître un "état d'urgence informationnelle". "Les médias sociaux et l'intelligence artificielle générative ont doté les régimes autoritaires d'armes extraordinairement redoutables, car elles touchent non seulement un grand nombre de personnes mais permettent aussi d'interagir directement avec leurs cerveaux. A l'échelle politique, cette fébrilité se retrouve dans l'essor du populisme et dans la polarisation politique comme c'est le cas notamment aux Etats-Unis."

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Propos recueillis par Eric Guevara Frey/hkr

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