La France s'est heurtée à un sentiment anti-français particulièrement vif au sein de la population sahélienne. Celle-ci dénonce la "Françafrique", la politique africaine française. Marqués par une présence djihadiste meurtrière, ces pays questionnent la légitimité de la présence militaire française sur leur territoire. En effet, la cinquième armée du monde n'a pas réussi à déloger les terroristes, malgré 15 ans d'opérations Barkhane et Serval.
C'est en grande partie pour cette raison que la jeunesse du Sahel a majoritairement soutenu les coups d'État qui se sont déroulés entre 2020 et 2023. Au Mali, au Burkina Faso et, cet été, au Niger, des militaires ont chassé les anciens pouvoirs présidentiels et les troupes françaises, revendiquant une nouvelle Afrique affranchie de l'impérialisme français. Dans le même temps, ils se tournent vers de nouveaux partenaires économiques et politiques comme la Chine et, plus récemment, la Russie, dans l'espoir de collaborations "gagnant-gagnant" et d'une prospérité partagée.
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Une jeunesse qui acte une deuxième indépendance?
Le 26 juillet 2023, le président nigérien Mohamed Bazoum a été renversé. Dans la foulée, le général Abdourahamane Tiani s'est autoproclamé chef de l'Etat. Une prise de pouvoir soutenue par une partie du peuple, qui s'est rassemblée à plusieurs reprises cet été pour demander le retrait des forces militaires françaises.
Le président Emmanuel Macron a annoncé dimanche dernier que les soldats français quittaient le sol nigérien. Un schéma qui se répète: de 2020 à début 2023, le Mali et le Burkina Faso avaient connu la même gronde et le même dénouement.
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"Ce rejet reflète une exaspération de la présence militaire française en Afrique et (...) une volonté d'en finir avec une relation coloniale (...) qui n'a jamais permis de développer le pays", d'après Amzat Boukari-Yabara, historien spécialiste du continent africain et auteur de "L'Empire qui ne veut pas mourir, une histoire de la Françafrique" (Seuil, 2021).
De fait, le Niger, comme ses voisins, souffre d'une extrême pauvreté malgré les richesses et les ressources qu'il détient, l'uranium notamment, "qui permet l'indépendance énergétique de la France".
Une jeunesse paupérisée
Une pauvreté qui se ressent fortement chez les plus jeunes: ils représentent les trois quarts de la population au Niger, comme au Mali et au Burkina Faso. Dans le premier pays, où près de 70% de la population vit dans des bidonvilles, 23% des jeunes âgés de 15 à 29 ans sont au chômage.
Au Mali, ce sont près de 16,5% des personnes de 15 à 29 ans qui sont sans emploi. Quant au Burkina Faso, ce taux est passé de 2,5 à 6,4% entre 2000 et 2020 chez les plus de 15 ans.
Ces conditions de vie précaires sont causées par l'absence d'opportunités économiques, comme l'explique le Dr Papa Demba Thiam, entrepreneur, chef de projets, spécialiste du développement en Afrique et auteur de "Stratégies d'interface, intégration économique et développement" (Peter Lang, 1991).
"L'Afrique n'a jamais eu la maîtrise de son destin en matière de développement économique: la paupérisation s'est développée en fabrique de pauvreté structurelle, qui a fait qu'avec une démographie galopante, les Africains se sont retrouvés de plus en plus pauvres", explique-t-il.
Une pauvreté extrême pour des jeunes qui blâment en premier la "Françafrique", un système hérité de l'ère coloniale.
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La "Françafrique" en question
"Il est temps que les Africains prennent leur destin en main": en prenant le pouls de l'opinion publique africaine et afro-descendante, cette phrase revient systématiquement, et ce même depuis le Lausanne Afro Fusions Festival, qui se déroulait du 30 août au 3 septembre 2023. Ce besoin d'indépendance est soutenu par des populations lassées par 60 ans de "Françafrique".
Au moment des indépendances dans les années 50 et 60, "la France n'a jamais réellement quitté ses anciennes colonies", explique Amzat Boukari-Yabara. "Elle a imposé des accords de coopérations monétaires, politiques, militaires et culturelles en échange de l'indépendance", ce qui a permis à l'Hexagone de maintenir sa présence dans ses anciennes colonies. Quant aux multinationales, "elles se sont vues garantir le monopole de l'exploitation des ressources stratégiques".
D'après un étudiant nigérien qui souhaite garder l'anonymat, "ce sont tous ces aspects négatifs" qui ont conduit à "ce sentiment anti-français".
Un mouvement social dans le prolongement d'une révolte initiée au Burkina Faso par Thomas Sankara, ancien président anti-impérialiste, mais aussi féministe et écolo, au pouvoir de 1983 à 1987.
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Assassiné en 1987, il est resté dans l'esprit collectif comme le père de la révolution burkinabée et un modèle pour les générations futures.
Le défi de l'intégration des femmes
Des générations qui ont de grands défis à relever, à commencer par l'éducation, qui doit être "décolonisée", d'après Amzat Boukari-Yabara, et la place de la femme.
"Ce sont des révolutions très masculines (...) et nous, les femmes, nous la soutenons mais nous ne voulons pas seulement être des accompagnatrices", décrit Flore Agnès Nda Zoa Meiltz, avocate, conférencière et fondatrice de l'association La CENE littéraire (pour le Cercle des amis des Écrivains Noirs Engagés).
Dans un contexte géopolitique en pleine mutation, ces défis sont de taille. En 2019 et en juillet dernier, deux éditions du sommet Russie-Afrique ont permis d'afficher la volonté de certains chefs d'État africains d'accroître les investissements et le soutien militaire de Moscou. Malgré la disparition du chef de la milice Wagner, la Russie fait son grand retour sur le sol africain. Certains craignent déjà une nouvelle tutelle russe sur le Sahel, quand d'autres accueillent ces nouveaux partenaires avec espoir. Mais d'après Papa Demba Thiam, "les gens sont éveillés maintenant" et les Africains "ne prendront pas le risque d'être inféodés à une forme d'impérialisme russe comme s'ils n'avaient d'autre destin que dans la servitude".
Florise Vaubien