Sous les Dolomites sommeillent les pommes
Dans les Dolomites, en Italie, les pommes sont conservées d'une manière plutôt originale: elles dorment au cœur de la montagne. Une ancienne carrière de pierre a été transformée en frigo, permettant d'économiser l'énergie. La culture du fruit a explosé en quelques décennies dans la région, ce qui a poussé à innover.
Du haut de son tracteur, il suffit à Ruggero Pinter d'un seul coup d'œil pour savoir quelle rangée de pommiers est prête pour la cueillette. L'agriculteur de 75 ans a dédié sa vie à la culture des pommes, en révolutionnant les habitudes agricoles de ses ancêtres.
"Avant, il y avait ici seulement des prés, un peu de terres pour les patates et le froment, de l'herbe pour les vaches. Et maintenant, c'est la vallée des pommes… Je ne sais pas si on n'a pas un peu exagéré", déclare-t-il un sourire aux lèvres.
Le paysage lui donne raison: les vergers s'étendent à perte de vue. Dans le val di Non, dans le Trentin (nord), quelque 6500 hectares sont dédiés à la production du fruit. Depuis 40 ans, la vallée préalpine invente la culture intensive des pommes. Ruggero Pinter possède, lui, quatre hectares de culture biologique.
![L'agriculteur Ruggero Pinter sait en un coup d'oeil quelle pomme peut être cueillie. [RTS]](https://img.rts.ch/articles/2023/image/ddq3so-27649170.image?mw=1280 "L'agriculteur Ruggero Pinter sait en un coup d'oeil quelle pomme peut être cueillie. [RTS]")
Entre les lignées de pommiers, ses ouvriers s'affairent à la récolte. "Prenez seulement les plus belles, car les autres doivent encore prendre un peu de couleurs", leur demande-t-il.
"Avant, on les conservait dans les caves de nos fermes, puis le négociant arrivait et nous en demandait par exemple dix quintaux (1000 kg, ndlr), alors on devait les transférer continuellement de caisses en caisses pour trier les pommes pourries et les bonnes. Et lui nous payait ce qu'il voulait. C'était comme ça", raconte le septuagénaire.
Des quantités astronomiques
Les temps ont bien changé. Ici, un milliard et demi de fruits sont désormais cueillis à la main chaque automne. Les 4000 producteurs que compte la région s'engagent dans une véritable course contre la montre, afin d'en conserver deux millions de tonnes.
![Le val di Non et ses vergers de pommiers. [RTS]](https://img.rts.ch/articles/2023/image/u2llq8-27649169.image?mw=1280 "Le val di Non et ses vergers de pommiers. [RTS]")
Les pommes sont désormais stockées dans d'énormes entrepôts frigorifiques construits dans toute la vallée.
Le producteur Filippo Iob, de la coopérative Del Contà, amène des cageots en tracteur dans l'un de ces centres. "Bonjour, je suis le producteur 667 et j'apporte des reinettes du Canada", s'annonce-t-il au guichet.
Reinette, Fuji ou encore Golden: autant de variétés qui seront écoulées pendant un an à la grande distribution. L'Italie est, avec la Pologne, le plus grand pays producteur en Europe.
"C'est désormais un produit industriel", indique Filippo Iob au volant de son véhicule. "On doit donc réduire les coûts, dont la majorité sont liés à la récolte", relève-t-il.
Sous la montagne
Pour réduire les montants liés à l'énergie, les producteurs avaient sans le savoir un frigo naturel à disposition: la mine du Rio Maggiore, une carrière creusée à l'intérieur des Dolomites.
"Au-dessus de la couche de dolomie, on trouve des roches qui ont une grosse quantité d'argile", pointe l'ingénieur Fabrizio Conforti, du consortium fruitier Melinda. "Grâce à cela, ces galeries sont totalement étanches à l'humidité, ce qui est assez unique dans l'Arc alpin", explique-t-il. "Nous avons donc ici à-peu-près 300 mètres de roches sur notre tête", note-t-il encore.
L'idée de stocker les pommes dans la montagne est née en 2010. Après plusieurs années de tests, les producteurs l'ont approuvée, car les fruits conservent toutes leur qualité, comme dans les vergers.
Ingénieur des mines, Fabrizio Conforti s'occupait auparavant de l'extraction de la dolomie. C'est lui qui a proposé de transformer ces grottes devenues inutiles en cave à pommes.
"Atmosphère parfaite"
"Elles font 25 mètres de long, 12 de large et 11 de haut", détaille-t-il. "Ces cavernes arrivent à conserver 2800 grands caissons", précise-t-il encore.
Actuellement, 40'000 tonnes de pommes sont conservées dans la montagne, ce qui permet une réduction de 40'000 kg d'émission de CO2.
![L'ancienne carrière de dolomie permet de stocker des caissons de pommes par milliers. [RTS]](https://img.rts.ch/articles/2023/image/hdzplu-27649171.image?mw=1280 "L'ancienne carrière de dolomie permet de stocker des caissons de pommes par milliers. [RTS]")
"En abaissant le niveau d'oxygène et en augmentant l'azote, on crée une atmosphère parfaite. Celle-ci, combinée avec la température très basse des lieux, permet d'endormir les pommes", explique Fabrizio Conforti.
Les pommes peuvent donc sommeiller en toute tranquillité, même si, de temps en temps, Fabrizio Conforti les sort de leur léthargie, en faisant résonner ses chants de montagne entre les parois des vastes caves.
Sujet TV: Valérie Dupont
Adaptation web: Antoine Michel
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