Haïti a sombré dans le chaos après l'assassinat de son président Jovenel Moïse, il y a deux ans. Près de 80% de la capitale, Port-au-Prince, échappe au contrôle de l'Etat. Selon l'ONU, la violence des bandes armées a fait plus de 2400 victimes depuis le début de l'année.
Le quartier de Carrefour-Feuilles, à quelques encablures du centre de Port-au-Prince, s'est transformé en zone de guerre.
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D'un côté, il y a ceux que la population appelle les "bandits", de l'autre la police haïtienne, mal équipée et en sous-effectif. Et au milieu, des habitants pris au piège. "Ça tire depuis vingt-deux jours, c'est insupportable", témoigne un homme qui a décidé de rester dans son quartier, malgré le danger, mardi dans l'émission de la RTS Tout un monde.
Mais d'autres, comme Yolanda, âgée d'une cinquantaine d'années, se sont résignés à fuir alors que les combats se rapprochaient. Elle avance péniblement, une valise sur la tête, dans les rues du quartier. "Ils mettent le feu aux maisons et tuent des gens. Ils n'arrêtent pas de tirer. La fumée, là-bas, ce sont des maisons et des écoles qu'ils sont en train d'incendier. Ils brûlent tout, même les gens. Les enfants, comme les adultes. Maintenant, nous n'avons nulle part où aller. Nous vivons tous dans la rue, nous dormons dehors sous la pluie."
"Je les ai suppliés d'arrêter"
Les gangs utilisent tous les moyens pour répandre la terreur, notamment le viol. Samantha, 43 ans et mère de deux enfants, a été violée par quatre hommes, en sortant du marché. Elle a été accusée de faire partie d'un gang rival. "Je les ai suppliés d'arrêter. Au lieu de ça, ils m'ont insultée et m'ont dit qu'ils iraient jusqu'au bout. Ils sont pires que des monstres."
Et de poursuivre: "Porter plainte? Ça ne sert à rien. Ils ne feront rien pour moi. Pour pouvoir porter plainte, il faudrait qu'il y ait une justice. Mais il n'y a pas de justice. Je garde ma souffrance et ma cicatrice pour moi."
Samantha est formelle. Les quatre hommes qui l'ont violée font partie du G9, une fédération mafieuse de neuf des bandes les plus puissantes de Port-au-Prince. Leur chef est un ancien policier Jimmy Chérizier, alias Barbecue. "Nous luttons pour le changement de ce pays", affirme-t-il. Confronté au récit de Samantha, il nie. "De quelles atrocités parlez-vous? […] Dans les zones du G9, je ne vais pas dire que c'est impossible. Mais il est très difficile qu'un membre du G9 puisse violer une femme sans en subir les conséquences. Nous autres, nous ne tolérons pas cela."
Les bandits, "des enfants"
Les gangs, lourdement armés, qui se partagent le contrôle de Port-au-Prince, ont fait du kidnapping une véritable industrie. Plus de 1400 enlèvements ont été recensés depuis le début de l'année.
Le médecin Louis Gérald Gilles a passé sept jours entre les mains d'un groupe armé avant d'être libéré en échange du versement d'une rançon. "Ce sont des enfants, des jeunes... Ils parlent de football, de plaisir, de femmes, de leurs enfants", dit-il. "Ils se rendent compte que leur espérance de vie est très courte, ils savent très bien qu'ils vont se faire tuer. Ils sont aussi conscients qu'ils font du tort à la société. Ils sont nés dans la douleur."
Face à la violence des gangs, les Haïtiens excédés se font justice eux-mêmes. Les lynchages d'hommes soupçonnés de faire partie des groupes armés se multiplient. Pour mettre fin à cette spirale de la violence, les Nations unies ont approuvé l'envoi d'une force multinationale. Le gouvernement haïtien accueille cette décision comme une "lueur d'espoir", mais elle est loin de faire l'unanimité parmi la population haïtienne, qui redoute que ces soldats ne se transforment en force d'occupation.
Omar Ouahmane/vajo