Olivier Kempf: "Les Occidentaux ont donné à l'Ukraine ce qu'ils avaient dans leurs arsenaux"
Lundi, les ministres des Affaires étrangères européens se sont réunis à Kiev. Une première historique visant à exprimer la solidarité de l'Union européenne avec ce pays confronté à l'invasion russe. Symbolique, ce geste contraste fortement avec plusieurs signaux qui indiquent un affaiblissement du soutien occidental envers l'Ukraine.
Entre septembre et ce début d'octobre, Varsovie a annoncé ne plus vouloir envoyer d'armes à l'Ukraine, notamment après des différends diplomatiques concernant les céréales; le Congrès américain a réussi à voter un budget et à éviter la fermeture de l'administration en retirant le soutien à l'Ukraine de l'accord; enfin, la population slovaque a plébiscité le camp de Robert Fico, qui a ouvertement fait campagne en disant ne plus vouloir aider l'Ukraine.
Force est de constater que, lancée le 4 juin, cette contre-offensive n'a pas atteint ses objectifs
Une contre-offensive qui ne porte pas ses fruits
Invité de La Matinale mardi, Olivier Kempf, chercheur associé à Paris de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), a estimé que ces changements venaient avant tout "du terrain", où la situation n'est pas celle espérée.
"On nous avait parlé d'une grande contre-offensive qui devait finalement arriver à la victoire (...) on ne savait pas trop comment mais on imaginait de beaux succès. Force est de constater que, lancée le 4 juin, cette contre-offensive n'a pas atteint ses objectifs", déclare-t-il.
Pour l'expert qui est également directeur associé du cabinet de synthèse stratégique La Vigie, ce changement de paradigme, qui voit la guerre se prolonger, transforme irrémédiablement la donne pour l'Occident et la façon dont il pourra continuer à aider Kiev.
"Le problème de la guerre longue, c'est qu'elle a besoin de ressources. Des ressources en hommes mais surtout en matériels, et les Occidentaux ont finalement déjà donné ce qu'ils avaient dans leurs arsenaux, ce qu'ils pouvaient donner. Ils pourraient encore donner quelques petites choses mais pas suffisamment pour nourrir un effort de guerre dans la durée", analyse-t-il.
Un nouveau type d'aide
Renseignement, formation, appui satellite. Pour Olivier Kempf, l'aide continuera sur les autres secteurs de la guerre mais pour l'armement, il faudra effectuer des adaptations.
"Evidemment, on va continuer à fournir quelques armes mais la vraie question sera de savoir comment on en fabrique de nouvelles", note le chercheur.
"Aujourd'hui, on a des industriels de l'armement européen et américain qui disent 'nous sommes prêts, mais il faut payer'. En pleine économie de guerre, le PIB ukrainien a chuté de 30% l'an dernier. Donc la question sera de savoir comment on augmente les flux financiers en direction de l'Ukraine pour lui permettre d'acheter de l'armement", ajoute-t-il.
Olivier Kempf explique que ces armes pourraient être fabriquées en Europe, aux Etats-Unis mais également sur place, en Ukraine, dans des sortes de coentreprises. C'est donc toute la logique de la production militaire qui doit être repensée.
Les difficultés, les dissensions et les discussions existent régulièrement au sein de l'Union européenne, avec des blocs qui se constituent
Des négociations plus lentes au sein de l'UE
Questionné également sur la baisse du soutien politique de l'Union européenne à l'Ukraine, Olivier Kempf tempère. D'après lui, l'élection de Robert Fico fera certes basculer la Slovaquie dans le camp de la Hongrie, jusqu'alors seul pays européen partisan d'un soutien moindre envers l'Ukraine, mais elle ne devrait pas changer les équilibres.
"Les difficultés, les dissensions et les discussions existent régulièrement au sein de l'Union européenne, avec des blocs qui se constituent. C'est le cas sur n'importe quel dossier. L'immigration, les équilibres budgétaires et maintenant le soutien à l'Ukraine", assure-t-il.
"Cela prendra donc plus de temps, on arrivera à des solutions nuancées, des transactions qui ne sont pas forcément radicales mais qui arrivent malgré tout à des résultats. Donc le soutien à l'Ukraine va probablement être freiné, mais pas bloqué", ajoute-t-il.
Ces dissensions font en tout cas le bonheur du Kremlin, où Vladimir Poutine espère de plus en plus que la guerre dure, souligne encore Olivier Kempf. "Tant que la guerre dure, tant que l'Ukraine est en guerre, elle ne peut pas rejoindre les institutions européennes, qu'il s'agisse de l'UE ou de l'Alliance atlantique", conclut-il.
Propos recueillis par Valérie Hauert
Adaptation web: Tristan Hertig