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"Les Palestiniens ont été laissés à l'écart des espoirs nés ces dernières années"

Une manifestante lors d'une marche solidaire avec la Palestine contre les attaques israéliennes sur Gaza en Espagne, 2023. [Keystone/AP Photo - Emilio Morenatti]
Pourquoi une attaque du Hamas lors du rapprochement d'Israël et de l'Arabie saoudite? Interview de Jean-Paul Chagnollaud / Tout un monde / 12 min. / le 9 octobre 2023
L'offensive du Hamas sur Israël a été réfléchie pendant des mois, estime Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités, interrogé dans Tout Un Monde lundi. Il explique que la non-considération de la question palestinienne par les pays arabes est l'une des motivations de l'attaque.

La décision du Hamas d'attaquer Israël en pleine tentative de rapprochement avec l'Arabie Saoudite s'explique par plusieurs raisons, avance l'invité de la RTS qui a publié un "Atlas du Moyen-Orient" entre autres ouvrages. "Je crois qu'il y a une accumulation d'éléments."

"Il y a évidemment l'idée que depuis plusieurs années, on avait complètement oublié la question palestinienne. On pensait même pouvoir normaliser les relations avec les États arabes et en particulier l'Arabie Saoudite. Mais c'est une erreur stratégique absolue", fait-il remarquer. "Malheureusement, pour arrêter ce processus", le Hamas s'est tourné vers "la violence dont le degré marquera les esprits, car elle conduit à des actes absolument abominables."

Une volonté de soumettre les Palestiniens

L'autre raison, selon le professeur émérite, est que "le gouvernement israélien est constitué et soutenu par des coalitions composées de gens absolument radicaux voulant à tout prix aller très loin dans la soumission des Palestiniens et leur enfermement à Gaza." Mais "on ne peut pas imaginer que cinq millions d'hommes et de femmes puissent être ainsi oubliés dans leur volonté d'être libres et d'avoir eux aussi un Etat reconnu", souligne-t-il.

Enfin, Jean-Paul Chagnollaud explique que le nom donné à l'offensive par le Hamas, "déluge d'Al-Aqsa", fait directement référence à la mosquée de Jérusalem. "Le statu quo en vigueur depuis des décennies est remis en question par des colons et des religieux extrémistes appuyés par le gouvernement. Donc la réaction logique était d'utiliser la violence." Il est par contre étonné de l'ampleur de cette violence qui n'épargne pas les civils.

>> Le suivi de la situation en Israël : L'armée israélienne dit avoir touché "plus de 500 cibles" ennemies pendant la nuit

Fin du rapprochement avec l'Arabie Saoudite

Quant au rapprochement d'Israël avec l'Arabie Saoudite, l'invité de Tout Un Monde assure qu'il est "terminé pour l'instant". "Les Palestiniens ont été laissés à l'écart des espoirs nés ces dernières années sur le plan régional avec notamment les accords d'Abraham en 2020 signant le rapprochement d'Israël et certains pays arabes. Le dernier en date avec l'Arabie Saoudite est une douche froide (pour les Palestiniens, ndlr) donc c'est terminé. En tout cas pour l'instant."

Ce rapprochement est un "contre-sens absolu parce qu'on ne peut pas oublier la question palestinienne alors qu'elle est reléguée au second plan par les pays arabes depuis toujours", poursuit-il.

L'Egypte a été "le seul" pays à tenter de trouver une solution à la situation. Le président égyptien Anouar el-Sadate est à l'origine des accords de Camp David signés en 1978 pour établir la paix entre son pays et Israël. Mais lorsque le président égyptien a tenté pendant les négociations de poser la question des Palestiniens, en face, le Premier ministre israélien Menahem Begin a refusé d'en parler. La Ligue arabe, qui soutient les Palestiniens, a donc exclu l'Egypte de ses membres. Une décision très formelle qui n'a en réalité pas amplifié le soutien des pays arabes envers les Palestiniens, juge Jean-Paul Chagnollaud. "En réalité, aucun pays arabe n'a soutenu véritablement et durablement les Palestiniens."

>> Pour comprendre les motivations du Hamas, écouter le témoignage d'une militante suisse pro-palestinienne :

Israël attaqué par le Hamas: témoignage d'une militante suisse pro-palestinienne
Israël attaqué par le Hamas: témoignage d'une militante suisse pro-palestinienne / Forum / 4 min. / le 8 octobre 2023

Pour Jean-Paul Chagnollaud, le gouvernement israélien ne veut pas entendre parler de la moindre négociation avec la Palestine. "Benjamin Netanyahu a toujours refusé l'idée même d'un processus politique avec les Palestiniens. Il disait déjà en 1996 que les Accords d'Oslo (signés pour résoudre le conflit israélo-palestinien, ndlr) ne sont pas la solution."

Besoin d'une solution diplomatique

"Quelques fois, la violence produit une solution politique. Alors, je dirais qu'à terme, pas dans les prochains jours, ni dans les prochains mois, ça pourrait peut-être conduire à une prise de conscience globale de la nécessité d'un règlement politique", espère l'invité de la RTS. "Il faudrait que la communauté internationale agisse vraiment. C'est la seule issue", martèle le professeur.

L'envoi d'un porte-avions par les Etats-Unis n'est pas une solution pour cet expert. "C'est une absurdité totale. Au lieu d'envoyer un porte-avions, il faudrait envoyer une équipe de diplomates. Vous rajoutez du militaire au militaire, ce qui n'a aucun sens!"

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Julie Marty

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Attaque possiblement préméditée à plusieurs

Concernant l'organisation, Jean-Paul Chagnollaud soutient que cette offensive n'a pas pu être préparée par le Hamas seul. "Les Palestiniens ne sont pas complètement seuls. Le Hamas n'a pas pu préparer une attaque de cette ampleur tout seul." Le Wall Street Journal a révélé cette nuit que l'Iran a donné son feu vert à l'assaut lors d'une réunion à Beyrouth lundi dernier et a participé de façon très appuyée à la préparation de cette opération.

Le professeur reste prudent face à cette affirmation mais estime qu'elle "est plausible". "Je n'ai pas d'éléments concrets pour dire ce qui s'est passé exactement et personne ne le sait. Même pas les services de renseignements israéliens car sinon ils auraient évidemment anticipé ce qu'il vient de se passer."