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Karim Bitar: "Il n'est pas exclu qu'on assiste à une conflagration régionale" au Proche-Orient

Un soldat israélien photographié dans la ville de Sderot, dans le sud du pays, le 11 octobre 2023. [reuters - Violeta Santos Moura]
La constellation d’intérêts autour du Hamas en Palestine: interview de Karim Bitar / Tout un monde / 10 min. / le 11 octobre 2023
Au cinquième jour des affrontements entre Israël et le Hamas, c'est désormais la bande de Gaza qui est sous le feu des projecteurs. Pilonné par les bombardements, ce territoire palestinien pourrait subir une intervention terrestre de l'armée israélienne. Pour Karim Bitar, le risque d'un embrasement de la région est possible, bien qu'il ne soit sans doute souhaité par personne.

Jour après jour, la mesure des exactions commises par le Hamas dans son intervention militaire de samedi apparaît au grand jour. Partout, des traces de civils massacrés sans distinction par le groupe islamiste, auxquels s'ajoute une centaine d'otages emmenés dans le bande de Gaza.

Pour Israël, c'est donc l'heure de la réaction, avec des frappes qui s'intensifient sur ce territoire palestinien, désormais soumis à un blocus intégral de l'Etat hébreux.

Une situation qui pourrait s'envenimer

Invité mercredi de l'émission Tout un monde, Karim Bitar, professeur de relations internationales, a estimé que le conflit pourrait s'étendre. C'est notamment un risque réel au Liban, où des roquettes ont été lancées en direction de positions israéliennes. Pour lui, le pays n'est pas prêt à un nouveau conflit avec Tel Aviv, mais tout dépendra des pressions iraniennes.

Le Liban ne pourrait tout simplement pas supporter une nouvelle guerre sur son front sud

Karim Bitar, professeur de relations internationales à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth.

"Les Libanais sont extrêmement inquiets car le Liban, traversant l'une des pires crises économique et politique de son histoire, ne pourrait tout simplement pas supporter une nouvelle guerre sur son front sud. Cela serait véritablement le coup de grâce (...), mais il est à craindre que la situation puisse s'envenimer si l'opération terrestre à Gaza (si Tel Aviv décide de la lancer, ndlr) tourne au carnage et si l'Iran décide de faire intervenir tous ses alliés de la région", estime celui qui enseigne à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth.

Pour ce spécialiste, le Hezbollah libanais reste toutefois conscient que l'opinion publique du pays est "extrêmement réticente" à une nouvelle guerre. "Le Hezbollah s'efforce de laisser le Hamas en première ligne. Les roquettes qui ont été lancées à partir du Liban n'ont pas été endossées par le Hezbollah", précise-t-il. Le mouvement islamiste libanais ne se joindra à des combats que si "les injonctions et les pressions iraniennes" sont très fortes, ajoute-t-il encore.

Un Iran tapi dans l'ombre

Jusqu'à aujourd'hui, Téhéran a affiché officiellement sa solidarité envers le Hamas, mais il a nié une quelconque responsabilité dans les actions du groupe islamiste palestinien. Washington, proche allié d'Israël, a également semblé vouloir calmer les esprits en ne pointant pas du doigt l'Iran, le Secrétaire d'Etat Antony Blinken estimant qu'il n'existait à ce jour pas de preuve allant en ce sens.

Plusieurs médias dont le Wall Street Journal ou le quotidien libanais L'Orient-Le Jour ont pourtant rapporté l'existence de plusieurs réunions entre le Hezbollah, le Hamas et des émissaires iraniens, qui se seraient tenues à Beyrouth au cours des derniers mois.

Beaucoup de guerres à travers l'histoire du Proche-Orient sont nées sans forcément qu'il y ait une décision préalable mais parce que de mauvais calculs ont été faits dans l'émotion

Karim Bitar, professeur de relations internationales à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth.

Pour Karim Bitar, il est sans doute encore trop tôt pour savoir si l'opération du Hamas a été planifiée à Beyrouth, Téhéran ou Gaza. Il estime toutefois la coopération et le dialogue réels entre ces différentes mouvances. "Il y a un front qui est relativement bien soudé mais chacun des acteurs garde toutefois sa propre logique nationale", précise-t-il.

Des chars et des véhicules militaires israéliens se rassemblent du côté israélien de la frontière de Gaza, le 9 octobre 2023. [reuters - Amir Cohen]
Des chars et des véhicules militaires israéliens se rassemblent du côté israélien de la frontière de Gaza, le 9 octobre 2023. [reuters - Amir Cohen]

Le professeur juge que pour l'instant, les acteurs régionaux cherchent à tempérer et à ne pas étendre le conflit. Ce dernier pourrait toutefois leur échapper. "Si la situation devait rapidement se détériorer, si on assiste à des dizaines de milliers de morts, ce qui n'est pas exclu compte tenu de l'ampleur du traumatisme en Israël, là, il n'est pas exclu que les esprits s'enflamment", analyse-t-il.

"Beaucoup de guerres à travers l'histoire du Proche-Orient sont nées sans forcément qu'il y ait une décision préalable, mais parce que de mauvais calculs ont été faits dans l'émotion", ajoute-t-il.  D'après l'expert, c'est une phase de "radicalisation extrême", présente autant au sein du gouvernement israélien que dans les rangs du Hamas ou du Hezbollah qui porte en elle ce risque. "Il n'est donc pas exclu qu'on assiste à une conflagration régionale".

Des opinions publiques contre une normalisation avec Israël

Pour plusieurs analystes, l'attaque massive et extrêmement violente lancé par le Hamas samedi à l'encontre d'Israël avait également pour but d'envenimer la situation et de dissuader le Royaume saoudien de se rapprocher de Tel Aviv, alors qu'une normalisation diplomatique entre les deux pays semblait sur les rails.

>> Relire à ce sujet : Israël-Arabie saoudite, une nouvelle entente qui ne sera pas sans obstacles

Karim Bitar juge la situation désormais délicate pour Riyad comme pour les autres pays de la région qui ont déjà officiellement normalisé leurs relations avec l'Etat hébreu, à l'instar des Emirats arabes unis. L'expert en relations nationales rappelle notamment la popularité toujours intacte de la cause palestinienne dans l'espace arabo-musulman.

"Les opinions publiques de ces pays ne sont pas du tout en phase avec la décision de normalisation des relations. Les Arabes, du Maroc jusqu'au Golfe, estiment que tant que les Palestiniens sont occupés et qu'ils ne peuvent pas vivre dans la dignité, cette normalisation ne peut être qu'un accord entre des dirigeants coupés de leur peuple et Benjamin Netanyahu", observe-t-il.

Pour lui, l'Arabie saoudite va donc pour l'instant "temporiser" et sans doute remettre "à plus tard" une éventuelle normalisation.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Tristan Hertig

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Un rôle significatif pour le Qatar

Le petit Etat du Qatar joue aussi depuis quelques années un rôle significatif dans le conflit israélo-palestinien. Le chef du Hamas, qu'Israël aurait tenter d'assassiner à plusieurs reprises, se trouverait là-bas. Doha est aussi connu pour financer à coup de plusieurs dizaines de millions de dollars chaque année la bande de Gaza.

Pour Karim Bitar, le Qatar pourrait être "un pont" entre les deux partis. "Le pays a à la fois des relations très solides avec les Etats-Unis et des relations avec l'Iran et le Hamas", précise-t-il. Une position qu'il utilise déjà actuellement pour tenter de faire libérer des otages de la bande de Gaza.