Presque cinquante ans après l'éclatement de la guerre du Kippour - offensive militaire déclenchée par l'Egypte et par la Syrie le 6 octobre 1973 - Israël est confronté à l'une des pires épreuves de son histoire. Plus de 1300 morts, pour la plupart des civils, et près de 150 otages, détenus dans la bande de Gaza..
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Cette attaque, inédite par son ampleur, a non seulement révélé la puissance militaire du Hamas, mais aussi la défaillance des services de renseignements israéliens - considérés comme parmi les meilleurs au monde - et la vulnérabilité de l’Etat hébreu, fragilisé politiquement depuis plusieurs mois. Cette crise remet brutalement la question palestinienne au cœur de la géopolitique mondiale.
Risque d’embrasement
Joe Biden a assuré à son allié israélien son soutien "indéfectible" face au Hamas. Le déploiement en Méditerranée orientale du porte-avions américain Gerald Ford, le plus grand navire de guerre au monde, laisse présager une potentielle escalade internationale. "Si un embrasement devait se produire, il viendrait à travers une extension du conflit vers le Liban à travers le Hezbollah", estime Pascal de Crousaz, docteur en relations internationales et spécialiste du conflit israélo-palestinien, invité dans Géopolitis. Selon lui, "les Etats-Unis pourraient être entraînés à frapper eux aussi le Hezbollah au Liban," si ce dernier entrait dans le conflit de "manière trop massive".
"Objectivement, le Hezbollah n'a pas intérêt à se mêler à la bataille", poursuit-il. "La dernière fois qu'il l'avait fait pour venir au secours des Palestiniens en 2006, il s'était trouvé entraîné dans une guerre dévastatrice. Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, avait lui-même admis que s'il avait su [l’ampleur de la riposte israélienne], il ne serait pas entré en guerre."
Pour autant, il estime qu'il ne faut pas écarter complètement ce scénario. "C'est exactement l'analyse que faisaient les services de renseignement israéliens à propos du Hamas. Ils disaient que le Hamas n'avait pas intérêt objectivement à une guerre. (...) C'est précisément ce type d'analyse, basée sur le risque et l’utilité, qui a volé en éclats samedi matin, [le 7 octobre 2023]."
Contexte géopolitique mouvant au Moyen-Orient
Cette opération commando, préparée de longue date avec l’appui probable de l’Iran, a pris de court Israël et Washington, les yeux rivés sur le conflit ukrainien et sur son bras-de-fer engagé avec la Chine. Cet assaut intervient dans un contexte géopolitique très mouvant au Moyen-Orient, avec le rapprochement entre l'Iran et l'Arabie saoudite, initié par Pékin, mais aussi la perspective d'une normalisation des relations entre les autorités saoudiennes et israéliennes.
"Je crois que le Hamas a surtout voulu rappeler, en particulier au monde arabe, mais aussi à la communauté internationale, l'existence de la cause palestinienne, qu'il voyait menacée d'une menace fatale avec le rapprochement en cours entre Israël et l'Arabie saoudite", relève Pascal de Crousaz. Un rapprochement engagé dans le sillage des accords d’Abraham, conclus en 2020 et initiant la normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes (Emirats arabes unis, Maroc, Soudan et Bahreïn).
Ce rapprochement comporte aussi une dimension plus économique, rappelle Pascal de Crousaz. "Lors du G20 le 9 septembre, un mémorandum d'accord a été signé sur un corridor économique qui irait de l'Inde à l'Europe, à travers les pays du Golfe, l'Arabie saoudite et Israël (...) La normalisation entre l'Arabie saoudite et Israël permet non seulement de sceller les accords d'Abraham, mais elle permet à l'Occident collectif et certains pays du Sud, l'Inde, les pays du Golfe et l'Arabie saoudite de créer des routes d'approvisionnement alternatives à celles que la Chine est en train de construire."
Crise des otages
Près de 150 militaires et civils israéliens, mais aussi des ressortissants étrangers, notamment français et américains, ont été pris en otage par les commandos du Hamas, enlevés lors de l’assaut du 7 octobre et exhibés tels des trophées de guerre dans les rues de Gaza.
"Israël a toujours fait son possible pour ramener les otages, quel qu'en soit le prix", explique Pascal de Crousaz. "C'est viscéral et historique. Cela remonte même probablement, dans une certaine mesure, au sentiment de culpabilité des autorités du Yichouv - le futur Etat d'Israël - pendant la Seconde Guerre mondiale, d'avoir été incapables de sauver les Juifs de la Shoah en Europe."
Une opération complexe alors que le pouvoir israélien s’est engagé à "écraser et à détruire" le Hamas, bombardant sans relâche le territoire de Gaza et des positions stratégiques du mouvement islamiste palestinien, responsable de l'attaque la plus meurtrière de l'histoire de l'Etat hébreu.
Le siège de Gaza
"Dans le but suprême que le Hamas ne puisse plus jamais commettre ces atrocités face à Israël, la destruction complète du Hamas pourrait entraîner non seulement la mort de soldats [israéliens] mais aussi d'otages. C'est peut-être le prix à payer pour que cela ne se reproduise jamais", analyse Pascal de Crousaz.
"En cas d'invasion terrestre [à Gaza], les pertes civiles seraient absolument effroyables", souligne-t-il. La guerre entre le Hamas et Israël a déjà provoqué le déplacement de plus de 423'000 personnes à l'intérieur de la bande de Gaza, selon l'UNRWA. Avec pour conséquence une crise humanitaire majeure dans ce territoire peuplé par deux millions d’habitants, privé d’eau et d’électricité.
"Si la population palestinienne ne soutient pas unanimement le Hamas, elle est hostile à Israël qui l'assiège et la maintient son blocus depuis des années", poursuit Pascal de Crousaz. Les populations civiles sont les premières victimes de cette logique de guerre et de cette impasse politique marquée également par l’affaiblissement notoire de l'Autorité palestinienne, marginalisée et exsangue.
Olivier Kohler