Gilles Ferragu: "Les Israéliens ont jusqu'ici toujours négocié pour récupérer leurs otages"
L'histoire contemporaine du Proche-Orient compte de nombreuses affaires d'otages. Après l'offensive du Hamas contre Israël samedi dernier, des témoignages sont rapidement parvenus avec des images de personnes capturées et emmenées en direction de Gaza. Pendant quelques heures, des téléphones portables ont émis depuis la région assiégée.
Israël estime qu'il y a actuellement plus d'une centaine d'otages aux mains du Hamas, un chiffre difficile à vérifier. Vendredi, la branche armée de l'organisation palestinienne a annoncé qu'au moins 13 otages israéliens et étrangers retenus dans le nord de la bande de Gaza ont été tués dans des frappes aériennes israéliennes dans les dernières 24 heures.
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Invité vendredi dans l'émission Tout un monde, Gilles Ferragu, maître de conférence à l'Université de Nanterre ayant étudié l'histoire de la prise d'otages, relève le caractère inédit de la situation en Israël: "Prendre autant d'otages, cela s'est déjà fait, par exemple lors de détournements d'avion ou de bateau. Mais aller les chercher dans un pays et les ramener dans un autre territoire, c'est une nouveauté", souligne-t-il.
"Cela est très symbolique", poursuit-il. "C'est lié à une histoire des prises d'otages au sein du conflit israélo-palestinien: autant dans l'histoire israélienne que dans l'histoire palestinienne, la question des otages est récurrente. Elle sert de menace pour les uns et de tactique pour les autres."
Israël traditionnellement enclin à la négociation
Au-delà de la menace d'exécution, le Hamas n'a pas tenté pour l'heure d'exploiter les otages israéliens. Le groupe palestinien s'est contenté jusqu'ici de menacer de massacrer les personnes détenues si Israël ne mettait pas fin aux bombardements. Selon Gilles Ferragu, ces otages sont des "boucliers humains". "On peut imaginer qu'à terme, parce que les affaires d'otages fonctionnent toujours comme cela, il y aura des revendications et des négociations sur des prisonniers, des enclaves ou des passages à libérer", prédit le conférencier.
Certains considèrent qu'Israël pourrait cette fois ignorer ses ressortissants pris en otage, car la priorité est de détruire le Hamas et l'extraction des détenus à Gaza, dans une région densément peuplée où il existe beaucoup de cachettes, pourrait être très compliquée. Mais Gilles Ferragu rappelle que, par le passé, l'Etat hébreu a toujours négocié pour récupérer ses soldats. "Nous pouvons imaginer qu'il y a actuellement, si ce n'est une affirmation, au moins un débat au sein de l'exécutif israélien sur la nécessité ou non de négocier."
D'autant qu'un certain nombre d'otages sont de nationalité américaine et qu'il est peu probable que les Etats-Unis abandonnent leurs otages, en pleine campagne électorale. Washington a d'ailleurs positionné sa sixième flotte à mi-chemin entre le Liban et la bande de Gaza et Israël, preuve, selon Gilles Ferragu, que l'allié de Tel Aviv ne compte pas se désintéresser du sujet.
Le fait que des enfants aient été pris en otage ajoute par ailleurs une nouvelle dimension aux négociations qui est difficile à ignorer.
Une fabrique de la terreur
Les techniques de négociations pour préserver la vie des otages diffèrent selon les pays. L'Angleterre considère, par exemple, qu'il ne faut pas les récupérer et que donner des rançons équivaut à aider le terrorisme, explique Gilles Ferragu. Dans le cas du Hamas, "ce sont probablement des libérations de prisonniers et de militants arrêtés par les Israéliens qui sont exigées. Est-ce que les Israéliens sont prêts à négocier? Jusque-là ils l'ont fait, donc on peut imaginer que l'on revienne à la tradition dans ce cas précis".
Un otage est également un instrument de terreur, ajoute le maître de conférence. "Il est utile vivant, car c'est un moyen de négociation, mais il est aussi utile mort et exécuté parce qu'il fait peur. Même si le Hamas n'a pas intérêt à massacrer ses otages, il est possible qu'il en assassine certains pour démontrer sa détermination."
L'otage est donc déshumanisé, réduit à un objet servant de monnaie d'échange. Mais c'est aussi son humanité, et donc sa vie, qui lui donne sa valeur. Son statut "est paradoxal à plusieurs points de vue. C'est l'individu le plus isolé de la Terre et, en même temps, c'est quelqu'un dont on parle de tous les côtés et sur le dos duquel on négocie", résume Gilles Ferragu.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/iar