L’ultime enquête d’un journaliste assassiné prouve des crimes environnementaux en Colombie
Quelques jours avant sa mort, Rafael Moreno était menacé et se sentait en danger immédiat. Il avait pris contact avec le groupe de journalistes Forbidden Stories, dont fait partie la RTS, pour mettre à l’abri son travail via le Safebox Network.
Ce réseau permet à des journalistes de protéger leurs enquêtes les plus sensibles. Si l’un d’eux est enlevé, emprisonné ou assassiné, des collègues journalistes peuvent poursuivre le travail entamé, afin de le faire connaître au plus grand nombre.
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La pollution d'une rivière
L’enquête inachevée de Rafael Moreno concerne une pollution de la rivière Uré en Colombie. Des documents et témoignages exclusifs recueillis par Forbidden Stories ont permis de confirmer le pillage illégal de sable extraits de la rivière. Ces sédiments sont utilisés pour la construction, respectivement pour des routes publiques. Des documents officiels indiquent la responsabilité pour la pollution de plusieurs société de construction, dont l’entreprise Consortio Versalles. Cette société de construction locale n’a pas souhaité répondre aux questions de la RTS.
"Plutôt que d’acheter des matériaux de construction certifiés, qui coûtent un certain prix, les entreprises de construction passent un accord avec les politiques locaux pour extraire gratuitement les ressources naturelles, sans permis. L’argent est ensuite partagé entre ces sociétés, les politiciens et le Clan del Golfo (cartel de la drogue)", explique Yamir Pico, journaliste et cousin de Rafael Moreno. "Ça représente une fortune, c’est pour cela qu’ils sont prêts à tuer n’importe qui et qu’ils ont envoyé des sicarios (tueurs à gages)."
L'enquête au point mort
Malgré les photos du tueur à gages dont disposent les enquêteurs en charge du dossier, l’enquête criminelle sur l’assassinat de Rafael Moreno semble au point mort. Personne n’a été arrêté à ce jour. Le lien entre son assassinat et sa dernière enquête n’a pas été établi par la justice. Une situation d’impunité qui permet aux crimes environnementaux de se poursuivre en Colombie. Plusieurs politiciens locaux, qui ont facilité ou signé des contrats avec les différentes entreprises responsables de la pollution de la rivière, sont en liste pour les prochaines élections régionales fin octobre.
Ces 10 dernières années, plus de 1700 journalistes et membres d’organisation de protection de l’environnement ont été tués dans le monde, selon les chiffres de l’ONG Global Witness. Et moins de 1% de ces crimes ont été résolus.
François Ruchti, Aïda Delpuech et Sofia Avarez Jurado (Forbidden Stories)