La thèse d'une frappe aérienne israélienne sur un hôpital de Gaza contestée par de nombreux experts
Un jour après cette frappe qui a eu lieu dans une cour transformée en parking devant l'hôpital Al-Ahli Arabi, dans la ville de Gaza, au nord de l'enclave palestinienne, un porte-parole de l'armée israélienne avait répété que l'Etat hébreu n'était pas responsable de ce bombardement.
"Nous avons des preuves de la responsabilité du groupe Djihad islamique palestinien, allié du Hamas. Celles-ci confirment que l'explosion a été causée par un tir de roquette ayant échoué", a précisé Daniel Hagari.
Peu après, l'armée israélienne a publié un enregistrement de ce qu'elle a dit être une conversation interceptée entre des militants du Hamas reconnaissant que l'hôpital avait été touché par un projectile tiré par le Djihad islamique. Un enregistrement qui n'a jusqu'à présent pas pu être identifié de source indépendante.
Présent en Israël mercredi pour afficher son soutien à l'Etat hébreu, Joe Biden a de son côté appuyé cette thèse, affirmant que "sur la base des informations vues à ce jour", il semblerait qu'il s'agisse "d'une roquette hors de contrôle tirée par un groupe terroriste de Gaza". Des affirmations que le locataire de la Maison Blanche n'a pas étayées.
Une scène de bombardement qui ne correspond pas
Conscients d'être en plein brouillard de guerre et ne pouvant se fier directement aux informations de l'armée israélienne ou du Hamas, journalistes, analystes indépendants, experts militaires et chercheurs spécialisés en sources ouvertes (OSINT) tentent donc depuis mardi de comprendre ce qu'il s'est vraiment passé.
Si aucune conclusion définitive n'a pour l'instant été établie, la plupart d'entre eux s'accordent à dire qu'il est peu probable que l'explosion ait été provoquée par un bombardement aérien israélien.
Dans une analyse, Bellingcat, ONG regroupant des enquêteurs spécialisés dans la vérification des faits, explique que ce qui semble être le cratère de l'impact ne "correspond pas à ceux des bombes" larguées jusqu'alors par Israël.
Interrogé jeudi par BFM TV, Jean-Paul Palomeros, ancien chef d'Etat-major de l'armée de l'air française et ancien commandant allié de l'Otan confirme. "S'il n'y a pas de signes très tangibles de gros dommages sur l'infrastructure, l'hypothèse que ce soit une bombe israélienne est peu probable. On a vu récemment les dégâts produits par les bombardements. Ils font s'écrouler des buildings", explique-t-il.
Les bombes aériennes israéliennes, qui contiennent de plusieurs centaines de kilos jusqu'à une tonne d'explosifs, produisent normalement des cratères de plusieurs mètres de largeur et au moins 1,5 mètre de profondeur, ce qui ne correspond encore une fois pas à l'impact photographié devant l'hôpital.
Plus globalement, l'étendue des dommages sur place, avec des bâtiments alentours peu touchés, semble aller à l'encontre du scénario d'une bombe des forces israéliennes. "Ce n'est toujours pas irréfutable mais si c'est l'étendue des dégâts, je dirais qu'une frappe aérienne semble moins probable qu'un mauvais tir de roquette provoquant une explosion, puis un incendie du fait du carburant", déclare de son côté sur X Justin Bronck, chercheur au Royal United Services Institute (RUSI), plus important groupe de réflexion britannique sur les questions de Défense et de sécurité.
"Il ne s'agit pas de nier le très grand nombre de civils tués dans cette campagne israélienne mais les photos des conséquences de cette explosion montrent que la grande majorité des dégâts sont dus au feu (...) Dans l'ensemble, ces dégâts correspondent à un petit impact avec beaucoup d'accélérateur de carburant, ce qui a probablement causé la plupart des dommages liés à l'incendie (...) pour moi, ces photos ne sont sont donc pas cohérentes avec une frappe aérienne", renchérit dans une longue analyse sur X Nathan Ruser, chercheur à l'Institut australien de stratégie politique (ASPI).
Un nombre de morts à revoir à la baisse?
Selon divers témoignages, de nombreuses personnes étaient présentes dans cette cour proche de l'hôpital, ce qui expliquerait un nombre de morts élevé. Mais le dernier bilan du Hamas, qui évoque 491 décès, est désormais contesté et pas uniquement par l'armée israélienne.
Interrogé jeudi par l'AFP, un haut responsable européen du renseignement a revu ce bilan à la baisse. "Il n'y a pas 200 voire 500 morts, mais plutôt quelques dizaines, probablement entre 10 et 50", a affirmé cette source sous couvert d'anonymat.
Un constat partagé par Nathan Ruser: "Je ne doute pas que des civils aient été tués. Des vidéos montrent des cadavres rassemblés dans la cour de l'hôpital. Le nombre de victimes pourrait être assez élevé mais 500 est honnêtement invraisemblable", explique-t-il, comparant ensuite les dégâts autrement plus impressionnants qu'ont produites des frappes faisant plusieurs centaines de morts à Bagdad et Mogadiscio.
La provenance du tir encore incertaine
Si la thèse d'une frappe aérienne israélienne classique semble donc improbable d'après les experts, elle ne peut toutefois pas complètement être exclue. Certains évoquent aussi la possibilité d'un tir de drones. Mais là encore, le scénario semble peu vraisemblable.
Interrogée mercredi par l'équipe de fact-checking de la BBC, Valeria Scuto, analyste du Moyen-Orient pour la société Sibylline, une entreprise spécialisée dans l'évaluation des risques, explique que Tel Aviv aurait cette capacité, notamment avec les missiles Hellfire, qui ne laisseraient pas forcément de gros cratères à l'impact. Mais elle estime que le schéma des incendies dans la cour n'est pas cohérent avec cette explication.
Reste donc à connaître l'origine du tir qui a eu lieu mardi à 19h00, heure locale (18h00 en Suisse). Des images diffusées en direct par Al-Jazeera ce jour-là à 18h59, et depuis beaucoup relayées sur les réseaux sociaux, montrent une lumière s'élevant dans le ciel au-dessus de Gaza, un clignotement puis un changement radical de direction avant une explosion.
Pour certains, il s'agit-là de la preuve irréfutable qu'une roquette palestinienne a connu un dysfonctionnement avant de tomber devant l'hôpital Al-Ahli Arabi. Pourtant, la prudence reste de mise parmi la plupart des experts, qui estiment que ces images ne suffisent pas à prouver ce qui a véritablement causé l'explosion.
Si des questions sont donc bel et bien encore ouvertes concernant cette explosion, la bataille de l'image semble en tous les cas avoir été perdue par Israël.
"Ce bombardement est une nouvelle donne dans le conflit (...) dans les mentalités arabes et internationales, il apparaît comme le résultat de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza (...) les populations arabes ne croiront jamais à la responsabilité du Djihad islamique, compte tenu du tapis de bombes qu'Israël déverse depuis quelques jours sur Gaza. L'image de l'Etat hébreu s'en trouve considérablement fragilisé", résume dans une interview accordée au Figaro Denis Bauchard, ancien ambassadeur de France en Jordanie.
Tristan Hertig