L'ivresse du titre de champion du monde de football en décembre, avec quatre millions de personnes dans les rues de Buenos Aires pour le fêter, a laissé place à une durable gueule de bois en Argentine. Quatre millions, c'est trois fois moins que le nombre d'Argentins en situation de pauvreté, avec un revenu moyen par foyer de 124'000 pesos (316,2 francs).
C'est donc groggys d'inflation et désabusés par leurs politiciens que les Argentins votent pour désigner leur prochain président, avec comme choix trois candidats aux profils très différents.
Cette élection marque un tournant, avec la désaffection pour les deux grands blocs qui dominent la politique depuis vingt ans: la coalition péroniste (centre-gauche), au pouvoir de 2003 à 2015 puis depuis 2019 avec le président sortant Alberto Fernandez, et le bloc de centre-droit qui a gouverné de 2015 à 2019 avec Mauricio Macri.
Javier Milei, le Trump argentin
La colère argentine a un visage: Javier Milei, le favori du scrutin de dimanche. Ce nouveau venu en politique veut "dynamiter" la Banque centrale, nie la responsabilité humaine dans le changement climatique, a envisagé un marché de la vente d'organes... Mais surtout, il veut dégager "à coup de pieds au cul" la "caste politique qui parasite" l'Argentine depuis 30 ans.
Javier Milei, économiste ultralibéral de 52 ans, auparavant polémiste de plateaux TV, a déboulé en politique en 2021, élu député à Buenos Aires. Il a accumulé les propositions radicales dans un langage strident voire insultant et soulevé quelques thèmes tabous comme une dollarisation de l'économie.
Ce showman en meeting, sur fond de hard-rock et de cris de "Vive la liberté, bordel!", promet dérégulation et privatisations, un "plan tronçonneuse" dans les services publics, et d'en finir avec "cette aberration appelée justice sociale, synonyme de déficit budgétaire".
"Le lion" - image qu'il cultive, évoquant sa coiffure en bataille - rêve de refaire de l'Argentine une "puissance mondiale", comme lorsqu'elle était "terre promise" d'émigration, au début du XXe siècle. Une "grandeur retrouvée" qui n'est pas sans rappeler Donald Trump, pour lequel il a dit son admiration.
L'ADN centriste de Sergio Massa
Il peut paraître stupéfiant que le ministre d'une économie surendettée, à l'inflation parmi les plus élevées du monde (138%) et dont la monnaie dévisse, soit présidentiable en puissance.
C'est tout l'art de Sergio Massa, 51 ans, élégant et amène avocat de formation, mais politicien à temps plein depuis 25 ans, d'avoir tracé son sillon au point d'apparaître comme la moins mauvaise option pour un exécutif impopulaire.
A l'ADN centriste, jadis libéral, il fut chef de cabinet de la présidente péroniste Cristina Kirchner, puis candidat à l'élection présidentielle en 2015 contre ces mêmes péronistes, avant de se ré-allier à eux. En 2022, il s'est vu confier un "super-ministère", pompier au chevet d'une économie en soins intensifs.
Plus "politique" que technicien, homme de dialogue et surtout pragmatique, Massa a su manoeuvrer en maintenant le dialogue avec le Fonds monétaire international (FMI) sur les ajustements requis. Tout en gardant l'oreille des syndicats, et sans déclencher d'incendie social. Mais sans enrayer le rognement du pouvoir d'achat.
L'austérité de Patricia Bullrich
"Courage", "force", "ordre"... Les slogans de Patricia Bullrich disent le label de fermeté cultivé par cette politicienne de 67 ans au parcours singulier: militante d'extrême gauche proche de la guérilla des "Montoneros" dans les années 1970 - qui lui valut prison sous la dictature -, aujourd'hui cheffe de file de l'aile dure de la coalition d'opposition (centre droit).
"C'est tout ou rien" est le mot d'ordre de Patricia Bullrich, qui a dans son viseur un audit sévère du mille-feuilles d'aides sociales, des coupes budgétaires et une libéralisation des changes, aux risques et périls du peso. Et en parallèle, mettre un holà aux manifestations sociales récurrentes qui empoisonnent le quotidien de Buenos Aires.
Elle a le soutien marqué de l'ex-président libéral Mauricio Macri (2015-2019), qui fut tenté de se présenter. Atout douteux, étant donné le souvenir laissé par la crise de 2018-2019, et le prêt colossal de 44 milliards de dollars qu'il contracta auprès du FMI, que l'Argentine peine encore à rembourser.
asch avec afp
Javier Milei en tête des sondages
Selon la tendance pondérée d'une trentaine de sondages, Javier Milei arriverait en tête du premier tour, avec 35% des voix, voué à un second tour dans un mois avec Sergio Massa (30%). Patricia Bullrich, autour de 26%, est légèrement distancée.
Deux candidats mineurs, Myriam Bregman (gauche radicale) et Juan Schiaretti (coalition centriste) ne dépassent pas 4%.