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Aaron David Miller: "Au Proche-Orient, chaque avancée a été précédée par la terreur"

Aaron David Miller en novembre 2006 lors d'une conférence au Woodrow Wilson International Center à Washington. [AFP - Tim Sloan]
Israël "choqué" par les propos du Secrétaire général de l'ONU / Tout un monde / 11 min. / le 25 octobre 2023
Invité mercredi dans l'émission Tout un monde de la RTS, Aaron David Miller, ancien négociateur des Etats-Unis pour le Moyen-Orient, estime qu'au fil du temps une paix durable entre Arabes et Israéliens finira par s'imposer. Dans cette région, "chaque avancée a été précédée par la terreur et la guerre", a-t-il affirmé.

Aaron David Miller, chargé d’études principal au Fonds Carnegie pour la paix internationale à Washington, a consacré une bonne partie de sa carrière au Moyen et au Proche-Orient. Entre 1988 et 2003, en tant que conseiller dans les négociations israélo-arabes, il a servi six secrétaires d’Etat américains différents, participant ainsi aux efforts visant à négocier des accords entre Israël, la Jordanie, la Syrie et les Palestiniens.

Selon lui, la proximité des Etats-Unis avec Israël permet à Joe Biden de faire pression sur son allié pour éviter des pertes civiles. Le déploiement de deux porte-avions américains en Méditerranée orientale serait surtout un avertissement public donné au Hezbollah et au Hamas, afin qu'ils ne se mêlent pas de ce conflit.

Joe Biden ne veut pas d'une guerre

Mais il est très peu probable que les Etats-Unis aient réellement envie de s'impliquer militairement, surtout en année électorale, puisque la présidentielle aura lieu l'année prochaine. "L’implication des États-Unis dans une guerre régionale majeure, et je ne le prédis pas, ce n’est pas ce qui se passe actuellement, cela aurait un effet négatif", explique le diplomate.

Les guerres n’augmentent jamais la popularité du président des Etats-Unis

Aaron David Miller, chargé d’études principal au Fonds Carnegie pour la paix internationale à Washington

"L'opinion publique américaine reste hantée par l'Irak et l'Afghanistan", affirme Aaron David Miller. "Les guerres n’augmentent jamais la popularité du président. La seule exception, c’est Franklin Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale, mais dans ce cas, les objectifs étaient très clairs, l'ennemi aussi (...) Cela dit, on ne déploie pas deux porte-avions avec plus de 200 avions si l'on n'est pas prêt à les utiliser dans certaines circonstances. La question reste donc très ouverte".

Les craintes d'un embrasement de toute la région

Selon son analyse, le risque d'un conflit régional plus large semble faible. A la frontière sud du Liban, "le Hezbollah, soit la milice chiite qui est la puissance militaire dominante au Liban, ainsi qu'un allié clé de l'Iran et du Hamas, opère plus ou moins dans le cadre de règles permettant d'éviter une escalade".

"Il y a quelques tirs de mortiers et d'armes antichars, quelques attaques transfrontalières. Mais les Israéliens sont déployés en force. Ils ne vont pas commettre la même erreur que celle qu'ils ont déjà commise à Gaza, à savoir un échec majeur sur le plan du renseignement et sur le plan opérationnel", affirme Aaron David Miller.

Le Hezbollah veut éviter un conflit majeur, il sait qu'il ne serait pas seulement confronté aux Israéliens, mais aussi à la puissance aérienne américaine

Aaron David Miller, chargé d’études principal au Fonds Carnegie pour la paix internationale à Washington

Et de poursuivre: "Je pense que le Hezbollah veut éviter un conflit majeur. Si  cela devait se produire, il sait qu'il ne serait pas seulement confronté aux Israéliens, mais aussi à la puissance aérienne américaine."

L'autre risque serait un affrontement direct entre Israël et Téhéran, mais "ni les Iraniens, ni les Israéliens ne le veulent", assure l'expert.

L'avenir des traités de paix

Les accords d'Abraham, traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis, ainsi qu'entre Israël et Bahreïn, et qui permettaient une certaine pacification des relations avec ces pays ne sont pas caducs, estime Aaron David Miller: "Je ne pense pas que les pays qui ont participé aux accords (...) veuillent rompre ou geler leurs relations avec Israël. Ils sont prêts à tout pour ces accords".

Il existe une ouverture, (...) pour que les Israéliens et les Saoudiens poursuivent la normalisation de leurs relations

Aaron David Miller, chargé d’études principal au Fonds Carnegie pour la paix internationale à Washington

"Toutefois, si la campagne terrestre israélienne à Gaza se traduisait par une augmentation encore plus massive ou exponentielle du nombre de morts palestiniens, ce serait différent. Les pays signataires des accords d'Abraham prendraient leurs distances avec Israël", explique-t-il.

Même si les perspectives d'une normalisation israélo-saoudienne se sont refroidies, cela ne signifie pas non plus qu'elles sont terminées, affirme Aaron David Miller: "Il existe une ouverture, en fonction de la manière dont cette guerre se termine, pour que les Israéliens et les Saoudiens poursuivent leurs efforts en vue de normaliser une grande partie de leurs relations".

L'espoir d'une fin de conflit

Malgré l'embrasement actuel, Aaron David Miller ne désespère pas qu'entre Israéliens et Palestiniens une paix durable finisse par être trouvée. Selon lui, à l'exception des accords d'Abraham, qui sont des traités de paix "hors zone conflit", au Proche-Orient, "chaque avancée, Israël-Égypte, Israël-Jordanie, Israël-Palestine, a été précédée par la terreur et la guerre".

La paix viendra au fil du temps

Aaron David Miller, chargé d’études principal au Fonds Carnegie pour la paix internationale à Washington

Mais la perspective d'un gain doit être nécessaire pour chaque camp, "et pour cela, vous avez besoin d'un leadership. Les dirigeants israéliens et palestiniens doivent être maîtres chez eux, et non pas les prisonniers de leur idéologie, ils doivent croire profondément à la conclusion d’un accord de fin de conflit". Dans ce cas, "peut-être que quelque chose de meilleur sortira de ce long et sombre tunnel", estime-t-il, avant de conclure: "la paix viendra au fil du temps".

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Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adapatation web: Miroslav Mares

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