Réhabilité après des années pendant lesquelles il a été laissé à l’abandon, le puits des grands-parents de cette trentenaire crache à nouveau de l’eau. Elle servira à arroser les plants d’aubergine, de carottes ou de maïs que l’ex-citadine cultive.
Ancienne employée d’une entreprise pharmaceutique, Zidou a quitté Shanghai il y a un an pour venir s’établir dans le village de ses aïeux où les maisons vides sont légion. Câblages électriques, coup de peinture, réfection des sols, installation de sanitaires, Zidou a retapé une bicoque sommaire avec des amis. A une heure à peine du coeur de la capitale économique et financière chinoise, elle ouvre ses portes à ceux qui, comme elle, ont décidé de vivre autrement.
"J’ai baptisé mon groupe 'restons couchés'", indique-t-elle dans La Matinale mercredi. "C’est une sorte d’association informelle qui a pour but d’offrir un espace pour respirer, réfléchir à une nouvelle orientation de vie, loin du stress et de la frénésie du monde professionnel. L’objectif, c’est que les gens sans emploi viennent ici, se reposent, partagent. C’est un lieu de rencontre où l’on s’encourage les uns les autres et où on fait parfois des activités entre amis."
Changer de vie
Le mouvement 'rester couché' – Tangping en chinois – a gagné en popularité ces dernières années. Né d’un rejet du train de vie effréné dans certains secteurs de l’économie, ses adeptes optent pour une vie simple au confort minimal. L’explosion du chômage des jeunes a confirmé la tendance. Un quart d’entre eux étaient sans emploi fin juin lorsque les autorités ont décidé de ne plus publier la statistique. Des jeunes qui déchantent face au déclin économique.
Master en poche depuis plus d’un an, Tianfei n’a jamais travaillé plus de trois mois. Elle participe régulièrement aux rencontres chez Zidou. "J’ai toujours été bonne élève. J’ai toujours travaillé dur. J’ai fréquenté une école réputée où j’étais entourée presque exclusivement de bons élèves. On était fiers, certains de décrocher un jour un bon emploi. C’était de la poudre aux yeux", raconte-t-elle.
"Non seulement, il y a peu de places, mais décrocher un emploi intéressant, c’est difficile. Et puis, travailler sous pression, de longues heures, assise dans un bureau, ce n’est pas ça le bonheur. La joie des choses simples, des paysages naturels, c’est ça le bonheur", renchérit-elle.
Emplois à pourvoir
L'amertume des jeunes est liée avant tout au manque de perspectives professionnelles. Et pourtant, des emplois, il en existe, explique Madame Xu qui est à la tête d’une entreprise active dans le textile à Canton, dans le sud de la Chine. "Actuellement, on n’a pas d’autre solution. On ne parvient pas à recruter de jeunes, alors on se tourne vers des candidats plus âgés. On veille à engager ceux qui ont gardé une bonne condition physique. Au moins eux savent se montrer flexibles. On n’a pas le choix."
Madame Xu peine à recruter et la pénurie frappe de nombreuses industries. En cause: l’inadéquation entre les besoins du marché du travail et la formation. Selon les autorités chinoises, il pourrait manquer 30 millions d’ouvriers dans le secteur industriel d’ici 2025.
Pour Madame Xu, les priorités des jeunes ont changé. "Les jeunes aujourd’hui préfèrent travailler peu et passer plus de temps avec leurs amis. Ils ont beaucoup plus de temps libre. Ils ne sont pas comme nous. Pour nous, le travail, c’est le travail. On l’accepte, qu’importe s’il faut travailler de longues heures. On a le sens du sacrifice. Les jeunes ne veulent pas laisser de côté leur vie personnelle. Ils posent clairement les limites."
Critiques nombreuses
Des limites qui déplaisent au pouvoir: Pékin dénonce une attitude honteuse, et Xi Jinping en personne a critiqué l'état d’esprit de ces jeunes.
"Je ne sais pas où ce mouvement va mener mais je soutiens tous les jeunes et leur quête de plénitude et d’épanouissement. C’est important et tant mieux si la crise éveille les consciences. Ce n’est qu’en faisant quelque chose que l’on aime que l’on peut développer entièrement son potentiel et s’épanouir sur le plan personnel", justifie Zidou.
Loin du tumulte des grandes villes, Zidou reste de marbre face aux critiques. Quant à la question pourtant centrale de l’avenir et des moyens de subsistance, Tianfei botte en touche. "Le futur, au vu de la situation actuelle, je ne sais pas. Il faut vivre l’instant présent. On n’a pas la choix. L'avenir, on verra. Quels que soient les problèmes ou les obstacles, il faut les franchir un à un et renforcer son expérience de vie. S’inquiéter ne sert à rien. La situation ne va pas s’améliorer parce que tu t’inquiètes."
Un état d’esprit qui, s’il ne représente pas toute la jeunesse chinoise, traduit la fin d’un optimisme que certains pensaient à toute épreuve.
Sujet radio: mp
Adaptation web: juma