Dernier conflit en date: la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée par l'attaque sans précédent du mouvement islamiste palestinien le 7 octobre sur le sol israélien à partir de la bande de Gaza. Le président américain Joe Biden avait déclaré qu'Israël avait le droit et la responsabilité de se défendre après l'attaque du Hamas. Mais il avait aussi évoqué le besoin d'une paix future.
Sur le terrain, les activistes pour la paix en Israël et dans les territoires occupés sont un tout petit nombre. Leurs conditions de travail sont déjà extrêmement difficiles, mais depuis début octobre, leur situation s'est encore dégradée, comme le souligne Eran Nissan, ancien militaire des troupes d'élite israéliennes, aujourd'hui directeur de Mehazkim, une organisation qui veut faire d'Israël une société plus progressive et inclusive.
"Le défi auquel nous devons faire face est beaucoup plus grand aujourd'hui, non seulement parce que nous devons combattre le sentiment nationaliste, l'extrême droite très militarisée en Israël, et les extrémistes de tous bords dans la société israélienne ou palestinienne. Mais nous devons aussi affronter les modérés, ceux du centre de l'échiquier politique, qui avant le 7 octobre étaient sensibles à nos arguments de paix, de compromis et d'empathie. Aujourd'hui, ils nous tournent le dos, nous disant que ce n'est pas possible, que trop des leurs sont morts, et qu'ils n'ont plus de place dans leurs coeurs pour penser aux enfants qui sont de l'autre côté", a-t-il expliqué vendredi dans l'émission Tout un monde de la RTS.
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Augmentation des menaces
Eran Nissan explique que le simple fait d'être non-violent classe les gens dans la catégorie de ceux qui soutiennent l'autre camp, au risque de se mettre physiquement en danger. Le directeur de Mehazkim dit être lui-même menacé.
"Nous avons vu une augmentation dramatique non seulement des menaces, mais aussi des attaques. Des personnes sont attaquées physiquement, pas seulement en ligne. Il y a des photos, des adresses, des numéros de téléphone qui circulent. Certains subissent du harcèlement et de l'intimidation. Le sentiment qui prédomine, c'est que si l'on promeut une désescalade, un cessez-le-feu ou même un accord où l'on évoque le relâchement de prisonniers et la possibilité pour les otages de rentrer chez eux, cela veut dire miner l'effort national de défense", précise-t-il.
Les voix de la violence sont plus fortes dans les médias et les espaces publics
Souleiman Khatib, un Palestinien de Ramallah qui a passé dix ans dans les geôles israéliennes et qui a cofondé, après la deuxième Intifada, l'organisation Combattants pour la Paix, abonde dans le sens d'Eran Nissan.
"Les dernières semaines ont été extrêmement difficiles. Peut-être que nos voix ne sont pas celles du grand public, surtout en ce moment. Les voix de la violence sont plus fortes dans les médias et les espaces publics. Mais je crois aussi, en tant qu'ancien combattant palestinien, qu'il n'y a pas de solution militaire à notre conflit et que de plus en plus de gens vont s'en rendre compte. Je crois que c'est le moment où nous devons élever notre voix encore plus fort."
Malgré les menaces, les combattants pour la paix qui regroupent Israéliens et Palestiniens continuent d'organiser des séances Zoom publiques, où ils portent un message commun.
Aussi en Suisse
Ces tensions, ces divisions, cette impossibilité de parler et de communiquer sur une base apaisée s'exporte loin des lieux du conflit, y compris en Suisse, comme en témoigne une personne restée anonyme et qui dirige une association regroupant juifs, chrétiens et musulmans à Genève.
Elle finance des projets de militants pour la paix au Proche-Orient, mais ne veut plus intervenir ni poster des commentaires sur les réseaux sociaux pour ne pas alimenter des discussions stériles, haineuses ou partisanes. Les gens ont peur, dit-elle, se sentent désécurisés, y compris dans une ville aussi paisible et multiculturelle que Genève.
Son association se limite aujourd'hui à soutenir les activités des militants pour la paix sur le terrain et mettre sur pied des ateliers sur le thème de l'empathie dans des classes d'écoles privées du canton. Les questions politiques, trop sensibles, ne sont pas abordées.
Institutions académiques visées
Parler de résolution de conflits ou de paix, c'est avancer en terrain miné, y compris dans les institutions académiques - à l'image de l'Institut de recherche sur la paix à Oslo -, dont la vocation est de créer les conditions de relations pacifiques entre Etats. Henrik Urdal, directeur de l'Institut norvégien, ressent la tension belliqueuse du moment, bien loin de l'atmosphère des accords de paix d'il y a 30 ans.
Il est extrêmement important que nous soyons en mesure de valider de manière fiable les informations
"ll y a beaucoup de désinformation, beaucoup de faux récits, y compris le partage d'images et de films qui peuvent être générés par l'intelligence artificielle ou qui ont été collectés à d'autres périodes ou dans d'autres situations. Il est donc extrêmement important, dans cette situation, que nous soyons également en mesure de valider de manière fiable les informations qui sont partagées avec les décideurs politiques, mais aussi avec le grand public", explique-t-il, tout en pensant que ces chercheurs peuvent toujours fournir un travail utile pour une désescalade dans les conflits actuels.
Henrik Urdal indique la nécessité de travailler avec différents mécanismes et des espaces de discussion pour réduire l'intensité des conflits, tout en essayant de trouver des moyens d'engager les populations locales dans un travail qui, au fil du temps, peut également fournir une base pour la réduction de la violence et des solutions aux problèmes politiques à long terme.
Conserver un espace de discussions
Pour de nombreux observateurs, comme Pascal de Crousaz, il est essentiel de conserver ces espaces de discussion sur la paix. "Moralement, c'est extrêmement important. Ce sont des voix qui oeuvrent à essayer d'éviter d'ajouter de la violence à la violence; des orphelins aux orphelins; des veuves aux veuves; des parents endeuillés à des parents endeuillés."
D'autant plus que le conflit israélo-palestinien est susceptible de dégénérer en un affrontement régional, voire mondial. "Ce conflit est probablement plus dangereux qu'il ne l'a jamais été, à l'exception peut-être de la fin de la guerre du Kippour. Parce qu'on est dans un contexte de rivalités et de tensions qui sont exacerbées entre deux grands blocs, d'une part la Russie, l'Iran, la Chine et, dans une certaine mesure, la Corée du Nord et quelques autres pays proches. Et puis, d'autre part, les Etats-Unis, l'Europe, ce qu'on appelle l'Occident global, qui sont des rivalités qui sont en permanence exacerbées, des tensions qui sont juste en deçà de l'affrontement direct. On le voit en Ukraine et ailleurs."
Francesca Argiroffo/jfe