L'annonce de l'Université Jiaotong de Xi'An, un établissement de premier plan en Chine, a fait sensation. "Bravo! Enfin! En Chine, contentons-nous du chinois! Conditionner l'obtention d'un diplôme universitaire chinois au succès d'un examen d'anglais est tout simplement ridicule": telles sont certaines des réactions que l'on peut lire sur les réseaux sociaux.
Dans le sillage de cette annonce, de nombreux internautes ont demandé l'abolition du fameux test national d'anglais, un examen standardisé imposé pour la première fois en 1987, parallèlement aux réformes économiques et à l'ouverture initiée par Deng Xiaoping.
L'anglais, un baromètre du degré d'ouverture
L'engouement pour l'anglais et son enseignement ont fluctué en Chine au cours des décennies. L'attitude à l'égard de la langue de Shakespeare est vue par certains observateurs comme un véritable baromètre permettant de mesurer le degré d'ouverture ou de fermeture du pays.
Introduit sous l'Empire Qing, la dernière dynastie chinoise, au début des années 1900, l'enseignement de l'anglais a subsisté jusqu'à l'arrivée au pouvoir des communistes de Mao Tsé-Tung. Noyés par l'idéologie maoïste et la guerre froide, ces cours de langue disparaissent en 1954. "Réintroduits au moment de la réouverture de la Chine avec les réformes de Deng Xiaoping à la fin des années 1970, les cours d'anglais ont beaucoup intéressé les Chinois, qui avaient été privés de toute culture étrangère", a précisé Renaud De Spens lundi dans l'émission Tout un monde.
Selon le sinologue et auteur d'ouvrages pour apprendre le chinois, l'entrée du pays dans l'OMC en 2001 a marqué l'âge d'or de la langue de Shakespeare (lire encadré). Durant cette période où les délocalisations vers la Chine battaient leur plein, "il fallait parler anglais", souligne-t-il.
Danger de "pollution culturelle"
Les critiques à l'égard de l'enseignement de l'anglais étaient cependant déjà présentes à l'époque. Les cours mis en place dans les écoles et les universités sous l'ère de Deng Xiaoping étaient sujette à de nombreuses critiques, certaines soulignant le danger de l'influence étrangère.
"Il y a toujours eu des débats à ce sujet. Et dès les années 2010, le gouvernement chinois et les penseurs ont pointé non seulement le danger de pollution culturelle, mais aussi le danger d'aliénation d'une partie de la société chinoise: ceux qui n'avaient pas les moyens de se payer des cours particuliers d'anglais pour être au niveau", explique Renaud De Spens.
On a d’une part un raidissement sécuritaire, d’autre part une politique un peu populiste
Proposés par des instituts privés, ces cours particuliers ont explosé au cours des années 2000, avant que ce juteux business ne soit torpillé il y a deux ans par Xi Jinping au nom de la pression financière imposée sur les classes moyennes, étouffées par les impératifs liés à la compétition académique farouche. Les cours privés parascolaires en tout genre ont alors été interdits.
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Pour le sinologue, ces assauts contre l'enseignement de l'anglais en disent long sur l'évolution récente de la Chine. Il y voit trois explications principales: "On a d'une part un raidissement sécuritaire, d'autre part une politique un peu populiste, puisque les classes populaires, impactées par l'obligation de pouvoir bien parler anglais, sont contentes qu'on ne mette pas cette langue comme critère déterminant pour entrer à l'université. Et d'autre part aussi, c'est un baromètre de l'état des tensions internationales", pointe-t-il.
On ne cherche plus à s’ouvrir en Chine. Ça n'est plus du tout un concept vivant et en développement
Dans une Chine toujours plus fermée, ces tensions internationales pèsent lourd aujourd'hui. Signe des temps, de nombreux manuels d'anglais ont été revus et corrigés pour enseigner un contenu gorgé de propagande, avec la vie, l'œuvre et la vision de Xi Jinping en anglais. Les élèves apprennent désormais à s'exprimer sur la place de la Chine dans le monde de demain et sur la nouvelle ère chinoise, un nationalisme exacerbé promu par le dirigeant le plus puissant depuis Mao Tse-Tung.
"On ne cherche plus à s'ouvrir en Chine. On parle de manière extrêmement figée. Ce n'est plus du tout un concept vivant et en développement… C'est l'idéologie qui est au pouvoir", déplore encore Renaud De Spens.
A noter qu'à l'heure où la Chine serre la vis, Taiwan, de son côté, s'est fixé l'objectif adverse, un objectif ambitieux: devenir bilingue d'ici 2030.
Sujet radio: Michael Peuker
Adaptation web: Vincent Cherpillod
L'anglais omniprésent au tournant des années 2000
Dès la fin de la décennie 1990, les jeunes Chinois sont partis étudier à l'étranger. L'enseignement de l'anglais s'est répandu jusque dans les écoles maternelles.
En 2000, le "gourou de l'anglais" Li Yang a lancé sa méthode intitulée "Crazy English". Le concept: faire répéter, crier des phrases type à des foules pour apprendre de manière désinhibée. Li Yang a alors rempli des salles de spectacles et des stades entiers.
"Les gens d'ici sont frustrés, découragés par l'expérience qu'ils ont eu de l'anglais. Ils ont appris la grammaire, les règles, le vocabulaire depuis dix ans, mais ils sont incapables de communiquer", analysait alors Li Yang, pour qui l'ouverture au monde, l'accession de la Chine à l'OMC, l'entrée dans l'ère d'internet et l'ère de l'information imposaient aux Chinois d'apprendre l'anglais de toute urgence.