Les comptes d’influenceurs et influenceuses sont plus efficaces que la publicité. Les marques passent désormais par ce biais pour vendre leurs produits. En Suisse, une athlète fait encore plus vendre que Roger Federer, c’est la footballeuse Alisha Lehmann, qui fait partie de l'équipe nationale. Elle est suivie par 14 millions d’abonnés sur Instagram et plus de 9 millions sur X. Vêtements, bijoux, jeux vidéo, boisson... chaque produit placé dans un de ses posts rapporte en moyenne 275'000 francs à la marque.
"Je ne suis pas influenceuse, je suis footballeuse. J'ai un contrat avec un club. Je joue tous les jours au foot. Au fond, je fais plus de shooting photo que d'autres joueuses et je travaille avec certaines marques, mais ce n’est pas autant qu'on pourrait le croire", s'est toutefois défendue Alisha Lehmann dans le 19h30 du 28 juillet 2023.
Les effets du marketing d’influence ont été mesurés récemment en Suisse dans une étude de la Fédération romande des consommateurs. Elle montre qu’une majorité des partenariats liés à des produits gras et sucrés ciblent les jeunes, sans mention de publicité. Et les conséquences sont chiffrées: selon une enquête allemande, la moitié des 8-15 ans ont voulu acheter un produit recommandé par un influenceur, 43% des 16-24 disent l’avoir acheté.
Des influenceuses choyées
Les marques ont bien compris le filon et soignent leur rapport avec les créatrices de contenu, comme cette marque de cosmétique qui promeut son soutien aux abeilles. "On travaille sur le long terme avec nos influenceuses, nos créatrices de contenus", déclare Justine Zamataro, relations publiques et communication manager chez Clarins, dans Mise au point le 27 août 2023.
Elle ajoute qu'inviter les influenceuses à participer à une journée autour de la marque permet de "leur faire vivre une expérience" qu'elles partagent sur leurs réseaux "en retour".
Parfois de mauvais conseils
En Suisse, ne pas mentionner explicitement une publicité tombe sous le coup de la loi sur la concurrence déloyale, de la loi sur la publicité pour les produits du tabac ou encore de la loi sur la santé publique, mais elles sont rarement appliquées.
Est-ce suffisant pour prévenir les dérives possibles en matière par exemple de santé? Vendre à un public jeune du tabac, un coupe-faim ou déconseiller l’usage de la crème solaire peut avoir des conséquences dangereuses.
>> Sur le sujet, lire : Attention aux influenceurs qui déconseillent l'usage de crème solaire
Récemment, des influenceurs ont conseillé à leurs abonnés de prendre de l'ozempic comme coupe-faim miracle. Ce médicament est prescrit aux personnes souffrant de diabète de type II.
Si le médecin ne prescrit pas un produit, les patients vont en voir un autre
L’effet est tel qu'en Suisse, des médecins subissent des pressions pour en prescrire, comme en témoigne François R. Jornayvaz, médecin-chef du Service d'endocrinologie aux HUG, dans le 19h30 du 23 septembre 2023.
"La pression des patients: si le médecin ne prescrit pas un produit, les patients vont en voir un autre, jusqu'à pouvoir obtenir une ordonnance. Quitte à payer le produit eux-mêmes. (...) Maintenant, beaucoup de gens souhaitent perdre du poids mais parfois ce sont aussi des dérives qui sont esthétiques, en prévision de l'été ou pour enfiler un maillot de bain et il y a de nombreuses utilisations qui sont inappropriées."
Résultat, le médicament est en rupture de stock et l’autorité d’autorisation et de surveillance des médicaments a dû intervenir. Swissmedic rappelle que "la préparation Ozempic n'est pas autorisée comme produit amincissant" et que sa prise dans ce cadre est alors une "utilisation hors indication".
>> Pour aller plus loin, lire : Les dérives de l'Ozempic, médicament anti-diabétique détourné pour son effet coupe-faim
Une profession encadrée
Pour mieux encadrer la profession dans laquelle plusieurs abus ont été relevés, la loi française a été adaptée au marketing d’influence.
Ainsi, ne pas expliciter un contenu publicitaire ou promouvoir la chirurgie esthétique est puni d’amende pour celles et ceux qui se font payer pour influencer leurs abonnés. La condamnation devra figurer clairement sur le compte.
>> pour en savoir plus, lire: Le travail des influenceurs désormais encadré par la loi en France
Influencer sur les bonnes choses aussi
Mais les influenceurs permettent aussi de promouvoir de belles choses, comme le monde de l'édition qui a ses propres influenceuses, à l'image du @Souffle des mots (87'000 abonnés Tiktok, 112'000 sur Youtube). "Les éditeurs nous proposent des contrats autour de certains titres à paraître, ou seulement pour un échange de visibilité", décrit l’influenceuse littéraire Audrey Tribot, qui gère @lesouffledesmots, dans le 19h30 du 29 août 2023.
>> Lire aussi : Les influenceurs littéraires dopent les ventes de livres au Portugal
Les influenceurs servent aussi aux causes humanitaires. La love army du youtuber Jérôme Jarre a réussi en 2017 à lever un million de dollars et à affréter un avion rempli de 60 tonnes de nourriture pour lutter contre la famine qui sévit en Somalie. En 2022, le Z Event du streamer Zerator et 60 autres influenceuses et influenceurs ont permis de lever 10 millions pour quatre ONG écologistes en plus de 50 heures.
En ces temps d’inflation, la tendance sur Tiktok est de donner des conseils pour gérer son budget. Mais souvent, les conseils n'aident pas les abonnés car ils ne sont pas adaptés, explique Mélanie Dieguez, cheffe du secteur intervention et orientation sociale à Caritas Vaud, dans le 19h30. "Souvent, ces conseils ne sont ni individualisés, ni personnalisés et ils sont généraux, parfois même avec des erreurs ou des approximations qui peuvent être problématiques."
Et vous dans tout ça?
Ce marketing d’influence rend encore plus complexe notre rapport à la publicité. Il faut donc miser un maximum sur la prévention, surtout auprès des plus jeunes.
Au niveau de la loi, le nouveau digital services act européen en vigueur depuis août dernier veut interdire notamment le ciblage des mineurs, limiter la désinformation, limiter drastiquement la manipulation des consommateurs. De quoi réglementer l'action des fournisseurs et des plateformes et aider les associations comme la Fédération romande des consommateurs à avancer en Suisse.
>> Lire également : Le grand nettoyage des réseaux sociaux débute en Europe
Claire Burgy