Hugo Micheron, enseignant et chercheur français en sciences politiques, sociologie et géopolitique, a expliqué dans l'émission Tout un monde que l'Europe a connu plusieurs vagues de terrorisme de différente intensité en près de trente ans.
"Au milieu des années 2000, le contexte géopolitique déterminant, c'est la guerre en Irak qui intervient après l'invasion américaine et qui crée les premières filières de djihadistes européens. A ce moment-là, on est à un tournant depuis les attentats du 11 septembre 2001", constate-t-il.
"Dix ans plus tard, c'est la guerre civile syrienne et l'émergence dans le chaos syrien de Daech qui vont être le point d'impulsion d'une nouvelle dynamique djihadiste européenne, beaucoup plus puissante et plus grande que les précédentes. Elle va se traduire par la campagne de terreur que l'Europe a connue entre 2014 et 2017", ajoute Hugo Micheron, de passage à Genève à l’invitation de la Société de Lecture.
Pas de disparition du mouvement
Les attentats de Paris en 2015 et ceux de Bruxelles en 2016 marquent un paroxysme dans l'histoire du djihadisme en Europe. Puis, avec l'effondrement de Daech en Syrie, ces questions ont diminué d'intensité dans l'espace public. Mais elles n'ont pas disparu, selon Hugo Micheron. On se trouve plutôt en période de tentative de recomposition du mouvement.
"On est encore dans un type d'attentats très commun ces derniers temps, c'est-à-dire des attentats d'individus plutôt isolés, pas des attentats projetés par des groupes djihadistes vers l'Europe", décrit-il. A l'image de l'enseignant français tué à Arras à la mi-octobre et des deux Suédois assassinés en pleine rue à Bruxelles peu après. Les auteurs se sont revendiqués du groupe Etat islamique.
Donc, face à ce retour du terrorisme islamiste, la Commission européenne appelle le Parlement et les Etats membres à accélérer la mise en place de "l'Union de la sécurité", avec notamment des mesures d'expulsion facilitées.
Aux Etats-Unis, le directeur du Bureau Fédéral d'Investigation (FBI) Christopher Wray a pour sa part averti que la guerre au Moyen-Orient avait "porté la menace à un tout autre niveau".
"Inspirer" pour "fragiliser"
Le chercheur explique aussi que le mode opératoire actuel des terroristes islamistes cherche à en inspirer d'autres ailleurs et à fragiliser la stabilité des pays visés.
En visant une école, l'auteur de l'attaque d'Arras a cherché à viser un édifice républicain qui est extrêmement puissant en France
"On a un mode opératoire qui a été diffusé et qui en fait cherche à inspirer des sympathisants partout dans le monde pour procéder à des attentats avec les moyens du bord", lance-t-il. "Les effets politiques peuvent être immenses. On le voit bien avec le choix de viser une école et un professeur en France: ça a immédiatement fait un débat politique très grave. L'auteur a donc cherché à fragiliser un édifice républicain qui est extrêmement puissant en France."
De pire en pire
Au-delà du message véhiculé par les terroristes, Hugo Micheron s'inquiète que ces périodes de terrorisme islamiste en Europe soient chaque fois plus fortes. "Quelques dizaines de djihadistes sont apparus dans les années 1990 en Europe et, 20 ans plus tard, 6000 Européens ont rejoint Daech. Cela veut dire qu'il y a une dynamique qui a plutôt tendance à s'étendre."
Ces périodes s'étendent et s'installent même puisque la force de l'EI est d'avoir commencé à recruter des femmes pour ériger son califat. De quoi permettre aux djihadistes de se projeter directement sur la génération suivante.
Des similitudes entre Hamas et Djihad
Bien que l'attaque du Hamas du 7 octobre n'ait pas de lien direct avec les attentats survenus en Europe, comme le note l'invité de Tout un monde, le mouvement islamiste a employé une méthode très proche de celle de Daech. Mais ce n'est pas la seule similitude: l'utilisation des réseaux sociaux pour couvrir le conflit est une manière pour le Hamas de rallier des partisans à sa cause, sinon de les classer dans la catégorie "ennemis".
"Dans les mouvances islamistes, on voit plutôt la volonté de dire qu'il faut être soit avec Israël et dans ce cas-là vous êtes un ennemi, soit avec le Hamas ou les Palestiniens et dans ce cas vous soutenez tout ce que le Hamas fait et toutes les méthodes de lutte contre Israël", détaille-t-il.
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Pour les djihadistes, l'objectif n'est pas de soutenir le Hamas mais d'ouvrir un front en Europe, comme ils ont déjà tenté de le faire par le passé, rappelle Hugo Micheron.
"Ce sont des méthodes de ré-importation, c'est pour cela qu'il faut être vigilant", avertit le chercheur alors que les sociétés européennes ont une grande capacité d'oubli. A ses yeux, celles-ci devraient plutôt utiliser les périodes de "marée basse" pour prévenir la prochaine vague.
Sujet radio: Francesca Argiroffo
Adaptation web: Julie Marty
Le nouvel ouvrage d'Hugo Micheron, "La colère et l’oubli, les démocratie face au djihadisme européen", est paru chez Gallimard en avril 2023. Il a décroché le Prix Femina Essai.
Les pistes pour mieux combattre le djihadisme
Comprendre
La première chose à faire pour lutter contre le djihadisme est de le comprendre, indique Hugo Micheron dans Tout un monde. Le chercheur estime que les sociétés occidentales sont prises au piège de la rhétorique de ces groupes. "Nos débats publics sont assez insuffisants parce qu'on tombe dans leur piège. En France, pour garder le débat autour du djihadisme, reviennent très vite les questions de laïcité et de savoir si tout cela n'a pas été produit par les principes républicains via des éléments de marginalisation politique, culturelle et sociétale." Alors que ce n'est pas toujours exact.
Certains chiffres comme les lieux d'origine des individus partis combattre en Syrie, par exemple, démontrent que les djihadistes viennent surtout de régions où il y a une histoire militante particulière et non de celles qui sont les plus défavorisées.
Agir davantage sur les réseaux sociaux
Le chercheur français souhaiterait en outre que les sociétés qui veulent combattre le djihadisme agissent davantage sur les réseaux sociaux, la première source d'information des 15-25 ans. Il faudrait en faire une priorité non seulement à cause du déchaînement de violence actuelle mais aussi parce qu'ils éclairent les passages entre groupes islamistes et djihadistes.
"Au-delà du djihadisme, il y a une question de l'activisme islamiste au sens large qui inclut les Frères musulmans et les salafistes. Ces derniers sont en expansion de façon très impressionnante sur les réseaux sociaux, notamment TikTok. Ils produisent beaucoup de contenus à destination de la jeunesse, ce qui traduit une logique d'éducation à long terme."
"Evidemment que ce n'est pas du djihadisme au sens propre mais cela crée un environnement qui va faciliter la diffusion des idées du courant vers des milieux beaucoup plus larges que simplement les milieux militants", précise l'auteur de plusieurs livres sur le djihadisme.
Réglementer les migrations
Hugo Micheron aimerait surtout que l'Europe sorte d'une logique uniquement sécuritaire ou de réglementation des migrations comme elle l'a fait jusqu'à présent.
"Il faut arrêter de considérer que le djihadisme est une question sécuritaire, que tout cela est de la responsabilité de l'État."
"La partie sécuritaire concerne les services de police certes, mais la dimension politique et sociétale est une question qui nous touche toutes et tous. Et si on ne s'empare pas des outils pour penser ce phénomène, on risque d'être en partie dépassé, en tout cas laissé dans cet état de perplexité et de sidération qui atteint tout le monde dès qu'il y a un attentat ", conclut-il.
Nouvel ouvrage d'Hugo Micheron: "La colère et l’oubli, les démocratie face au djihadisme européen", Gallimard, avril 2023