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A Gaza, la médecine désarmée par la guerre

Dans la bande de Gaza, les ONG rapportent une situation humanitaire chaotique. Alors que le bilan s’alourdit de jour en jour, les équipes médicales travaillent en sous-effectif et avec des moyens très limités sous les bombes de l’armée israélienne. 

Les équipes médicales sur place font face à un afflux massif de blessés. Le blocus imposé par Israël, l’évacuation de centaines de milliers de civils et les bombardements incessants sont autant de facteurs qui rendent leur travail extrêmement difficile.

Les ONG espèrent toujours un cessez-le-feu et un couloir d’aide humanitaire stable et durable pour aider les populations.

Des blessés en souffrance et des soignants dépassés

Médecins Sans Frontières, le CICR, Médecins du monde, civils ou soignants locaux s'attellent à soigner une masse de patients dans la bande de Gaza. Des blessés souvent graves qui ont besoin d'une prise en charge chirurgicale, de traitements pour grands brûlés ou de suivis postopératoires dans une situation de pénurie quasi totale.

"Il y a encore quelques soignants de Médecins Sans Frontières qui travaillent à l'hôpital Shifa. Cet établissement peut traiter 700 patients et s'occupe actuellement de 5000 blessés", selon Friederike van Dongen, responsable des affaires humanitaires à MSF, basée à Jérusalem-Est. Et d’ajouter: "Il n'y a pas d'anesthésie ni d'antidouleurs, ce qui oblige les chirurgiens à effectuer des interventions chirurgicales sans antidouleurs. Nos collègues racontent qu’ils entendent les patients crier de souffrance, y compris les enfants." Dès le 19 octobre, Médecins Sans Frontières recensait chaque jour environ 800 à 1000 nouveaux blessés dans les centres médicaux du territoire palestinien et environ 9700 patients en danger de mort faute de soins.

Dans un secteur humanitaire en crise, MSF tente de garder la tête hors de l'horreur. [AFP - Mohammed Abed]
Dans un secteur humanitaire en crise, MSF tente de garder la tête hors de l'horreur. [AFP - Mohammed Abed]

Au cœur de la guerre, l’activité humanitaire est quasiment coupée du monde, souvent privée de communication avec l’extérieur. Les rares témoignages décrivent une situation sanitaire et sécuritaire catastrophique. "Plusieurs fois par jour, on apprend qu'un autre établissement de santé a été contraint de fermer, soit en raison des dégâts subis lors des bombardements, soit en raison du manque de fournitures médicales ou d'électricité", déplore-t-elle. Friederike van Dongen explique que certains de ses collègues palestiniens "très courageux" ont pris la décision difficile "de rester dans le nord de Gaza et risquent leur vie pour tenter de sauver autant de patients que possible".

Plusieurs fois par jour, on apprend qu'un autre établissement de santé a été contraint de fermer, soit en raison des dégâts subis lors des bombardements, soit en raison du manque de fournitures médicales ou d'électricité

Friederike van Dongen, responsable des affaires humanitaires à MSF

Guillemette Thomas, coordinatrice médicale chez Médecins Sans Frontières, rapportait déjà le 18 octobre une situation sécuritaire chaotique, après dix jours de conflit. "Une ambulance a été ciblée et cet exemple n’est pas isolé (...). Les activités sont extrêmement difficiles à mener dans ce contexte." Les équipes de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) déplorent déjà la perte de 63 collaborateurs depuis le début du conflit.

Les effets du blocus et du déplacement de la population 

En vue de sa campagne de bombardements et de ses opérations terrestres, le gouvernement israélien a sommé la population de quitter le nord de l’enclave. Au total, sur les 2,4 millions de Gazaouis, on compte 1,4 million de personnes déplacées, d’après l'UNRWA. L’institution héberge dans 149 abris "près de 672'000 personnes déplacées", d’après un communiqué publié le 30 octobre. Selon Médecins Sans Frontières, cette évacuation massive a aggravé la situation dans l’enclave, avec des soignants contraints de "choisir entre abandonner leurs patients ou rester et prendre le risque de mourir".

L'une des raisons pour laquelle il est si difficile pour les secouristes d’extraire les victimes des décombres, c’est qu'ils n'ont pas l'équipement approprié, à cause du blocus imposé par Israël depuis 16 ans

Friederike van Dongen, responsable des affaires humanitaires à MSF

Par ailleurs, le blocus militaire imposé par Israël depuis la prise de pouvoir du Hamas en 2007 a un impact important sur les capacités des centres médicaux et des secouristes. "Avant la guerre, Israël contrôlait déjà strictement les importations de toutes les marchandises à Gaza. Ce qui inclut l'importation d'équipements médicaux (...). Et l'une des raisons pour laquelle il est si difficile pour les secouristes d’extraire les victimes des décombres, c’est qu'ils n'ont pas l'équipement approprié, à cause du blocus imposé par Israël depuis 16 ans", ajoute Friederike van Dongen.

"Il n’y aura pas de cessez-le-feu"

Les ONG espèrent toutes la fin des bombardements et "un accès de l’aide humanitaire sans conditions et dans toute la bande Gaza", explique Guillemette Thomas. Mais l’armée israélienne a annoncé intensifier ses frappes sur le territoire palestinien pour "anéantir le Hamas". Elle a aussi décidé d’augmenter le nombre de ses soldats déployés et n’entend pas limiter ses opérations.

Des camions d'aide humanitaire entrent dans la bande de Gaza au 15e jour de guerre entre Israël et le Hamas. [Keystone - EPA/Khaled Elfiqi]
Des camions d'aide humanitaire entrent dans la bande de Gaza au 15e jour de guerre entre Israël et le Hamas. [Keystone - EPA/Khaled Elfiqi]

Depuis le 21 octobre, plusieurs convois d’aide humanitaire ont pu rentrer dans la bande de Gaza. Le 29 octobre, 33 camions ont livré des médicaments et des produits de première nécessité, mais la situation reste très critique.

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’est alarmé dimanche d’une situation "de plus en plus désespérée", regrettant "l’intensification des opérations militaires d’Israël". Il a par ailleurs relancé son appel du 24 octobre à un "cessez-le-feu immédiat". Lundi, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a répondu qu’il n’y aura pas de cessez-le-feu. "Les appels à un cessez-le-feu sont des appels à Israël à se rendre face au Hamas. Cela ne se produira pas", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à Tel Aviv. Son gouvernement a également demandé la démission du secrétaire général de l’ONU et a menacé de ne plus délivrer de visas au personnel de l’institution.

>> L'interview dans La Matinale de William Schomburg, chef de mission du CICR à Gaza :

La situation humanitaire empire dans la bande de Gaza: interview de William Schomberg
La situation humanitaire empire dans la bande de Gaza: interview de William Schomberg / La Matinale / 6 min. / le 2 novembre 2023

>> Lire aussi : William Schomburg sur Gaza: "Personne ne croyait qu'on en arriverait à ce point-là"

Florise Vaubien

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