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Pactole pétrolier et boom éolien: le paradoxe des îles Shetland

Un puits pétrolier à l'abandon et une éolienne vers Lerwick, dans les Shetland. [AFP - William Edwards]
Les îles Shetland dans le vent… et le pétrole / Tout un monde / 7 min. / le 9 novembre 2023
Les îles Shetland, au nord des côtes écossaises, sont à la fois réservoir d’hydrocarbures – avec 60% des réserves en pétrole du Royaume-Uni – et paradis de l’éolien. Reportage sur cette plaque tournante énergétique qui pourrait servir de modèle au reste du monde.

La vie a pendant longtemps été très rude sur ces îles isolées de tout et au climat capricieux. Mais avec la découverte de gisements d'hydrocarbures en mer du Nord au début des années 1970, le confort s'est invité dans cette petite communauté de 23'000 habitants. En prélevant une taxe sur chaque baril transitant sur son territoire, l'autorité des Shetland a pu moderniser son réseau routier et ses infrastructures.

Même les environnementalistes reconnaissent ici que l'or noir a été synonyme de boom économique: "En l'espace d'une génération, la transformation dans les Shetland a été énorme, en termes de richesse, de développement. Nous étions auparavant le dernier endroit au Royaume-Uni à avoir la télévision en couleur, les nouveautés technologiques, car nous étions les plus éloignés… Et soudainement, nous nous sommes retrouvés au cœur de l'économie internationale de l'énergie", concède dans Tout un monde Alexander Armitage, élu vert à la municipalité des Shetland.

Garantir la sécurité énergétique

Mais les temps changent, même au beau milieu de la mer: "À présent, l'industrie pétro-gazière décline, et nous devons faire face à une catastrophe climatique. Le pétrole et le gaz ne sont pas l'avenir, tout le monde en est conscient, mais la question centrale c'est à quelle vitesse arrêter?", s'interroge Alexander Armitage.

Si vous habitez dans une grande ville, vous êtes anonyme, c'est facile de crier ‘stop au pétrole et au gaz!' Dans les Shetland, tout le monde se connaît

Alexandre Armitage, conseiller municipal vert dans les îles Shetland

Pour le gouvernement britannique, la réponse est claire: il faut continuer à pomper pour garantir la sécurité énergétique et les emplois. En septembre, Londres a donné son feu vert à l'exploitation controversée du plus grand champ de pétrole et de gaz encore vierge du Royaume-Uni, le gisement Rosebank au large des Shetland.

>> Lire : Londres autorise un forage pétrolier controversé en mer du Nord

Une décision décriée par l'élu vert et une poignée de militants écologistes, mais leurs voix restent marginales puisque 10% des emplois sur l'archipel sont directement liés à l'industrie gazière et pétrolière. "Si vous habitez dans une grande ville, vous êtes anonyme, c'est facile de crier ‘Stop au pétrole et au gaz!' Dans les Shetland, tout le monde se connaît. Même si les gens ont des opinions politiques, des convictions parfois très fortes, ils préfèrent ne pas parler publiquement", regrette Alexander Armitage.

L'endroit le plus venteux d'Europe

Des éoliennes du projet Vicking. [RTS - Catherine Ilic]
Des éoliennes du projet Vicking. [RTS - Catherine Ilic]

Les Shetlanders n'ont pas encore tourné le dos au pétrole, ce qui ne les empêche de regarder vers l'avenir. L'un des plus grands parcs éoliens terrestres européens avec 103 éoliennes, le projet Vicking, est sur le point d'être achevé et pourra alimenter dès l'an prochain 500'000 foyers britanniques.

"Le vent souffle très fort sur les îles Shetland, c'est ce qui fait leur particularité. Nous sommes l'endroit le plus venteux d'Europe. Une éolienne installée dans les Shetland peut générer deux fois plus de force motrice qu'une éolienne identique dans d'autres endroits en Europe", explique dans Tout un monde Tom Wills, ingénieur en énergies renouvelables.

Mais sur l'archipel le projet attire les critiques, car jugé surdimensionné. Une opposition à l'éolien qui ne date pas d'hier. "La population est très divisée sur ce parc éolien depuis de nombreuses années. Il y a ceux qui ont soutenu très fortement le projet, pensant que l'argent de l'éolien pourrait remplacer la manne du pétrole et du gaz; mais il y a aussi ceux qui étaient très conscients de l'impact majeur que ces turbines de 150 mètres de haut allaient avoir sur le paysage et qui étaient aussi conscients du fait que ces éoliennes – une fois opérationnelles – ne mobiliseraient pas beaucoup de travailleurs. L'éolien – contrairement au secteur pétrolier – ne nécessite qu'une main-d'œuvre limitée sur le long terme", raconte Moraig Lyall, en charge des questions environnementales.

L'alternative marémotrice

La seule borne de recharge pour voitures électriques au monde alimentée par l’énergie des marées. [RTS - Catherine Ilic]
La seule borne de recharge pour voitures électriques au monde alimentée par l’énergie des marées. [RTS - Catherine Ilic]

Si l'éolien a mauvaise presse sur l'archipel, l'énergie produite à partir des milieux marins reçoit un accueil nettement plus favorable. Sur l'île reculée de Yell, au nord des Shetland, les premières turbines sous-marines marémotrices offshore ont vu le jour en 2016. Elles produisent de l'électricité en étant actionnées par le courant des marées.

"Nous utilisons le potentiel de la mer pour produire de l'énergie et l'avantage, c'est que l'on ne voit rien du tout. C'est le grand atout de cette technologie: son empreinte environnementale est très faible, visuellement et dans le fond marin. Autre avantage, l'énergie issue des marées est constante, étant donné que leur cycle est régulier, ce qui n'est pas le cas de l'éolien qui dépend de la force du vent. De par sa fiabilité, l'énergie marémotrice pourrait donc jouer un rôle important comme source d'approvisionnement dans le mix énergétique", avance Patrick Ross-Smith, qui supervise l'usine pour l'entreprise Nova Innovation.

Limiter l'exportation

Cette technologie, bien que prometteuse, est encore balbutiante, et ne représente que 1% de l'énergie produite sur tout l'archipel. Mais à l'inverse des éoliennes, dont l'électricité est destinée à l'exportation, l'usine marémotrice n'alimente que les foyers shetlandais.

Ce qui est problématique, c'est que nous allons exporter toute cette énergie éolienne, sans vraiment en bénéficier

Emma MacDonald, cheffe du Shetland Islands Council

Un point crucial pour Emma MacDonald, cheffe des autorités locales, qui met le doigt sur l'un des grands paradoxes des Shetland: malgré l'abondance d'énergies fossiles et vertes, les habitants ne profitent que rarement des ressources qui les entourent. "Ce qui est problématique, c'est que nous allons exporter toute cette énergie éolienne, sans vraiment en bénéficier. Les factures d'électricité dans les Shetland sont parmi les plus élevées du pays, parce qu'il fait nuit très tôt, il fait froid et il y a du vent. Le coût de la vie ici est donc assez important, entre 20 et 60% plus élevé que la moyenne britannique. Les gens ont du mal à accepter cette inégalité."

La marche vers la transition énergétique pose une équation délicate pour la population des Shetland, qui peine pour l'heure à se sevrer du pétrole et à trouver son compte dans l'éolien.

Reportage radio: Catherine Ilic

Adaptation web: Victorien Kissling

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