"Le revers de la médaille": c'est le message qu'a projeté fin octobre dans la nuit un collectif de militants et militantes sur le bâtiment du Comité d'organisation des Jeux olympiques (Cojo) pour dénoncer le "nettoyage social" en Ile-de-France, en amont des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
Dans une lettre ouverte destinée au Cojo, aux athlètes et aux fédérations, plus de 70 organisations hétéroclites, allant de Médecins du monde à Emmaüs France, en passant par le barreau de Paris et l'Armée du Salut, s'inquiètent de la volonté des autorités de faire place nette avant l'événement sportif en vidant les rues franciliennes des personnes à la rue, tant les migrants qui vivent en campements que les sans-abri ou encore les bidonvilles occupés par des populations Roms.
Des "centaines, voire des milliers" de concernés
Médecins du monde évoque des "centaines, voire de milliers de personnes dont on détruit les lieux de vie informels". Pour les seuls squats et foyers de travailleurs migrants, le collectif Schaeffer, signataire de la lettre ouverte, estime à 4100 le nombre de ressortissants de pays africains qui ont été déplacés de la Seine-Saint-Denis après le démantèlement de leur lieu de vie.
A ceux-là s'ajoutent les plus de 1600 personnes qui ont été transférées depuis six mois dans des "sas" d'hébergement en régions, ouverts en avril par le gouvernement français pour y orienter les personnes migrantes à la rue en Ile-de-France, où les tentes ressurgissent à intervalles réguliers et où l'hébergement d'urgence connaît une saturation chronique.
Selon le porte-parole de Médecins du monde pour la région parisienne Paul Alauzy, les sites olympiques qui vont être fréquentés par les touristes l'été prochain sont particulièrement visés par ces évacuations.
>> Lire aussi : A un an des JO à Paris, les prix de location des appartements explosent
Manque de moyens dans les régions
A l'approche des JO 2024, le gouvernement avait annoncé son intention de répartir les migrants en régions, mais la mise en oeuvre de cette mesure est chaotique. "Je leur ai dit au départ que je n'étais pas habitué à la capitale. Lorsque j'étais dans mon pays, je vivais à la campagne avec mes parents. La vie de Paris est très dure. En étant à la rue, même s'il y a de la nourriture et qu'on te donne des habits, ça ne suffit pas", raconte Mohamedou, un adolescent de 16 ans venu de Guinée, vendredi dans La Matinale de la RTS.
"Il s'agit de l'une de nos demandes: envoyer les gens là où ils ont des possibilités d'intégration et de travail, et dans des régions qui en ont sûrement besoin. Mais les solutions proposées ne sont pas inconditionnelles et pérennes. Il y a beaucoup de personnes qui, après les trois semaines d'évaluation dans une autre région, se retrouvent à la rue à appeler le 115. Or, on ne donne pas de moyens supplémentaires au 115 dans ces régions, donc les gens à la rue reviennent à Paris", constate Paul Alauzy.
"Lorsqu'il y avait une évacuation de campement auparavant, on proposait aux personnes exilées des solutions de mise à l'abri parfois en Ile-de-France et souvent en régions. Maintenant, c'est intégralement en régions hors de l'Ile-de-France", souligne aussi le porte-parole.
Début octobre, les autorités avaient également tenté d'interdire les distributions alimentaires dans un quartier populaire du nord de Paris, avant d'être déboutées par un tribunal. Les campements de migrants y sont néanmoins encore régulièrement démantelés. "La police vient parfois nous contrôler. Elle nous ordonne de quitter les lieux, car des gens dorment ici. Les policiers viennent à 3h ou 4h du matin, déchirent parfois nos tentes et les mettent à la poubelle. Les gens errent ensuite dans le froid comme des chiens. Ce n'est pas normal", témoigne Amadou, originaire du Niger.
Des politiques d'exclusion amenées à se multiplier
Autant d'exemples qui ne sont qu'un "avant-goût" des décisions à venir, anticipe le porte-parole de Médecins du monde Paul Alauzy. "Les politiques qui excluent les populations considérées comme indésirables ont déjà cours depuis longtemps. Les JO n'en sont qu'un accélérateur", estime-t-il.
Selon Nikolaï Posner, responsable de la communication de l'association Utopia 56 qui vient en aide aux personnes en situation d'exil et de migration, "il y a un double jeu des autorités d'à la fois vouloir vider les rues et de continuer en même temps à mettre des gens à la rue". "Dans la réalité, ces personnes n'ont nulle part où aller. Elles se voient repoussées petit à petit hors des frontières parisiennes avec une logique d'errance et d'isolement. Cela revient à générer de la souffrance sur ces personnes à titre d'exemple, dans l'espoir que cela serve aux prochaines personnes qui arriveraient sur le territoire", pointe-t-il au micro de la RTS.
Les organisations qui dénoncent ces évictions en sont certaines: il faut désormais s'attendre à d'autres arrêtés, notamment contre la mendicité ou les travailleuses du sexe. Elles appellent les autorités à "garantir une continuité de la prise en charge des personnes en situation de précarité et d'exclusion, avant, pendant et après les Jeux". Elles demandent également à intégrer les comités de pilotage des JO.
Les associations, la mairie de Paris et le Comité d'organisation de Paris 2024 ont entamé un dialogue pour tenter de trouver des solutions.
>> Lire aussi l'enquête de Mise au point sur les ouvrier sans-papiers travaillant pour les JO : Les ouvriers sans-papiers sur les chantiers, la face sombre des JO de Paris
Reportage radio: Alexandre Habay
Texte web: iar avec afp
Plainte déposée par deux associations en défense des mineurs isolés à Paris
Les associations d'aide aux migrants Utopia 56 et Tara, qui dénoncent un "nettoyage social" à Paris en vue des JO 2024, ont déposé une plainte mardi accusant les autorités "d'abuser de la confiance" des mineurs isolés étrangers pour "vider les rues" de la capitale, selon l'un de leurs avocats.
"La préfecture de la région Ile-de-France a initié, en réalité, sous couvert d'une opération visant à héberger environ 430 de ces mineurs dans des centres d'accueil situés à Paris et en région parisienne, une véritable opération de fragilisation de leur situation pour vider les rues de Paris en commettant des infractions pénales", a affirmé jeudi Me Emmanuel Daoud.
La plainte a été déposée contre X pour abus d'autorité et faux et usage de faux, après cette opération du 19 octobre et les procédures qui ont suivi. La défense des associations avance qu'un certain nombre de ces jeunes ont reçu des convocations à la préfecture de police pour faire une demande de titre de séjour. Mais ils n'y sont pas allés, sur conseil de leurs avocats qui assurent que le titre de séjour n'est obligatoire que pour les majeurs.
Reconnaissance de minorité
Ces jeunes avaient été déboutés de leur demande de reconnaissance de minorité, mais avaient formé un recours auprès du juge des enfants et attendaient d'être convoqués, selon la même source. Or, poursuit la plainte, une quarantaine d'entre eux ont ensuite reçu de la part de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) un courrier leur enjoignant de quitter leur hébergement, car ils ne s'étaient pas présentés au rendez-vous.
Selon Me Emmanuel Daoud, si, "à l'approche des JO", "la fin est de procéder à une véritable épuration sociale critiquable en soi et condamnable au regard du droit et des valeurs de la République, il nous appartient de rappeler que la fin ne justifie pas les moyens, a fortiori lorsqu'on représente et incarne l'Etat".