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Nicole Bacharan: "La situation politique aux Etats-Unis est extrêmement confuse"

La population de l’Etat américain de l’Ohio vote pour déterminer l’avenir de l'avortement. [AP Photo/Keystone - Carolyn Kaster]
Voir clair dans la politique américaine confuse de cette fin d’année / Tout un monde / 8 min. / le 10 novembre 2023
Alors que les derniers résultats électoraux des républicains sont décevants, Donald Trump semble toujours imperméable aux ennuis judiciaires. Les sondages le donnent en effet vainqueur à la présidentielle face à Joe Biden. Mais d'ici novembre 2024, "beaucoup de choses peuvent encore arriver", selon Nicole Bacharan, historienne et spécialiste des Etats-Unis.

Mercredi soir, au cours d'un des débats de la primaire républicaine aux Etats-Unis, le candidat Vivek Ramaswamy s'est emporté contre son propre parti. "Nous sommes devenus un parti de losers. Nous avons perdu en 2018, 2020 et 2022, où il n'y a eu aucune vague rouge", a-t-il expliqué. Pourtant, Donald Trump continue de son côté à mettre en avant les victoires des conservateurs.

Tous les deux ont au fond raison et les indices sur la santé du parti sont souvent contradictoires. Electoralement, le Parti républicain a fait de mauvais résultats le mardi 7 novembre, jour d'élections dans certains Etats. Le démocrate Andy Beshear a ainsi été réélu gouverneur du Kentucky, Etat pourtant solidement républicain, alors que dans le même temps Glenn Youngkin, gouverneur de Virginie, échouait dans son pari de faire passer le Parlement local en mains républicaines. Plus symbolique encore, les électeurs et électrices de l'Ohio ont décidé d'inscrire dans leur Constitution le droit à l'avortement.

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D'un autre côté, la Cour suprême reste solidement installée dans le camp conservateur et a révoqué le droit fédéral à l'avortement. Ancien locataire de la Maison Blanche, Donald Trump reste quant à lui le favori des sondages, malgré ses nombreux démêlés avec la justice.

Lorsqu'il y a une consultation électorale, on voit des éléments qui se dessinent et notamment l'attachement au libre accès à l'avortement

Nicole Bacharan, historienne et spécialiste des Etats-Unis

Invitée vendredi de l'émission Tout un monde, Nicole Bacharan, historienne spécialiste des Etats-Unis, juge "la situation politique aux Etats-Unis extrêmement confuse". D'après elle, il est très difficile actuellement de faire des pronostics.

"Ça va être douze mois où il peut se passer tant de choses, des choses complètement inattendues (...) des crises internationales, des crises financières ou autres, en plus des choses attendues mais dont on ne sait pas comment elles vont tourner: la saga judiciaire de Donald Trump ou encore la santé de Joe Biden. On est donc dans une très grande confusion", analyse-t-elle.

Avortement, talon d'Achille républicain?

S'il est difficile de faire des prévisions, la spécialiste estime toutefois que les démocrates ont un avantage clair sur un dossier: le droit à l'avortement.

"Lorsqu'il y a une consultation électorale, on voit des éléments qui se dessinent et notamment l'attachement au libre accès à l'avortement. C'est quelque chose de très fort et qui va continuer à jouer un rôle dans les mois qui viennent. Ça sera vraiment l'un des grands thèmes de la campagne électorale. Les démocrates y ont intérêt aussi, parce que ça marche, ça mobilise leur électorat", souligne Nicole Bacharan.

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Pour cette experte, les républicains et les milieux "pro-life", donc anti-avortement, cherchaient depuis des décennies à obtenir des interdictions, mais ce n'était pas encore arrivé. Il était donc très simple de se revendiquer pour. Mais la donne a changé depuis la décision de la Cour suprême et celles de plusieurs Etats conservateurs.

"Tout d'un coup, on voit ce que ça veut dire concrètement, les drames de ces femmes qui ont des grossesses à risque, qui n'arrivent plus à se faire soigner, avec des médecins qui n'osent pas intervenir de peur de se retrouver devant les tribunaux. Les cas d'inceste, les cas de viol, enfin, toute la réalité (...) Donc lors de votations, l'accès à l'avortement gagne toujours, même dans les Etats les plus conservateurs", précise-t-elle.

Une condamnation de Trump pourrait "changer quelque chose"

De son côté, Donald Trump semble toujours en capacité de rebondir, malgré les ennuis judiciaires qui ne cessent de s'accumuler. Au contraire, l'ex-président américain réussit à transformer ses passages devant le tribunal en un avantage politique

"Il convoque les caméras et l'audience qui vient d'avoir lieu se transforme en grand show de propagande politique avec pour thème 'je suis un martyr', 'je suis un bouc émissaire', 'on veut me faire taire parce que je vous défends, vous les vrais, les bons Américains'. Et pour l'instant, ça marche", décrypte Nicole Bacharan.

Est ce que vous voulez revenir à 2016 et refaire l'expérience Trump avec un homme qui malgré tout a vieilli, s'est encore durci et revient avec un projet de vengeance politique beaucoup plus dur qu'il y a huit ans?

Nicole Bacharan, historienne et spécialiste des Etats-Unis

"Mais beaucoup d'experts disent que si les inculpations ne lui portent pas préjudice, un condamnation pourrait changer quelque chose, notamment auprès des électeurs indépendants, des républicains modérés ou des hésitants", tempère-t-elle.

En d'autres termes, l'investiture de Donald Trump par le Parti républicain ne semble pas en danger, mais une victoire finale dans la course à la présidentielle pourrait être freinée par ces problèmes judiciaires.

"Peut-on confier un deuxième mandat à Joe Biden?"

Pour l'historienne, les problèmes judiciaires du milliardaire républicain transformeront l'élection en une sorte de référendum sur Donald Trump.

"Est-ce que vous voulez revenir à 2016 et refaire l'expérience Trump avec un homme qui malgré tout a vieilli, s'est encore durci et revient avec un projet de vengeance politique beaucoup plus dur qu'il y a huit ans", sera la question posée aux Américains et aux Américaines, juge l'historienne.

Mais le référendum se fera également sur Joe Biden, avance-t-elle. "Ce sera aussi un référendum sur la confiance que l'on peut faire dans la santé de Joe Biden. Je pense que son âge, l'impression de fragilité physique qu'il donne, le manque d'énergie, normalement indispensable à une campagne électorale, tout cela va rendre la situation difficile pour Joe Biden (...) Son bilan est plutôt bon sur le plan économique et international, mais peut-on vraiment lui confier un deuxième mandat?", s'interroge Nicole Bacharan.

La réalité est surtout qu'il existe une majorité d'Américains qui n'ont aucune envie de refaire le match Biden-Trump. "Cette simple répétition pourrait en détourner un certain nombre d'aller voter", conclut l'experte.

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Tristan Hertig

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