Les opioïdes, y compris ceux prescrits par des médecins, étaient impliqués dans 75% des décès par surdose enregistrés entre 1991 et 2021, selon les statistiques du Centre américain de contrôle et de prévention des maladies (CDC). En 2022, on estime que 109'680 personnes ont succombé à une surdose, selon les chiffres préliminaires du CDC. Cela représente une hausse de 2% par rapport à 2022, sans commune mesure avec les augmentations de 17% en 2021 et 30% en 2020.
La crise a débuté à la fin des années 1990, en raison de la prescription massive d'opioïdes légaux pour traiter des douleurs. De nombreux patients rendus dépendants se sont ensuite mis à consommer de l'héroïne et du fentanyl, un opioïde synthétique qui fait des ravages actuellement.
La petite ville de Kermit, en Virginie occidentale, est un bon exemple de l'usage abusif de ces médicaments. Au début des années 2000, une pharmacie de la ville était connue pour distribuer les comprimés sans vérifier les ordonnances. A tel point que la ville de quelque 300 habitants a reçu 12 millions de cachets d’opioïdes en à peine 7 ans.
Le rôle des laboratoires pharmaceutiques
"Pourquoi les laboratoires envoient-ils autant de cachets dans des villes aussi petites? Ils ne peuvent pas ignorer que quelque chose ne va pas, ils le savent forcément", accuse Debbie Preece dans l'émission Mise au Point. En 2005 et en 2017, cette habitante a perdu deux frères devenus dépendants après qu'on leur a prescrit des antidouleurs à base d'opiacés.
Entre 2006 et 2012, 76 milliards de cachets d’oxycodone ont été prescrits et livrés aux Etats-Unis. Des enquêtes sont ouvertes et un responsable émerge: le laboratoire Purdue, qui fabrique l'Oxycontin, à base d’oxycodone. Il aurait poussé les médecins à prescrire, en minimisant les effets addictifs de leur produit. A sa tête se trouve la famille Sackler, qui possède notamment une propriété dans la station de Gstaad (BE).
Face à l’ampleur de la crise, le laboratoire Purdue se déclare finalement en faillite en 2019. Un accord est trouvé, portant sur le versement de plus de 6 milliards de dollars, et sans que la famille Sackler ne soit inquiétée. Mais cet accord est pour l’instant suspendu par la Cour suprême. En cas de validation, le plus gros de la somme ira aux Etats et aux institutions. Les familles devraient toucher à peine 3500 dollars.
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Traiter la dépendance
En attendant, la crise continue de faire des dégâts et une des façons les plus efficaces d'y faire face est de traiter la dépendance. Tommy Preece, capitaine des pompiers de Kermit, en a douloureusement pris conscience en 2017 quand il a dû répondre à un appel de détresse qui concernait en fait son petit frère.
"On l'a branché au défibrillateur, on lui a envoyé une charge. Mais on n'a pas pu le ramener. J'ai vraiment compris qu'on allait devoir travailler dur pour en faire plus, pour aider les gens. Car il y avait des overdoses partout. On ne sait jamais à quel point ça fait mal tant qu’on ne l'a pas vécu. Et ici, chaque famille en a fait l’expérience, d’une manière ou d’une autre", témoigne Tommy Preece.
L'addiction n’est pas un crime, c'est une maladie (...). Ces gens n'ont rien à faire en prison
"L'addiction n’est pas un crime, c'est une maladie. Il faut qu'elle soit traitée comme telle. Je me concentre sur le traitement plutôt que sur la prison. Ces gens n'ont rien à faire en prison", prône ainsi Bill Nelson. Ce juge du comté de Marion (Indiana) a perdu son fils en 2009. Victime d'une surdose d'opioïde, ce dernier s'était vu prescrire un anti-douleur à la suite d'un bras cassé, et ceci sans aucune mise en garde.
A Lebanon, petite ville du Tennessee, non loin de Nashville, la clinique du Dr Loyd prend en charge les accros aux opioïdes. Stephen Loyd est lui-même un ancien drogué. Après de nombreux traitements, il est parvenu à contrôler son addiction. Et désormais, il veut offrir ce choix à d’autres victimes.
"L'obstacle majeur à ce que les gens se fassent soigner, c'est la stigmatisation. Ils ont honte. Ce n'est pas qu'il n'y a pas d’options, ce n'est pas que les traitements ne fonctionnent pas. C'est juste qu'ils ne veulent pas que ça se sache. Ils préfèrent régler ça par eux-mêmes. Et les gens meurent comme ça. C’est très important de briser le tabou", plaide Stephen Loyd, médecin-chef à Cedar Recovery.
Moins de prescriptions, mais toujours plus de fentanyl
Les patients doivent se soumettre à un test urinaire pour s’assurer qu'ils n'ont pas pris de drogue autre que le médicament de substitution prescrit. Au bon dosage, le produit permet d'empêcher les patients d’utiliser "les mauvaises drogues qui vont les tuer".
"Si vous vous sentez très mal, si vous ne pouvez penser qu'à la drogue, si vous ne pouvez penser qu'aux symptômes de manque que vous subissez, ça ne va pas aller. La première chose que nous faisons, c'est de vous faire vous sentir mieux. Et avec des médicaments, vous pouvez vous sentir mieux dès aujourd'hui", explique Stephen Loyd.
Maintenant il s'agit de fentanyl, fabriqué illégalement, et bien plus puissant que les cachets anti-douleur. Ca tue les gens, immédiatement
Avec l’explosion du scandale et la mise en faillite de Purdue, les opioïdes sur ordonnance sont moins facilement accessibles. Mais leur effet n’a pas fini de se faire sentir.
"Les médecins ont appris quelles étaient les doses à prescrire, on leur a bien fait comprendre les risques. Ça, ça va vraiment mieux. Le problème, c'est la population qui est accro. Il faut la soigner, on ne peut pas juste lui supprimer les cachets. Les médicaments sur ordonnance, ça va mieux, mais le problème des opioïdes est encore pire. Car maintenant, il s'agit de fentanyl, fabriqué illégalement, et bien plus puissant que les cachets anti-douleur. Ça tue les gens, immédiatement", développe le médecin-chef à Cedar Recovery.
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Les taux de décès par surdose impliquant des opioïdes synthétiques, qui comprennent le fentanyl et les analogues du fentanyl, ont augmenté de plus de 22% entre 2020 et 2021. Près de 71'000 décès ont été enregistrés en 2021, indique le Centre américain de contrôle et de prévention des maladies (CDC).
Le fentanyl illégal est utilisé pour ses effets similaires à ceux de l'héroïne. Il est souvent mélangé à de l'héroïne ou de la cocaïne afin d'augmenter ses effets euphorisants.
Sujet TV: Aviva Fried, Christèle Jaime et Estelle Braconnier
Adaptation web: cab