Au mois de novembre 1947, la Palestine, ex-territoire de l'Empire ottoman, est un mandat britannique. Londres a récupéré ce territoire à la suite de la Première Guerre mondiale en 1923, via une décision de la Société des Nations (SDN), ancêtre de l'ONU.
Un peu plus de 20 ans plus tard, les Britanniques s'apprêtent toutefois à partir. L'ONU, qui n'existe que depuis un peu plus de deux ans, prévoit alors une partition bien précise avec la création d'un Etat juif, d'un Etat arabe et la ville de Jérusalem qui resterait sous contrôle international.
"L'origine toute première, c'est la commission d'enquête de l'ONU en 1947, qui se rend compte qu'on a deux mouvements nationaux qui convoitent la même terre: la population 'indigène' - palestinienne, arabe - et des communautés juives qui étaient restées là. Et puis le mouvement sioniste. Et elle décide de partager la terre en deux avec deux Etats qui verraient le jour", détaille Pascal de Crousaz, spécialiste du conflit israélo-palestinien, dans l'émission Tout un monde de la RTS.
L'écrasante majorité des Arabes palestiniens et des Etats arabes voisins s'opposent toutefois avec vigueur à ce plan, estimant qu'il va à l'encontre des aspirations des populations locales. Depuis plusieurs décennies, ils réclament la fin de l'immigration juive et la création d'un Etat palestinien uni, où les populations juives pourraient disposer d'une certaine autonomie, avec leurs droits protégés.
A l'inverse, l'Agence juive, qui est alors l'organe officiel représentant les Juifs de Palestine, accueille avec joie l'adoption onusienne de ce plan de partage. Elle considère cet accord international comme une avancée très importante, d'autant plus qu'il met fin aux quotas d'immigration de populations juives fixés par Le Livre Blanc en 1939 (un document britannique de politique générale sur la Palestine, ndlr).
La déclaration d'indépendance et la guerre
A la suite de l'adoption du plan de partage, la tension est palpable entre les deux communautés et la guerre civile couve. Les affrontements sont récurrents et les soldats britanniques perdent peu à peu le contrôle de la situation.
Le 14 mai 1948 marque la fin officielle du mandat britannique sur la Palestine. Le jour même, David Ben Gourion, président de l'Agence juive, déclare l'indépendance de l'Etat d'Israël, dont il devient le Premier ministre.
Moins de 24 heures plus tard, la guerre débute, avec les pays arabes voisins (Égypte, Jordanie, Syrie, Liban et Irak) qui envahissent le territoire de la Palestine mandataire en soutien aux populations arabes locales.
Après un peu plus d'un an de conflit, Israël sort victorieux de l'affrontement et le dernier armistice est signé au mois de juillet 1949.
Le projet d'un Etat palestinien est abandonné, la bande de Gaza passe sous administration égyptienne, Israël annexe Jérusalem-ouest et près de 80% de l'ancienne Palestine mandataire, soit 50% de plus que ce qui était prévu par le plan de partage de l'ONU.
De nouveaux espoirs dans les années 1990
Les décennies qui suivent voient plusieurs conflits ébranler la région: guerre israélo-arabe de 1956, guerre des Six Jours en 1967, guerre du Kippour en 1973.
Durant cette période, la solution à deux Etats est "en dormance", selon Pascal de Crousaz. "Cela a été comme ça jusque dans les années 1980-90. En 1982, c'est le président français Mitterand, en visite à Jérusalem, qui évoque à nouveau la nécessité de deux Etats, et cela devient la solution envisagée dans les années 1990. En fait, on retourne aux sources, c'est-à-dire à l'idée du partage d'une terre pour deux mouvements nationaux", précise-t-il.
De nouveaux espoirs semblent en effet permis durant cette décennie. Le 13 septembre 1993 à Washington, une poignée de main entre Yasser Arafat, chef de l'Organisation de libération de la Palestine, et Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, entre dans l'histoire. "Nous sommes destinés à vivre ensemble sur le même sol de la même terre", déclare alors ce dernier. Le même jour, les accords d'Oslo sont signés. Ils posent les bases d'une autonomie palestinienne et ouvrent des perspectives pour une paix durable.
Une balle de pistolet "qui tue l'idée"
Mais deux ans plus tard, le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin est assassiné par un extrémiste juif religieux, qui lui tire dans le dos à bout portant, à deux reprises.
Le soir même, Pascal de Crousaz était interviewé par la RSR. "J'avais dit craindre que la balle qui avait tué l'homme finirait par tuer l'idée, parce qu'il y avait des mouvements radicaux qui ne voulaient pas de cette solution, tant du côté palestinien avec le Hamas, que du côté israélien, avec Benjamin Netanyahu, qui avait une détestation de l'idée du partage de cette terre et de rendre les territoires occupés", se souvient-il.
C'est impressionnant de constater à quel point - et là je parle de 1996 - ce sont les mêmes acteurs qui sont à la manoeuvre et impliqués dans la tragédie actuelle
Quelques mois plus tard, Benjamin Netanyahu arrive d'ailleurs au pouvoir en Israël. "Il a pu l'emporter sur le faiseur de paix Shimon Peres, parce que les attentats du Hamas, qui avaient fait des dizaines de morts, avaient fait basculer l'opinion publique israélienne. Ça s'est joué à un demi pour cent en faveur de Netanyahu", ajoute le spécialiste.
Et d'ajouter: "C'est impressionnant de constater à quel point - et là je parle de 1996 - ce sont les mêmes acteurs qui sont à la manoeuvre et impliqués dans la tragédie actuelle".
Des fronts qui se durcissent
Si en théorie, la solution à deux Etats reste soutenue par la communauté internationale, elle semble s'éloigner. A la fin des années 1990, les fronts se durcissent. Au tournant du siècle, Ariel Sharon, leader du Likoud, souffle sur les braises en se rendant sur l'Esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l'islam.
Peu après sa visite et face aux émeutes, les forces de sécurité israéliennes ouvrent le feu sur des manifestants palestiniens. C'est le début de la deuxième Intifada. Le processus d'Oslo semble enterré.
Un manque de solutions concrètes
L'idée d'un partage rebondit toutefois en Suisse au mois de décembre 2003, avec la signature de l'Initiative de Genève, un plan très précis pour une solution à deux Etats.
Des centaines de personnalités sont rassemblées dans la Cité de Calvin pour lancer cette initiative de paix. Conseillère fédérale en charge du Département des Affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey se dit alors "honorée" d'être en compagnie de personnes aussi courageuses dont le rêve "est que cette initiative reçoive un large soutien et que les autorités israéliennes et palestiniennes saisissent cette opportunité".
Le plan restera toutefois lettre morte. Pour Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS et auteur de "Israël-Palestine, une guerre sans fin", il a toujours manqué une réelle vision sur la mise en oeuvre de ce genre d'accords.
"La grande difficulté (...) c'est comment matérialiser cette solution dans les négociations diplomatiques. On n'a jamais vraiment abordé cette question. La seule négociation qui aboutisse est une négociation partielle, celle sur l'autonomie palestinienne, mais ce n'est pas une négociation sur la mise en oeuvre concrète de la solution à deux Etats", juge-t-il.
Le chercheur estime aussi que la solution a toujours plutôt été négociée par des canaux officieux. "Les accords dits de Genève ont été négociés par des personnes qui avaient une certaine surface politique mais qui n'étaient pas aux manettes (...) Ce qui a donc toujours été le problème majeur, c'est qu'on a l'idée, le principe, mais personne qui la porte vraiment au niveau politique", analyse-t-il encore.
Le casse-tête de la question territoriale
Outre les volontés politiques, c'est désormais avant tout la question territoriale qui apparaît insoluble. "Quelles frontières seraient acceptables désormais entre les deux Etats, avec la Cisjordanie qui est plus que jamais parcellisée par le développement des colonies israéliennes? Il y a désormais 700'000 colons israéliens, soit trois fois plus qu'au moment des accords d'Oslo", fait remarquer Pascal de Crousaz.
Pour cet expert, ce problème a d'ailleurs été créé "à dessein" par les gouvernements israéliens successifs. "Les conventions de Genève interdisent le transfert de populations civiles dans un territoire occupé, donc la présence de ces colons est complètement illégale aux yeux du droit international. Les gouvernements israéliens nationalistes, qui ne voulaient pas rétrocéder ces territoires, se sont évertués à mettre un maximum de colons pour créer des faits accomplis et rendre la rétrocession impossible", expose-t-il.
Pour Israël, cela signifierait donc soit cesser d'être une démocratie, soit cesser d'être un Etat juif
Paraphrasant Winston Churchill, Pascal de Crousaz continue à estimer que le partage en deux Etats "est la pire des solutions, à l'exception de toutes les autres".
Car pour ce spécialiste, il existe deux autres solutions. La création d'un Etat unitaire dans lequel les Palestiniens, pourtant démographiquement majoritaires entre le Jourdain et la Méditerranée, vivraient soumis aux Israéliens, privés de réels droits politiques; ou la création d'un Etat unitaire dans lequel les Palestiniens auraient des droits de vote égaux à ceux des Juifs, ce qui déconstruirait, du fait du nombre, la nature juive de l'Etat d'Israël.
"Pour Israël, cela signifierait donc soit cesser d'être une démocratie, soit cesser d'être un Etat juif", conclut-il.
Reportage radio: Patrick Chaboudez
Version web: Tristan Hertig