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A Kherson, "c'est intéressant d'observer la ville avec la vie qui résiste"

Un immeuble détruit de la région de Kherson. [Keystone]
Un an après sa libération, Kherson reste sous pression russe / Tout un monde / 4 min. / le 14 novembre 2023
L'Ukraine célébrait le 11 novembre le premier anniversaire de la libération par son armée de Kherson, "ville synonyme d'espoir". Alexei, 45 ans, y documente le quotidien des habitants de la ville située au bord du Dniepr et encore quotidiennement bombardée.

Le 11 novembre 2022, les forces ukrainiennes avaient mis fin à huit mois d'occupation de cette grande ville du sud de l'Ukraine par l'armée de Moscou, laquelle avait fait tomber Kherson au début de l'invasion déclenchée en février 2022.

Depuis, l'armée russe a fui sur la rive sud du fleuve Dniepr, d'où elle continue à bombarder Kherson. Le 13 novembre, elle a été la cible de près de 70 frappes russes pour un total de 618 obus, qui ont fait trois morts. Selon les autorités régionales, la ville et son agglomération ont subi près de 9500 frappes russes en un an. Près de 80% des structures de soins sont aussi détruites ou endommagées, estimait l'ONG Médecins sans frontières.

Dans ce contexte, Alexei Sandakov, 45 ans, n'a pas le coeur à la fête en cette date symbolique. "Je dirais que c'est assez horrible de vivre ici. Mais j'essaie de me convaincre que ma maison est un temple et que les anges la protègent. Je me dis qu'on ne bombarde pas les temples. Ça n'a évidemment aucun sens, mais ici, on s'invente tous ce genre de choses pour se persuader qu'on ne sera pas touché", témoigne-t-il dans l'émission Tout un monde.

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Une caméra pour "l'Histoire"

Au moment de la libération de sa ville par les forces ukrainiennes, Alexei a fait partie des premiers à montrer au monde entier la libération de Kherson. Car cet avocat de métier a décidé de ne pas fuir l'occupation russe, mais de la documenter et de la filmer discrètement avec une petite caméra sur son vélo. Une manière bien à lui de se battre contre l'occupant. "Je me suis rendu compte que c'est une arme bien plus puissante, et puis, on a tendance à oublier les faits, donc c'est un peu pour l'Histoire", explique-t-il un an plus tard.

C'est à l'aide d'une caméra fixée sur son vélo qu'Alexei Sandakov témoigne du quotidien des habitants de Khersov. [Stepline Agency]
C'est à l'aide d'une caméra fixée sur son vélo qu'Alexei Sandakov témoigne du quotidien des habitants de Khersov. [Stepline Agency]

Après la naissance de ses deux enfants, il qualifie la libération de Kherson comme le moment le plus intense de sa vie. Il se souvient: "Vous êtes dans un état euphorique pendant trois heures, et puis, vous fondez en larmes pendant une heure, et à nouveau trois heures de joie, etc. C'est un sentiment que vous ne pouvez éprouver nulle part, un mélange de peur aussi et d'espoir."

Un an plus tard et malgré la libération de la cité du sud de l'Ukraine, Alexei continue à documenter son quotidien. "Toutes les écoles et les crèches sont fermées. Mais on voit des jeunes dans la rue. Le mois dernier, j'ai même vu une boutique de luxe ouverte. C'est intéressant d'observer la ville - constamment sous les tirs d'artillerie - mais avec la vie qui résiste."

"L'Ukraine a besoin de plus d'attention"

Le quadragénaire ukrainien a une particularité qui peut paraître vertigineuse dans le contexte actuel: il est binational ukrainien et... israélien. Juriste, il a d'abord vécu en Israël, où il a fait son service militaire. Lors de l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, Alexei se souvient que son ventre s'est noué.

Un jour, tu décides de remettre ton arme à l'arsenal et de ne plus jamais y toucher

Alexei Sandakov

Le quadragénaire a toutefois décidé de rester en Ukraine. "Israël a assez d'attention, là, maintenant, et peut mieux y faire face. Je ne crois pas qu'ils soient en mauvaise posture. Ma place est ici, car l'Ukraine a besoin de plus d'attention et d'aide", estime-t-il, en concluant finalement que "l'ennemi est bien plus fort ici".

Alexei est rentré en Ukraine il y a dix ans avec une conviction: il ne touchera plus jamais une arme. "J'ai déjà fait la guerre, il y a 20 ans, en Israël. Un jour, tu décides de remettre ton arme à l'arsenal et de ne plus jamais y toucher", raconte-t-il.

L'assaut russe n'y changera rien. Désormais, son arme, c'est sa caméra.

Maurine Mercier

Adaptation web: Jérémie Favre

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