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En Russie, le partage des restes du groupe paramilitaire Wagner

Un homme dépose des fleurs sur un mémorial en l'honneur d'Evgueni Prigojine, chef du groupe de mercenaires Wagner, tout en célébrant les 40 jours de sa mort pour respecter une tradition orthodoxe, à Saint-Pétersbourg, le 1er octobre 2023. [reuters - Anton Vaganov]
Un homme dépose des fleurs sur un mémorial en l'honneur d'Evgueni Prigojine, chef du groupe de mercenaires Wagner, tout en célébrant les 40 jours de sa mort pour respecter une tradition orthodoxe, à Saint-Pétersbourg, le 1er octobre 2023. - [reuters - Anton Vaganov]
Après sa mutinerie avortée du mois de juin et la mort mystérieuse de son leader Evguéni Prigojine dans un crash d'avion le 27 août dernier, la fin de Wagner semblait inéluctable. Quelques mois plus tard, le démantèlement a bel et bien commencé mais "l'image de marque" du groupe paramilitaire continue à être utilisée en Russie.

En Ukraine, le groupe de mercenaires Wagner a été pendant de nombreux mois l'un des principaux fers de lance de l'offensive russe. Dans l'est du pays, ses soldats ont notamment réussi à forcer la décision dans la ville de Bakhmout, après des combats extrêmement sanglants.

>> Revoir à ce sujet le reportage du 19h30 :

Ukraine: le groupe paramilitaire russe Wagner revendique la prise de Bakhmout
Ukraine: le groupe paramilitaire russe Wagner revendique la prise de Bakhmout / 19h30 / 1 min. / le 20 mai 2023

A la fin de l'année 2022, alors que les forces armées ukrainiennes viennent de réussir de très impressionnantes percées dans les régions de Kherson (sud-ouest) et de Kharkiv (nord-est), la région de Bakhmout est l'une des rares lignes de front où la Russie est encore à l'offensive.

Evguéni Prigojine s'en enorgueillit fréquemment et n'hésite pas à critiquer avec véhémence "la frilosité" des forces régulières de l'armée russe et surtout les carences de son commandement, s'en prenant ouvertement à Valeri Guerassimov, chef d'État-major général des forces armées de la Fédération de Russie, et surtout à Sergueï Choïgou, ministre de la Défense, lors de régulières diatribes publiées sur le réseau social Telegram.

La pression monte jusqu'à culminer en une mutinerie. Des soldats du groupe Wagner s'emparent sans combattre de la ville russe de Rostov-sur-le-Don et avancent vers Moscou. Ils s'arrêtent finalement à 200 ou 300 kilomètres de la capitale et un accord de désescalade est conclu grâce à la médiation du président biélorusse Alexandre Loukachenko.

Des militaires du groupe Wagner bloquant une rue de la ville de Rostov le 24 juin 2023. [EPA/Stringer - STRINGER]
Des militaires du groupe Wagner bloquant une rue de la ville de Rostov le 24 juin 2023. [EPA/Stringer - STRINGER]

Evguéni Prigojine est invité à s'exiler en Biélorussie avec les combattants qui souhaitent le suivre. Quant aux autres, ils pourront signer des contrats avec le Ministère de la Défense pour rejoindre l'armée russe.

Deux mois plus tard pourtant, le patron du groupe Wagner décède dans un crash aérien au nord-ouest de Moscou. A bord de l'appareil figurent aussi Dmitri Outkine, co-fondateur de Wagner et bras droit d'Evguéni Prigojine, et plusieurs autres membres importants de la société paramilitaire. Moscou réfute une quelconque implication dans ce qu'il qualifie "d'accident". Le commandement du groupe Wagner est en tous les cas décimé.

Des soldats aguerris précieux

Si Wagner ne possède donc plus de structure, il reste les soldats. Leur nombre a toujours été extrêmement difficile à établir mais la plupart des estimations varient de 25'000 à 30'000 hommes sous le commandement d'Evguéni Prigojine au moment de la mutinerie.

Parmi ceux-ci, une grande majorité ont été enrôlés après le début du conflit en Ukraine et pour beaucoup d'entre eux, recrutés directement dans des prisons russes.

Mais ce sont les quelque 2500 à 4000 vétérans de Wagner, les soldats les plus expérimentés qui s'étaient enrôlés avant la guerre en Ukraine et qui ont très souvent une longue carrière militaire derrière eux, qui suscitent le plus de convoitises.

Jusqu'à récemment, leur sort exact au sein des forces russes restait flou mais le ministère de la Défense britannique (MoD) a peut-être percé une partie du mystère.

Si l'on savait depuis plusieurs mois que l'armée russe avait intégré plusieurs éléments du groupe paramilitaire à ses contingents, le MoD a révélé dans son point de situation quotidien du dimanche 12 novembre qu'il était désormais "vraisemblable" que "de nombreux membres de Wagner" aient été intégrés à la structure de commandement de la Rosgvardia, la Garde nationale russe. Dans une note du 21 septembre, l'Institut pour l'étude de la guerre (ISW) avait déjà évoqué la possibilité de ce rapprochement.

Créée en 2016, cette force militaire de près de 350'000 soldats, directement subordonnée à Vladimir Poutine, a pour but premier le maintien de l'ordre et la sécurité intérieure du pays. Ses prérogatives n'ont pourtant cesser de s'agrandir au fil des ans et nombre de ses membres sont désormais actifs en Ukraine.

Des militaires de la Garde nationale russe (Rosgvardia) se rassemblent sur la Place Rouge pour empêcher un rassemblement de protestation à Moscou, en Russie, le mardi 2 février 2021 (image d'archives). [keystone - Pavel Golovkin]
Des militaires de la Garde nationale russe (Rosgvardia) se rassemblent sur la Place Rouge pour empêcher un rassemblement de protestation à Moscou, en Russie, le mardi 2 février 2021 (image d'archives). [keystone - Pavel Golovkin]

Le ministère de la Défense britannique ajoute qu'il est aussi "très probable" qu'un nombre significatif de membres du groupe Wagner aient rejoint Redut, une autre société militaire privée qui opère en Ukraine mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique.

Composé de quelque 7000 hommes, ce groupe paramilitaire aurait été fondé en 2008 par des parachutistes russes, proches des services de renseignement. Il serait d'ailleurs toujours sous le contrôle plus ou moins direct du ministère de la Défense russe.

Enfin, le leader Ramzan Kadyrov a également annoncé au début du mois de novembre qu'un  important contingent d'anciens mercenaires de Wagner avait commencé à s'entraîner avec les forces spéciales de la république russe de Tchétchénie, les Akhmats.

Ramzan Kadyrov, chef de la République russe de Tchétchénie. [Keystone/AP Photo]
Ramzan Kadyrov, chef de la République russe de Tchétchénie. [Keystone/AP Photo]

Armée régulière, Garde nationale russe, groupe paramilitaire, forces spéciales tchétchènes. Le partage des restes des troupes Wagner semble avoir été concurrentiel. Il est aussi très probable qu'au Kremlin, l'idée ait été de disperser au maximum ses membres, afin d'éviter tout esprit de corps après la fronde de l'été 2023.

De nouveaux recrutements sous la bannière Wagner

Si le groupe Wagner tel qu'il était semble bel et bien avoir disparu, son aura et ses symboles ne sont pas totalement morts. Appréciés de certains cercles nationalistes russes, la société paramilitaire continue à être utilisée en Russie pour mobiliser.

Une enquête récente du Guardian a ainsi montré que des centres de recrutement de Wagner avaient rouvert dans le pays. En utilisant un numéro de téléphone russe, des journalistes du quotidien britannique ont contacté plusieurs de ces établissements leur demandant des informations sur le recrutement.

"Nous recherchons de toute urgence de nouvelles personnes. Vous combattrez en tant que membre Wagner, mais les contrats seront signés avec Rosgvardia", leur a-t-on répondu, en ajoutant que la formation serait commandée par Pavel Prigojine, le fils d'Evguéni.

Au début du mois d'octobre, une chaîne Telegram affilié à Wagner avait déjà annoncé que Pavel Prigojine avait pris le "commandement" du groupe paramilitaire. Une chaîne qui détaillait également la création "d'une unité de combat autonome" de Wagner au sein de la Rosgvardia, avec la possibilité de garder nom et symboles.

Un soldat de Wagner se recueille devant le mémorial informel d'Evguéni Prigojine, à proximité du PMC Wagner Centre situé à Saint-Pétersbourg. [Keystone - Anton Matrosov]
Un soldat de Wagner se recueille devant le mémorial informel d'Evguéni Prigojine, à proximité du PMC Wagner Centre situé à Saint-Pétersbourg. [Keystone - Anton Matrosov]

A 25 ans seulement, le fils d'Evguéni Prigojine, peu connu, est surtout utilisé comme un symbole, selon des spécialistes, pour qui il apparaît improbable qu'il ait un jour l'autonomie dont bénéficiait son père.

"Pour moi, il est clair que les autorités utilisent le nom de famille de Pavel pour attirer les combattants. Il n’a pas l’autorité pour diriger quoi que ce soit de manière indépendante", résume auprès du Guardian Marat Gabidullin, ancien membre de la milice Wagner réfugié en France.

"L’État va désormais chercher à recruter ces combattants en s’appropriant la marque Wagner. Mais derrière cette bannière, il n’y a plus de structure organisée. Wagner en tant qu’entité indépendante a cessé d’exister après la mort de Prigojine (...) aucun commandant supérieur de Wagner ne sera jamais plus autorisé à diriger une brigade après la mutinerie", estime de son côté Denis Korotkov, l'un des premiers journalistes d'investigation à avoir enquêté sur Wagner.

D'un point de vue militaire, Wagner ne devrait donc plus, sauf dans le cas d'une restructuration majeure, être "une menace militaire sérieuse pour l'Ukraine", estime enfin l'Institut pour l'étude de la guerre.

Tristan Hertig

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