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"Daech cherche à exploiter la colère internationale" pour enrôler de nouvelles recrues en Europe

Géopolitis : Djihadisme, nouvelles menaces [IMAGO/ZUMA Wire - IMAGO/ZUMA Wire]
Djihadisme, nouvelles menaces / Geopolitis / 23 min. / le 26 novembre 2023
L'escalade de la violence entre le Hamas et Israël fait craindre une résurgence d'attentats en Europe. Les organisations djihadistes exploitent ces moments de forte polarisation pour mobiliser de nouveaux combattants, explique le chercheur Hugo Micheron.

Au centre de Bruxelles le 16 octobre, en marge d'un match de football Belgique-Suède, un homme ouvre le feu sur des supporters suédois. Deux d'entre eux meurent dans cette fusillade, revendiquée par le groupe Etat islamique. Selon les autorités belges, le tueur d'origine tunisienne séjournait illégalement en Belgique.

En France, trois jours auparavant, un enseignant est poignardé par un ancien élève radicalisé à Arras. Deux attentats qui interviennent dans un contexte international et européen bien particulier, souligne le chercheur Hugo Micheron dans Géopolitis: tout d'abord, avec "l'attaque du Hamas sur Israël le 7 octobre, (...) avec un appel du Hamas à procéder à des attentats en Europe. Cet appel était pour le 13 octobre, jour qu'a choisi l'assaillant du lycée d'Arras pour s'en prendre à son ancien lycée. Plus largement, Daech a emboîté le pas et a également appelé à procéder à des actions en Europe."

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Au niveau européen, "l'attentat d'Arras intervient trois ans presque jour pour jour après l'assassinat du professeur de lycée Samuel Paty, également par un djihadiste. Il y a donc un effet d'imitation", poursuit Hugo Micheron.

Le chercheur pointe également, dans le cas de l'attentat à Bruxelles, "un contexte où Al-Qaïda avait appelé à s'en prendre à des Français mais aussi à des Suédois, par rapport à l'épisode de cet été", faisant référence aux Corans brûlés à Stockholm.

Le recrutement en marche

Lauréat cette année du prix Femina de l'essai pour son ouvrage "La colère et l'oubli: les démocraties face au djihadisme européen", Hugo Micheron montre comment les réseaux djihadistes se saisissent de ces moments-clés pour rallier de nouveaux militants. Une période qu'il qualifie de "marée basse du djihadisme", en comparaison avec "la marée haute" de 2015. Le centre de gravité djihadiste s’étant déplacé au Sahel et en Somalie.

"La situation à l'heure actuelle au Proche-Orient crée énormément d'engagement. Par exemple sur les réseaux sociaux, les niveaux d'engagement autour du conflit israélo-palestinien sont supérieurs à ce qu'on voyait par rapport à la guerre en Ukraine, 15 jours après l'invasion", explique-t-il. "Les djihadistes, on l'a vu avec Daech, cherchent à utiliser ce moment de puissant engagement pour essayer de faire basculer un certain nombre d'individus dans des attentats. En gros, il s'agit d'exploiter la colère internationale pour la rediriger vers le djihadisme en Europe."

Un mécanisme qui se nourrit de la guerre informationnelle en ligne. "Pour les milieux militants, la vérité ne compte plus. Tout ce qui compte, c'est de montrer que le camp d'en face est le mal absolu et qu'il mérite absolument d'être détruit", déplore Hugo Micheron.

Selon lui, cette logique qui engendre "polarisation" et "division" pourrait non seulement "inciter au passage à l'acte", mais aussi profiter "aux rivaux de l'Europe", notamment la Russie, la Chine, l'Iran, "qui utilisent eux-mêmes les réseaux sociaux, soit par des robots, soit par l'amplification de ces messages contradictoires, en vue de mettre sous tension le débat européen."

"Le temps long" de la radicalisation

"On croit souvent que la radicalisation est un phénomène express, qui se passe très vite. La réalité du djihadisme, c'est exactement l'inverse", relève Hugo Micheron. "Ce que je montre dans mes travaux, c'est que ça se produit sur le temps long, dans des lieux très précis et souvent de proche à proche."

Il cite le cas emblématique de la banlieue de Bruxelles, des quartiers où les réseaux de recrutement djihadistes sont ancrés depuis de nombreuses années. "Il faut retourner dans les années 1990 et comprendre que Bruxelles, notamment Laeken et Molenbeek, ont été des lieux d'implantation précoce de djihadistes. Ce sont ceux qu'on a appelés les vétérans de la guerre d'Afghanistan ou de la guerre civile algérienne. Ces gens-là se sont installés et ils n'ont pas fait que préparer des attentats", souligne le chercheur. "La réalité, c'est qu'ils ont mis en place des structures. A Molenbeek, ils ont monté des écoles, des séminaires privés de cours religieux. Ils ont créé un petit écosystème, dont vont sortir au fil des années un certain nombre d'individus."

Proportionnellement à son nombre d'habitants, la Belgique est le pays européen qui a vu partir le plus grand nombre de volontaires pour combattre en Syrie ou en Irak, avec près de 500 djihadistes belges identifiés sur un contingent de près de 6000 Européens.

Mélanie Ohayon

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