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En France, les passagers s'entassent parfois dans de vieux trains bondés

Un TER en gare de Valence Ville, en France. [AFP - Nicolas Guyonnet]
La bataille du rail / Tout un monde / 6 min. / le 23 novembre 2023
La fréquentation des trains a fait un bond après l'épidémie de Covid-19 dans de nombreux pays européens. Mais l'offre n'arrive pas toujours à suivre, notamment en France. Le pays court après un important retard d'investissement, en particulier sur son réseau régional. Wagons archi-pleins, tarifs inabordables, la polémique enfle.

En septembre dernier, la SNCF affichait sa satisfaction: durant l'été, la fréquentation des grandes lignes de TGV et de trains Intercités a atteint des records, avec 24 millions de passagers et un taux de remplissage de 80%, qui commence à s'approcher de celui du transport aérien. Du jamais vu. Même la fréquentation des lignes régionales a bondi de 10%. Ce que la SNCF dit moins, c'est que l'offre a de la peine à suivre. Sur les réseaux sociaux, les clients dénoncent pêle-mêle wagons surchargés et prix prohibitifs.

La polémique a notamment enflé autour des TGV et du manque de rames à disposition. "Les années 2010 ont été des années assez décevantes pour la grande vitesse en France, malgré l'augmentation de la taille du réseau. Elle semblait plafonner, ce qui explique la prudence de la SNCF dans l'offre, notamment la fréquence des trains entre les villes", a expliqué jeudi dans l'émission Tout un monde de la RTS l'économiste des transports Yves Crozet, professeur émérite à Science Po Lyon et membre du think tank de l'Union routière de France.

Le temps de la production ferroviaire est un temps extrêmement long, qui s'étale sur plusieurs années

Yves Crozet, économiste des transports

"La SNCF a évité de commander de nouvelles rames de TGV [...] L'idée n'était pas de développer très rapidement l'offre, parce que la demande, jusqu'en 2019 puis pendant l'épidémie de Covid, a été faible", complète le spécialiste.

Depuis, on a bien réaugmenté les cadences sur certaines lignes et rallongé la durée de vie de certains trains, mais les nouveaux TGV modulables commandés en 2014 à Alstom n'arriveront pas avant l'an prochain. "Le temps de la production ferroviaire est un temps extrêmement long, qui s'étale sur plusieurs années", souligne Yves Crozet.

Une infrastructure ferroviaire à deux vitesses

Au-delà du matériel roulant, l'état des lignes pose de nombreux problèmes. "L'infrastructure ferroviaire française est à deux vitesses. Il y a une infrastructure très moderne, les lignes à grande vitesse, qui se sont fortement développées depuis 40 ans et que la France a largement financées, et il y a le réseau classique, qui a subi les priorités données à la grande vitesse et qui est aujourd'hui en assez mauvais état", distingue Gilles Dansart, journaliste et directeur de Mobilettre, une newsletter sur les questions de mobilité en France. "Son âge moyen est beaucoup plus important, presque deux fois plus élevé, que celui, par exemple, du réseau allemand".

Le réseau classique, qui a subi les priorités données à la grande vitesse, est aujourd'hui en assez mauvais état

Gilles Dansart, journaliste et directeur de Mobilettre

Cette disparité entre réseau à grande vitesse et réseau classique pose problème: le TGV ne transporte que 10% des voyageurs - souvent ceux qui peuvent se le permettre - alors que le besoin de trains régionaux et de RER autour des agglomérations est énorme, même si c'est principalement aux heures de pointe.

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L'Etat français n'a pas anticipé

"Il y a urgence à rénover ce réseau pour faire en sorte de répondre à toutes les demandes de transport ferroviaire, notamment les transports de banlieue et les transports régionaux", poursuit Gilles Dansart, pour qui l'Etat français, obnubilé par le redressement des comptes de la SNCF, n'a pas anticipé la demande du public.

En France, la part du transport ferroviaire est très faible en comparaison d'autres pays européens. Pour rattraper ce retard, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé en février un investissement de 100 milliards d'euros dans les infrastructures et le matériel d'ici 2040, mais il reste à concrétier.

Sujet radio: Francesca Argiroffo
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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L'Allemagne à l'aube de grands travaux

Trains annulés ou en retard et autres reproches de tarifs trop élevés ne sont pas une spécificité française. En l'Allemagne, la Deutsche Bahn est elle aussi sous le feu des critiques.

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Pour corriger le tir, le gouvernement d'Olaf Scholz a fait du rail l'une de ses priorités. Berlin veut investir 40 milliards d'euros dans la modernisation du réseau d'ici 2027. Et le temps presse: sans le rail, alertent les Verts allemands, Berlin ne tiendra pas ses objectifs climatiques.

Rail trois fois moins financé qu'en Suisse

Le début de ce grand chantier est prévu pour janvier prochain. "Avec ces travaux, c'est déjà le chaos programmé. Quarante lignes très fréquentées fermeront à tour de rôle pendant cinq mois, pour un assainissement complet des rails comme des gares", a résumé la correspondante de la RTS à Berlin Nathalie Versieux.

Selon le Ministère des transports allemand, le rail souffrait d'un sous-investissement chronique depuis vingt ans. Il est financé à raison de 115 euros par habitant et par an, contre par exemple 450 euros en Suisse. Saturé, le réseau cumule les retards, d'autant que le pays a fait le choix des rails uniques, empruntés à la fois par les trains à grande vitesse, les trains régionaux et les convois de marchandises.

L'Italie et l'Espagne misent sur une baisse des prix

D'un pays européen à l'autre, les stratégies ne sont pas les mêmes pour augmenter l'attractivité du rail. Si certains misent sur l'amélioration du réseau, d'autres veulent d'abord attirer davantage de passagers en misant sur des tarifs moins élevés, comme l'Italie et l'Espagne.

"Les Italiens ont pris la décision importante de réduire les péages que paient les opérateurs sur le réseau ferroviaire, pour faire en sorte que le prix du billet soit moins élevé", explique le spécialiste du rail Gilles Dansart.

Jouer sur la concurrence

Autre levier, jouer sur la concurrence: "Il y a aujourd'hui l'opérateur historique espagnol sur le réseau à grande vitesse, la Renfe, mais il y a aussi les Français de la SNCF et les Italiens de Trenitalia qui sont venus ajouter de l'offre et convaincre les Espagnols de prendre le train plutôt que le car ou la voiture, notamment avec des prix assez bas", note-t-il.