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Les Emirats accusés de profiter de la COP28 pour signer des contrats fossiles

Le président de la COP28 Sultan Al Jaber. [Keystone - EPA/Ali Haider]
Les Emirats comptent profiter de la Cop 28 pour signer des contrats fossiles / Tout un monde / 6 min. / le 28 novembre 2023
Alors que la COP28 ouvre ses portes jeudi à Dubaï, la BBC révèle que les autorités des Emirats arabes unis ont l'intention de profiter de cette occasion pour signer des contrats pétroliers et gaziers. La personnalité controversée du président de la réunion, le businessman Sultan Al Jaber, est aussi critiquée par les ONG.

Selon l'enquête de la BBC, qui se base sur des documents officiels qui ont fuité, Sultan Al Jaber a utilisé des rencontres préparatoires pour la COP28 avec des dirigeants du monde entier pour faire avancer, entre autres, les affaires de la compagnie pétrolière des Emirats dont il est le patron.

Les Emirats arabes unis ont "saisi l'occasion pour conclure des accords pétroliers et gaziers", précise la chaîne publique britannique, qui fait référence à des réunions qui ont eu lieu de juillet à octobre dernier. Fournis à la BBC par un lanceur d'alerte anonyme, ces documents sont en fait des briefings internes qui auraient été adressés au président de la COP en vue de ses rencontres avec des dirigeants (Chine, Brésil, Egypte...) et qui comprennent des points de discussion suggérant que la compagnie pétrolière émiratie est prête à investir chez eux.

Les dirigeants de l'émirat n'ont pas nié cette information, affirmant que les "réunions privées sont privées". Un porte-parole de la COP28 a toutefois rétorqué que "les documents évoqués dans l'article de la BBC sont inexacts et n'ont pas été utilisés par la COP28 lors de réunions".

Un mélange des genres

Ce mélange des genres entre des sujets concernant la COP et le climat et des discussions d'opportunités pétrolières dans des réunions avec des dirigeants mondiaux met au centre de l'attention et des critiques le président de la réunion Sultan Al Jaber. Cet homme d'affaires de 50 ans cumule en effet les fonctions de patron de la compagnie pétrolière émiratie Adnoc, de ministre de l'Industrie et des Technologies avancées des Emirats arabes unis, d'émissaire pour le climat et donc de président de la 28e conférence de l'ONU sur le climat.

Sultan Al Jaber dit tomber des nues quand il entend des écologistes l'accuser de duplicité sur le climat. "Les gens qui m'accusent de conflit d'intérêts ne connaissent pas mon parcours", a-t-il dit à l'AFP en juillet, lors d'un rare entretien. "J'ai passé la majorité de ma carrière dans le développement durable, la gestion de projets et les énergies renouvelables."

Son expérience est certes différente de celles de ses prédécesseurs (en général ministres) et de ses homologues pétroliers. Il a représenté les Emirats arabes unis à plusieurs COP. En 2006, il a fondé la société nationale d'énergies renouvelables Masdar, devenue un géant, et dont il préside toujours le conseil d'administration. En 2016, il a été nommé directeur général d'Adnoc, avec comme mandat de "décarboner" l'entreprise et de "la préparer pour l'avenir", selon lui.

>> Revoir le sujet du 19h30 en juin consacré à Sultan Al Jaber :

Le Sultan émirati Al Jaber, président contesté de la COP28, a admis la réduction impérative des énergies fossiles. Décryptage
Le Sultan émirati Al Jaber, président contesté de la COP28, a admis la réduction impérative des énergies fossiles. Décryptage / 19h30 / 2 min. / le 9 juin 2023

Des appels à la démission

Etre un homme du gaz et du pétrole est son défaut, disent les centaines d'ONG et de parlementaires américains et européens qui ont appelé à sa démission d'Adnoc ou de la COP28. "Al Jaber a clairement indiqué que l'industrie pétrogazière aurait une place de choix à la COP", a ainsi souligné le sénateur américain démocrate Sheldon Whitehouse.

Interrogés mardi dans Tout un monde, plusieurs observateurs avisés de cette COP 28 se disent loin d'être étonnés. Ainsi, Amnesty international dénonce depuis plusieurs mois ce qu’elle voit comme une ironie de la part des Emirats Arabes unis. La porte-parole suisse de l'ONG de défense des droits humains Nadia Boehlen relève qu'alors que le but est de parvenir à un abandon rapide des énergies fossiles, il est "curieux" que la COP28 soit présidée par Sultan Al Jaber. Et d'ajouter: "On savait que sa position représentait un conflit d'intérêts flagrant et que cela compromettait la réussite de la COP28."

De son côté, Amy Dahan, directrice de recherche au CNRS et personnalité renommée dans le domaine des négociations climatiques, se dit "révoltée", mais pas étonnée. "C'était relativement prévu: la façon dont les pays fossilistes ont pris la main sur les négociations sous prétexte qu'il n'y avait pas d'autres candidats leur permet de gagner du temps. Ils savent que le pétrole est condamné, mais ils veulent gagner 30 ans." Or, à ses yeux, gagner 30 ans signifie continuer à gagner beaucoup d'argent malgré l'urgence du dérèglement climatique.

Des négociations pour faire oublier le président

La BBC, elle, a interpellé l'organe des Nations unies responsable des négociations sur le climat, à la base des COP, à savoir la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Et celle-ci rappelle que le "principe cardinal" pour les présidents de la COP et leurs équipes est "l'obligation d'impartialité".

Kari de Pryck, politologue à l'Institut des sciences de l'environnement de l'Université de Genève, se veut elle plus nuancée et rappelle pour sa part la précédente COP à Charm-el-Cheikh, quand des doutes similaires avaient été émis. Pour elle, les avancées dépendent beaucoup des négociations impliquant les différents délégués. "Il y a moyen de travailler pour éviter que le président ou ses proches associés essaient d'amoindrir les négociations."

Sebastien Duyck, juriste senior au Centre pour le droit international de l'environnement à Genève, va accompagner des négociations à la COP28. Il ne se prononce pas directement sur l'enquête de la BBC, mais seulement sur le rôle du président: "Par le passé, nous avons observé que les gouvernements qui exerçaient la présidence s'efforçaient de jouer un rôle plus neutre qu'à l'accoutumée et de mettre en avant l'importance de parvenir à un résultat constructif et à une victoire diplomatique, plutôt que d'avancer des intérêts nationaux." Il relève toutefois que quand une présidence perd la confiance des autres Etats impliqués dans les négociations, cela peut causer des "dommages importants au processus diplomatique, à sa crédibilité et sa légitimité".

Pour certains aussi, l'appartenance de Sultan Al Jaber au monde des hydrocarbures peut aussi s'avérer positif, puisque tout consensus devra réunir près de 200 pays, dont ceux du Golfe. Son prédécesseur durant la COP21, Laurent Fabius, parle d'un "homme qui travaille, qui connaît très bien ses dossiers". Mais aura-t-il la poigne et le doigté pour faire adopter un texte à la fois ambitieux et acceptable par les participants à la COP28?

On en saura plus le 12 décembre, date théorique de la fin de la COP28, si son méthodique président parvient à clore les débats à l'heure.

>> Réécouter rubrique Parlons Cash de La Matinale consacrée à la COP28 :

Parlons Cash (vidéo) - Le commerce mondial à la COP28
Parlons Cash (vidéo) - Le commerce mondial à la COP28 / La Matinale / 2 min. / le 1 novembre 2023

Sujet radio: Benjamin Luis

Adaptation web: Frédéric Boillat avec afp

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