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La jeunesse albanaise a faim d'Europe, mais le rapprochement tarde

Tirana en Albanie le 22 mars 2020. [AP Photo/Keystone - Hektor Pustina]
La jeunesse albanaise impatiente d'Europe / Tout un monde / 4 min. / le 28 novembre 2023
Pays totalitaire et isolé il y a à peine plus de 30 ans, l'Albanie est désormais devenue le pôle pro-occidental des Balkans, faisant même figure de bon élève parmi les candidats à l'Union européenne. Le processus d'intégration est d'ailleurs relancé depuis l'an dernier. La jeunesse albanaise, l'une des plus europhiles du continent, attend avidement des avancées.

Avant la chute de son régime communiste en 1991, l'Albanie était un peu la Corée du Nord de l'Europe. Le dictateur stalinien Enver Hoxha avait isolé le pays du reste du monde pendant près d'un demi-siècle.

La pyramide de Tirana. [CC BY-SA 4.0 - BBB2021]
La pyramide de Tirana. [CC BY-SA 4.0 - BBB2021]

La situation s'est renversée depuis, laissant place à un pays tourné vers l'Occident. L'étrange "pyramide de Tirana", jadis un musée à la gloire d'Enver Hoxha, en témoigne: après des années d'abandon, le monument, refait à neuf, est aujourd'hui dédié à la jeunesse et constitue un lieu d'ouverture vers le reste du continent.

"Avant, cette pyramide était utilisée comme lieu de culte pour l'un des plus terribles dirigeants qu'a connu l'Europe au XXe siècle. Mais aujourd'hui, elle sert à des choses bien plus positives pour le futur de l'Albanie. Par exemple, récemment, un sommet avec les principaux dirigeants de l'Union européenne a eu lieu ici, ce qui montre bien que ce monument de triste mémoire est en train de devenir l'un des symboles d'un avenir meilleur pour le pays", s'est réjoui Dejan Cullafiq, un étudiant de 23 ans, au micro de l'émission Tout un monde de la RTS.

"C'est démoralisant d'attendre autant"

Un avenir européen, tel était déjà le rêve de la jeunesse albanaise il y a 30 ans. C'est aussi celui de l'ensemble de la classe politique actuelle. Elle en a fait son objectif prioritaire, la société albanaise étant très largement en faveur de l'intégration.

D'importantes réformes ont été lancées, mais près de 10 ans après l'obtention du statut de candidat, l'adhésion à l'Union européenne reste une perspective lointaine: "C'est démoralisant d'attendre autant. Moi qui voyage beaucoup, je vois par exemple les différences aux contrôles aux frontières: on ne peut pas se mettre dans la même file que les voyageurs qui viennent des pays de l'Union européenne. C'est le cas aussi avec nos abonnements téléphoniques: ils ne fonctionnent pas ailleurs sur le continent, on est obligé de prendre des cartes spéciales à chaque fois. Toutes ces petites choses font qu'on se sent un peu à l'écart", raconte Majlinda Bajrami, 24 ans, volontaire auprès d'un organisme de coopération pro-européen.

La jeune femme se dit cependant certaine que l'Albanie intégrera un jour l'UE. "C'est un processus qui demande du temps. Il faut des réformes de notre législation, et les autres pays sont passés par là aussi", convient-elle.

La nouvelle bête noire des extrêmes droites européennes

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Commission européenne a fait de l'adhésion des Balkans occidentaux (Albanie et pays de l'ex-Yougoslavie, sans la Slovénie) une priorité. La date de 2030 a même été avancée pour un possible élargissement.

>> Lire à ce sujet : L'UE donne son feu vert à des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord

Mais entre-temps, l'Albanie est devenue la bête noire des extrêmes droites européennes, notamment britannique, française ou hollandaise. Leurs slogans de campagne dépeignent un pays rongé par la mafia et des traditions archaïques.

Ces attaques racistes choquent Flutura Brakaj, chargée de projet à l'Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux: "En tant que jeune Albanaise, ces slogans m'atteignent vraiment dans mes aspirations européennes et mon travail. Si ces accusations sont basées sur des statistiques, je peux les entendre, mais si c'est seulement de la propagande, je ne leur accorde aucun crédit", tranche-t-elle, pointant le fait que tous les pays qui ont intégré l'UE il y a des années "n'étaient pas parfaits" non plus. "Mais grâce à des personnes et des choix dans la politique, les écoles, les médias ou la jeunesse, ils ont réussi à s'améliorer", plaide-t-elle.

Positionnement à l'opposé de Moscou

Le président français Emmanuel Macron avec le Premier ministre albanais Edi Rama à Tirana le 17 octobre 2023. [Keystone/AP - Franc Zhurda]
Le président français Emmanuel Macron avec le Premier ministre albanais Edi Rama à Tirana le 17 octobre 2023. [Keystone/AP - Franc Zhurda]

Ces derniers mois, plusieurs sommets européens ont eu lieu à Tirana. Emmanuel Macron, de son côté, a récemment effectué la première visite d'un président français en Albanie. Un succès pour le Premier ministre albanais Edi Rama, au pouvoir depuis dix ans. Il est pourtant régulièrement accusé de dérive autoritaire et de liens avec le crime organisé. Selon l'analyste Neritan Sejamini, toutefois, ses choix géopolitiques l'emportent sur sa politique intérieure.

"Face à la Serbie, qui a des liens historiques et traditionnels avec la Russie et qui ne cache pas ses sympathies envers Moscou, il est évident que l'Albanie, qui se positionne à l'opposé en soutenant totalement les Occidentaux, est appréciée par ses partenaires et présentée comme un exemple positif de la façon dont les Balkans doivent se positionner d'un point de vue géostratégique. C'est pour ça qu'il y a ces rencontres et ces visites organisées à Tirana, ainsi que ces commentaires positifs sur l'Albanie", décrypte-t-il. "Mais c'est beaucoup et peu à la fois, car si l'on parle de vrais progrès - économiques, judiciaires, législatifs, ou d'intégration européenne -  il n'y a pas eu de grands pas en avant".

>> Lire : Un sommet UE-Balkans à Tirana pour resserrer les liens face à Moscou

Alors que l'adhésion de leur pays tarde à venir, un grand nombre d'Albanais ont décidé de s'intégrer eux-mêmes à l'Union européenne. Entre 2008 et 2020, ils ont ainsi été plus de 700'000 à obtenir un titre de séjour dans un pays membre. Le phénomène s'est encore accentué après la pandémie de Covid-19, aggravant un peu plus la crise démographique que connaît le pays, avec une population qui décroît depuis les années 90.

Sujet radio: Louis Seiller
Adaptation web: Vincent Cherpillod

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