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JO 2024: en exil, les athlètes biélorusses dissidents se sentent abandonnés

JO 2024: en exil, les athlètes biélorusses dissidents se sentent abandonnés. [AFP - FABRICE COFFRINI]
Dissidence ou carrière: les sportifs biélorusses forcés de choisir / Tout un monde / 8 min. / le 29 novembre 2023
Le Comité international olympique (CIO) n'a toujours pas rendu sa décision sur la participation des athlètes russes et biélorusses aux Jeux olympiques de Paris 2024. Si le CIO donne son feu vert pour leur participation, les sportifs de ces deux pays qui n’ont pas soutenu publiquement la guerre en Ukraine pourraient participer sous bannière neutre. En revanche, des athlètes qui ont fui le régime d'Alexandre Loukachenko et dénoncé la guerre en Ukraine pourraient se retrouver sans possibilité de participer aux JO.

Dans de nombreuses disciplines, ce sont les fédérations nationales qui désignent quels athlètes de leur pays peuvent se rendre aux JO. Or les sportifs biélorusses qui ont manifesté contre le régime d'Alexandre Loukachenko en 2020, qui ont dû fuir leur pays très souvent, n'ont plus de liens avec leur fédération nationale.

C'est le cas de Yana Maksimava, une athlète d'heptathlon, qui, avant 2020, ne s'était jamais intéressée à la politique. "Ma fille est née en 2019. Ma carrière sportive était en quelque sorte sur pause, j'avais plus de temps pour regarder les informations, notamment sur YouTube. Je suis alors tombée sur l'opposant Sergueï Tikhanovski, qui parcourait les villes, parlait de la situation des gens, de leur quotidien... J'ai réalisé que je ne connaissais pas du tout mon pays", témoigne Yana Maksimava mercredi dans l'émission de la RTS Tout un monde.

La Biélorusse Yana Maksimava participe au lancer du poids du pentathlon féminin lors des championnats d'Europe d'athlétisme en salle à Belgrade, le 3 mars 2017. [AFP - ANDREJ ISAKOVIC]
La Biélorusse Yana Maksimava participe au lancer du poids du pentathlon féminin lors des championnats d'Europe d'athlétisme en salle à Belgrade, le 3 mars 2017. [AFP - ANDREJ ISAKOVIC]

"Ils ne pouvaient pas se sacrifier pour moi"

Si, en Russie, très peu d'athlètes s'opposent publiquement à Vladimir Poutine et à la guerre en Ukraine - sauf lors de premier jours de l'invasion - la situation est différente en Biélorussie. En 2020, lors des protestations massives, le monde sportif a été très actif: pus de 1000 athlètes, de différents niveaux, ont alors signé une lettre ouverte contre le réélection du président Loukachenko.

Yana Maksimava et son mari Andrei Krauchanka, médaillé olympique de décathlon, ont été rapidement inquiétés. Son époux a été détenu et menacé. Ils ont alors trouvé refuge en Allemagne en 2021, où Yana Maksimava espérait poursuivre sa carrière.

"J'ai trouvé un entraîneur allemand. Si j'avais pu concourir, j'aurais gagné les compétitions. J'aurais pu avoir des sponsors. Je n'aurais pas eu à travailler ailleurs pour subvenir à mes besoins", explique-t-elle.

Et de poursuivre: "Mais quand la guerre en Ukraine a commencé, les Russes et Biélorusses ont été interdits de participer aux compétitions internationales. Mon coach s'est mobilisé, il a écrit des lettres, fait des appels.... Mais on lui a dit que s'il me laissait participer, le club pouvait être disqualifié. Ils ne pouvaient pas se sacrifier pour moi."

Privés de compétitions internationales

Dès le début de la guerre, les sportifs biélorusses sont soumis aux mêmes restrictions, au niveau international, que leurs collègues russes. En effet, la communauté internationale considère que le régime à Minsk est complice de l'invasion de l'Ukraine, car Alexandre Loukachenko a mis son territoire à disposition des troupes russes.

Pourtant, parmi les athlètes biélorusses qui ont dénoncé le régime autoritaire dans leur pays, beaucoup s'opposent à cette guerre. "Quand la guerre a commencé, j'ai cessé de m'entraîner pendant un mois, indique Yana Maksimava. Des enfants mourraient! Puis, j'ai vu, j'ai compris que chacun continuait à vivre, à travailler, à penser à soi. Mais si on m'avait dit de choisir entre l'arrêt de la guerre ou la fin de ma carrière, sans hésiter, je savais que ma carrière, ça n'avait pas d'importance. Même ma simple vie, je serais prête à la sacrifier."

Même lors d'une compétition nationale, par exemple, le marathon polonais, à laquelle participent des professionnels et des amateurs, les exilés biélorusses n'avaient pas le droit de concourir simplement parce qu'ils étaient citoyens biélorusses

Mikhail Zalewski, membre de l'équipe de l'opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaia

Ces sportifs exilés ont alors l'impression de vivre une double peine: chassés de leur pays, ils ne peuvent pas non plus participer à des compétitions internationales ou nationales dans leur pays d'accueil, tout simplement parce qu'ils détiennent un passeport biélorusse.

Certains pays se montrent ouverts à faire des exceptions, comme la Pologne. "Même lors d'une compétition nationale, par exemple, le marathon polonais, à laquelle participent des professionnels et des amateurs, les exilés biélorusses n'avaient pas le droit de concourir simplement parce qu'ils étaient citoyens biélorusses", décrit Mikhail Zalewski, membre de l’équipe de l'opposante biélorusse en exil Svetlana Tikhanovskaïa.

Et d'ajouter: "Mais nous avons réussi à restaurer leurs droits. Nous avons créé un institut en collaboration avec le ministère des Sports de Pologne et le Comité national olympique, qui vérifie ces athlètes. Si la commission dit que oui, cet athlète, en 2020 n'a pas reconnu l'élection de Loukachenko, qu'il est dissident, alors il a le droit de participer."

Une "quarantaine" de trois ans

Des sportifs biélorusses réfugiés en Europe ont tenté de changer de nationalité. Il s'agit d'ailleurs de l'une des seules manières pour eux de poursuivre leur carrière. Cependant, ils doivent observer une "quarantaine", une pause de trois ans avant de pouvoir participer à des compétitions internationales sous les couleurs de leur nouveau pays.

C'est l'option choisie par la sprinteuse Krystsina Tsimanouskaya. Lors des JO d'été de Tokyo, en 2021, elle avait refusé de rentrer à Minsk, et depuis le Japon, elle a obtenu un visa humanitaire en Pologne. Elle a ensuite demandé et obtenu la nationalité polonaise et dans son cas, la procédure de quarantaine a même pu être accélérée, avec l’aide de la Belarusian Sport Solidarity Foundation (BSSF), qui soutient les près de 2000 sportifs biélorusses ayant pris position contre le régime d'Alexandre Loukachenko.

>> Relire : Le CIO sanctionne deux entraîneurs bélarusses dans l'affaire Krystsina Tsimanouskaya

Krystsina Tsimanouskaya a été mise en quarantaine pendant trois ans. Mais grâce à nos efforts conjoints avec la Fédération polonaise d'athlétisme, nous avons réussi à réduire la quarantaine à deux ans et la Fédération internationale d'athlétisme l'a accepté

Aliaksandr Apeikin, directeur Belarusian Sport Solidarity Foundation

"Krystsina Tsimanouskaya a été mise en quarantaine pendant trois ans. Mais grâce à nos efforts conjoints avec la Fédération polonaise d'athlétisme, nous avons réussi à réduire la quarantaine à deux ans et la Fédération internationale d'athlétisme l'a accepté. Depuis, Krystsina Tsimanouskaya a participé aux championnats du monde à Budapest et se prépare déjà pour les JO. Son cas a été une victoire", raconte le directeur de la BSSF Aliaksandr Apeikin.

La fondation se bat pour que Yana Maksimava aussi puisse se rendre aux JO de Paris en 2024. Aliaksandr Apeikin estime que le CIO, basé à Lausanne, n'a pas fait grand chose: "Le CIO n'a pas aidé les athlètes qui ont souffert de persécutions, d'aucun manière. Mais il faut néanmoins rendre hommage au fait qu'il y a eu une réaction du CIO au début de la répression, en 2020-2021: il a imposé des sanctions contre le Comité national olympique de Biélorussie. Mais ce sont justement les athlètes qui ont réellement souffert pour avoir défendu les valeurs olympiques qui se sont retrouvés ensuite sans aucun soutien. On ne leur a pas proposé de bourses ni de soutien juridique."

A cette critique, le CIO n'a pas répondu précisément à la RTS. Par écrit, il a tenu à rappeler, en revanche, les sanctions qu'il a prises en 2020-2021 contre le pouvoir biélorusse. Le CIO avait notamment refusé de reconnaître la nomination de Viktor Loukachenko, le fils du président, à la tête du Comité olympique biélorusse.

Krystsina Tsimanouskaya lors des Championnats du monde d'athlétisme au Centre national d'athlétisme de Budapest, le 24 août 2023. [AFP - JEWEL SAMAD]
Krystsina Tsimanouskaya lors des Championnats du monde d'athlétisme au Centre national d'athlétisme de Budapest, le 24 août 2023. [AFP - JEWEL SAMAD]

"Équipe pour la liberté"

Mais le CIO n'a pas rompu tout dialogue avec les autorités sportives à Minsk. A la RTS, il indique être en contact à la fois avec la BSSF, la fondation de soutien aux athlètes en exil et avec le Comité olympique biélorusse, qui est toujours reconnu officiellement par le CIO, ce que regrettent les opposants à Loukachenko.

Depuis 2016, il existe aux JO une "équipe des réfugiés", pour les sportifs qui ont dû fuir leur pays. Mais pour y prétendre, il faut avoir le statut officiel de réfugié dans son pays d'accueil. Or c'est rarement le cas des athlètes biélorusses en exil, qui sont plutôt au bénéfice de visas humanitaires ou d'autres titres de séjour.

La BSSF avait une autre proposition pour le président du CIO Thomas Bach. "Nous avons recommandé à Thomas Bach de créer une 'team for freedom' (équipe pour la liberté, ndlr), parce que nous comprenons qu'il y a des pays aux régimes dictatoriaux, où les athlètes ne veulent pas représenter leurs autorités. Une équipe devrait donc exister pour de tels athlètes: lorsqu'il est clair qu'après avoir exprimé leur position, ils ont été victimes de répression", souligne Aliaksandr Apeikin.

Interrogé par la RTS sur ce point, le CIO n'a pas répondu.

Décision du CIO attendue avec impatience

Le CIO n'a pas encore communiqué quand il statuera sur la participation des Russes et de Biélorusses aux JO de Paris. L'Ukraine s'y oppose, et les dirigeants occidentaux sont dans l'embarras, à commencer par la France, pays hôite.

Quant aux athlètes biélorusses en exil, ils pourraient avoir un goût amer, s'il s'avère que ce sont les sportifs qui n'ont rien dit contre la guerre, ni contre leur régime qui pourront concourir librement.

Isabelle Cornaz/vajo

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