Publié

Taïwan de retour au centre de l'attention avant une présidentielle sous tension

Sur l'île taïwanaise de Kinman, les canons font face à Xiamen, ville chinoise située de l'autre côté d'un bras de mer. [RTS - Patrick Chaboudez]
Emission spéciale (partie 1): Taïwan face à la Chine / Tout un monde / 22 min. / le 30 novembre 2023
L'archipel de Taïwan est l'un des points chauds de la planète qui définit une bonne partie du cadre géopolitique mondial, avec les Etats-Unis et l'Occident d'un côté et la Chine de l'autre. A quelques semaines d'une présidentielle importante pour le territoire, l'émission Tout un monde fait le point sur les enjeux stratégiques.

La Chine ne devrait pas procéder à une invasion de Taïwan à court terme en raison des défis intérieurs auxquels Pékin est confronté, a estimé la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen lors d'une interview diffusée mercredi à la conférence DealBook Summit de New York. "Je pense que les dirigeants chinois sont en ce moment dépassés par leurs défis internes", a-t-elle ajouté.

Pékin a rapidement réagi à cette déclaration. "Je dois d'abord rectifier une erreur: Taïwan est une partie inséparable du territoire chinois, il n'y a donc pas de présidente de Taïwan", a commenté un porte-parole de la diplomatie chinoise, qui a aussi fustigé "l'obstination" du Parti démocratique progressiste (PDP) au pouvoir à Taïwan à prôner l'indépendance de l'île.

Cet échange résume la tension qui existe depuis des décennies entre Taïwan, un territoire grand comme la Suisse abritant 24 millions d'habitants, et le grand voisin chinois, 10 millions de km2 et 1,4 milliard d'habitants, qui en revendique la souveraineté. Sur cette île, qui est au coeur d'un long bras de fer entre la Chine et les Etats-Unis, plane toujours une menace, celle d'un conflit régional, voire mondial.

Une présidentielle qui focalise l'attention

Comme une élection présidentielle a lieu au mois de janvier à Taïwan, l'attention internationale se focalise à nouveau sur la géopolitique de la région. Pékin et Washington vont évidemment suivre le scrutin de près, car son résultat pourrait déterminer l'avenir des relations entre l'île et la Chine. Bête noire de Pékin, le PDP pourrait remporter un troisième mandat inédit, un résultat susceptible d'accroître encore les tensions. La Chine multiplie les opérations d'influence pour changer l'issue du vote, les autorités de Taïwan dénonçant des menaces militaires et des pressions économiques.

Ces tensions ont trois origines, historique, politique et stratégique. En premier lieu, la Chine considère Taïwan comme une province qu'elle n'a pas encore réussi à réunifier avec le reste de son territoire depuis la fin de la guerre civile en 1949, quand l'île a tourné le dos au continent pour devenir une démocratie. Et Pékin, qui n'a pas renoncé à conquérir l'île par la force, exerce une forte pression militaire et économique sur Taïwan depuis l'arrivée au pouvoir en 2016 de Tsai Ing-wen.

Le deuxième enjeu est politique: le Parti communiste veut voir disparaître un symbole, celui d'une société de culture chinoise, multiethnique et démocratique. Taiwan est en effet un contre-exemple qui colle mal avec la rhétorique du Parti communiste qui veut qu'il n'y ait pas d’alternative crédible à son modèle.

Enfin, au niveau stratégique, la Chine est encerclée par la Corée du Sud, le Japon et les Philippines, tous des alliés américains qui entravent son accès à l’océan Pacifique. Avec Taiwan dans son giron, Pékin créerait une brèche qui lui permettrait de projeter sa puissance militaire.

Coup de bluff ou menace réelle?

Il y a deux semaines, les présidents américain et chinois Joe Biden et Xi Jinping se sont rencontrés à San Francisco, en marge du sommet des pays de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique. Et s'ils ont rétabli le dialogue, ils butent toujours sur la question de Taïwan. Xi Jinping a affirmé qu'une réunification de l'île autonome était "inévitable" et que Washington devait "cesser d'armer Taïwan". Le chef d'Etat américain avait lui demandé à son homologue de "respecter le processus électoral".

>> Lire aussi : Joe Biden et Xi Jinping rétablissent le dialogue, mais sans régler leurs différends

Cette intensification des pressions politiques, économiques et militaires de la Chine sur Taiwan rappelle que le président Xi Jinping a promis de l’annexer par la force si nécessaire. Et sur l'île, la menace paraît bien réelle. Hung Tzu-chieh, analyste pour le compte du ministère taiwanais de la Défense, explique vendredi dans Tout un monde que les exercices militaires sont "plus fréquents" et "de meilleure qualité". Il relève également le changement dans la formation des troupes chinoises, beaucoup plus professionnelles, et dans des situations de combat, confirmant la réalité de la menace.

Du côté chinois, si on ne peut pas exclure le scénario d'une attaque et le risque de guerre mondiale qui en découlerait de par le jeu complexe des alliances, on rappelle que l’opération aurait un coût économique gigantesque. Taiwan occupe une place fondamentale dans les chaînes de valeurs – notamment les semi-conducteurs. Le détroit de Taiwan voit passer quotidiennement la moitié des porte-conteneurs de la planète. Les conséquences économiques d’un conflit serait désastreuses pour le monde, et la Chine en particulier, à l'heure où son économie souffre particulièrement.

>> Ecouter la deuxième partie de l’émission spéciale de Tout un monde :

Emission spéciale (partie 2): Taïwan face à la Chine [RTS - Patrick Chaboudez]RTS - Patrick Chaboudez
Emission spéciale (partie 2): Taiwan, un enjeu global / Tout un monde / 21 min. / le 1 décembre 2023

Et au-delà des "protections" que sont cette situation géostratégique, sa relation étroite avec les Etats-Unis et son industrie de pointe dont dépend la planète tout entière, Taiwan bénéficie d'une forme de soft power, d'influence culturelle, de valeurs et d’ouverture incarnées par la présidente Tsai Ing-wen, très active sur la scène internationale et très impliquée dans la campagne électorale. Prochain grand rendez-vous d'ailleurs, les élections générales à Taiwan, le 13 janvier, qui détermineront un peu plus l'avenir de l'île.

Reportages radio: Patrick Chaboudez et Michael Peuker

Texte web: Frédéric Boillat et Victorien Kissling

Publié

Kinmen face à Xiamen, le petit caillou à côté du géant

Kinmen, une toute petite île de l’archipel taïwanais située à quelques kilomètres à peine des côtes chinoises, beaucoup plus près de la Chine que de l'île principale de Taïwan, symbolise cette opposition entre deux mondes, à la fois proches et lointains. Les lumières de la mégapole chinoise de Xiamen exhibent la puissance de Pékin, alors que le gros caillou de Kinman évoque plutôt les vestiges du passé, puisqu'il a été l'un des derniers théâtre d’affrontements directs entre les troupes communistes et nationalistes chinoises pendant la guerre civile.

Aujourd'hui, les habitantes et habitants de Kinmen, qui ont appris à composer avec le voisin géant, souhaiteraient la construction d'un pont pour être reliés à Xiamen afin de faciliter les échanges économiques et la venue de touristes chinois. C'est d'ailleurs de Chine qu'est depuis cinq ans acheminée l'eau potable.

Dans son atelier de Kinmen, un homme transforme d'anciens obus en divers ustensiles comme des couteaux, un geste "symbolique" à ses yeux pour oublier le passé et la guerre et passer à autre chose, à la paix. Interrogé dans Tout un monde, il confie que les habitants n'ont plus peur, parce qu'il y a aujourd'hui beaucoup d'échanges entre les deux rives. Pour eux, l'îlot n'est plus l'avant-poste stratégique de la résistance face à la Chine maoïste, mais un partenaire quotidien.

Le cas de Kinmen est toutefois particulier et, dans les faits, c'est toujours un énorme fossé idéologique qui sépare Taïwan et la Chine, à la fois si proches et si différentes.

>> Voir aussi le direct de Michael Peuker à Xiamen :

En direct de Xiamen (vidéo) - La mégapole chinoise en face de l’île de Taïwan
En direct de Xiamen (vidéo) - La mégapole chinoise en face de l’île de Taïwan / La Matinale / 3 min. / le 30 novembre 2023