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Le directeur d'une ONG palestinienne lâchée par la Suisse se dit "en état de choc"

L’incompréhension des ONG palestiniennes bannies arbitrairement par la Suisse (vidéo)
L’incompréhension des ONG palestiniennes bannies arbitrairement par la Suisse (vidéo) / La Matinale / 4 min. / le 1 décembre 2023
Figure de référence de la défense des droits humains à Gaza, Raji Sourani a pu être joint par le Pôle enquête de la RTS. Il est abasourdi de se voir couper les vivres par le Département fédéral des Affaires étrangères. Son ONG va demander à Berne de préciser ses reproches sur sa communication "ambiguë" depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre.

La Suisse a décidé de cesser de soutenir trois ONG palestiniennes au motif qu’elles ont violé le code de conduite compris dans leurs contrats, comme l’a confirmé la semaine dernière le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE). Au départ, le DFAE a évoqué des soupçons sur 11 organisations de défense des droits humains tant en Israël que dans les territoires occupés. Ces soupçons concernaient de potentiels dérapages dans la communication de ces ONG depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, une potentielle apologie de la violence, ce qui contrevient aux clauses de non-discrimination du code de conduite.

>> Pour en savoir plus, lire aussi : Le gel du financement de onze ONG israéliennes et palestiniennes est vivement contesté

Après analyse, le DFAE a établi que ces soupçons se confirment pour trois ONG seulement. On y retrouve l’organisation non-gouvernementale la plus connue et la plus respectée de Gaza, le Centre palestinien pour les droits de l’homme. La RTS a réussi à établir le contact avec son fondateur et directeur.

"Ce n’est pas la Suisse que nous connaissons"

A presque 70 ans, l’avocat Raji Sourani se dit tout d’abord chanceux d’être encore en vie, alors que sa maison a été détruite sous les bombardements de l’armée israélienne à Gaza. Il est un partenaire de longue date de la coopération suisse et de nombreux autres pays européens. C’est une figure de référence, primée de nombreuses fois à l’international, emprisonnée par le passé tant par les autorités israéliennes que palestiniennes. Autant dire que le directeur de l'ONG palestinienne ne s’attendait pas à se faire bannir par la Suisse.

Honnêtement, ça m’a mis en état de choc

Raji Sourani, fondateur et directeur du Centre palestinien pour les droits de l’Homme

Interrogé dans La Matinale vendredi, il dit son incompréhension. "Honnêtement, ça m’a mis en état de choc. C'est même la dernière chose à laquelle je m'attendais alors que des milliers de bombes sont tombées sur la tête des civils et que nous assistons à un désastre humanitaire de premier ordre. C’est ce qui m’a choqué. Et ce n’est pas la Suisse que nous connaissons, fantastiquement engagée qui, depuis toujours, soutient ce qui est juste en Palestine et ce qui est juste dans le monde."

Raji Sourani dit ne pas comprendre les motivations d’une décision "tombée de nulle part". Le DFAE ne lui a communiqué aucun reproche concret. Il a reçu un simple mail daté du 22 novembre, dont la RTS a pu prendre connaissance. Pour justifier le non-renouvellement du contrat à partir du 1er avril 2024, le DFAE évoque une communication "parfois ambiguë et pas toujours à la hauteur des standards attendus de nos partenaires". C’est assez vague et Raji Sourani dit en être réduit aux suppositions: "Je suis sûr qu’il n’y a rien de juridique, mais qu’il s’agit plutôt de motivations politiques".

Une décision "aberrante", dénonce un ex-cadre du DFAE

Interrogé dans La Matinale, Mario Carera, ancien responsable du Bureau de la coopération suisse en Cisjordanie et à Gaza, partage lui aussi l'avis que cette sanction tient de motivations politiques. "Cela fait une vingtaine d’années qu’on les soutient. Tout à coup, au moment de la crise, on décide qu'ils sont trop critiques envers Israël et donc on suspend. C'est aberrant, c'est vraiment une décision politiquement orientée, mais qui n'est pas fondée sur un travail de respect des droits de l'Homme et de promotion de la femme comme ils le font à Gaza ."

On a compris à l’interne qu’il y avait la volonté de faire un exemple

Source proche du dossier

Cet ancien cadre du DFAE exprime tout haut un malaise que plusieurs employés actuels nous ont dit partager. "On a compris à l’interne qu’il y avait la volonté de faire un exemple", nous a confié une source proche du dossier. Le rôle d’un institut proche de la droite israélienne, NGO Monitor, est également dénoncé. "Cet institut accuse d’antisémitisme et de soutien du terrorisme toute ONG qui se permet de critiquer Israël", affirme Mario Carrera. Le lobbying intense et les listes noires de NGO Monitor auraient influencé les décisions prises à Berne.

>> Pour aller plus loin, lire : Les soupçons du DFAE sur onze ONG israéliennes et palestiniennes en grande partie infondés

Chef de la communication du DFAE, Nicolas Bideau réfute toute approche partisane: "Il ne s’agit pas d’une décision politique, il ne s’agit pas d’être pour Israël ou pour la Palestine, il s’agit de se poser la question de savoir si l'on accepte une apologie de la violence. La réponse est non. La coopération suisse attend de ses partenaires des positions raisonnables".

Mais alors quelles fautes graves ont commis les trois ONG avec qui la Suisse ne veut plus collaborer? Jusqu’ici, le DFAE s’est refusé à communiquer des informations sur les preuves réunies pour sévir contre ces trois ONG. A part celle de Gaza, il s’agit de PNGO, basée à Ramallah dont le contrat a été rompu (la RTS n’a pas obtenu de réaction de sa part) et du think tank palestinien Al-Shabaka, basé aux Etats-Unis. Cette dernière ONG a tenu à nous préciser que le non renouvellement de son contrat avait de toute manière été décidé pour des raisons budgétaires avant le 7 octobre.

Apologie de la violence dénoncée

Après plusieurs demandes de la RTS et l’ouverture d’une procédure d’accès aux documents ayant servis de base à la décision au nom de la loi sur la transparence, le DFAE a accepté de donner un seul exemple de dérapage, sans ni le sourcer ni indiquer à quelle ONG il se réfère exactement. Il s’agit de la citation suivante: "Le Hamas a compris qu’Israël ne communique, ne comprend et ne réagit qu’au langage de la violence".

Selon Nicolas Bideau, "c’est une apologie de la violence". Ce genre de déclarations a conduit à rompre la collaboration, car "l’argent du contribuable ne peut pas soutenir de telles organisations", ajoute Nicolas Bideau. On en saura peut-être un peu plus lors de la prochaine session des Chambres fédérales, qui s'ouvre lundi. Le conseiller national Nicolas Walder indique qu’il va déposer une question pour pousser le DFAE à donner davantage d’informations. Amnesty International a également appelé la Suisse à faire preuve de transparence.

Une critique des deux camps

Dans le cas précis du Centre palestinien pour les droits de l’Homme, il n’est donc pas possible pour l’heure de juger sur pièces. Pour sa part, Raji Sourani réfute faire l’apologie du Hamas et revendique d’avoir toujours dénoncé les abus de toutes les parties, ce que confirme Mario Carera qui l'a vu agir sur le terrain: "Je suis allé parfois avec lui voir des gens du Hamas dans les ministères à Gaza. Il était très respecté, il dictait ses conditions en se référant au droit international et pas du tout en référence au Coran".

L’avocat gazaoui est bien sûr aussi connu pour sa ligne dure et critique envers Israël. Avec deux autres ONG, il est d’ailleurs à l’origine d’une plainte devant la Cour pénale internationale dénonçant de possibles "crimes de génocide" et des "crimes de guerre" de la part de l’appareil politique, militaire et administratif israélien. Cet activisme a-t-il pesé dans la balance pour mettre fin au soutien de la Suisse?

Raji Sourani se pose lui-même la question. Il dit vouloir demander des explications supplémentaires à Berne. A sa connaissance, seule la Suède a aussi décidé de couper son soutien, mais dans le cadre d’un gel général de la coopération dans les territoires palestiniens occupés.

>> Les précisions du 19h30 :

Le DFAE lève une partie du voile sur ses griefs envers 3 ONG palestiniennes. Le directeur de l'une d'elles tombe des nues.
Le DFAE lève une partie du voile sur ses griefs envers 3 ONG palestiniennes. Le directeur de l'une d'elles tombe des nues. / 19h30 / 1 min. / le 1 décembre 2023

Ludovic Rocchi, Pôle enquête, RTS

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