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L'armée au pouvoir en Birmanie ébranlée par l'offensive des rebelles

Des membres d'un groupe de forces armées ethniques, l'une des trois milices de l’Alliance de la fraternité, vérifient un véhicule blindé de l'armée que le groupe aurait saisi dans l'État de Shan, en Birmanie, le 24 novembre 2023. [Keystone - The Kokang online media via AP]
Des membres d'un groupe de forces armées ethniques, l'une des trois milices de l’Alliance de la fraternité, vérifient un véhicule blindé de l'armée que le groupe aurait saisi dans l'État de Shan, en Birmanie, le 24 novembre 2023. - [Keystone - The Kokang online media via AP]
En Birmanie, où la junte militaire est en difficulté sur plusieurs fronts, des affrontements impliquant l'armée ont éclaté vendredi dans le sud-est du pays. La junte au pouvoir est aux prises avec une offensive sans précédent depuis fin octobre.

Des combattants de l'Union nationale karen (KNU), issus d'une minorité ethnique, ont affronté l'armée birmane vendredi à l'aube dans la ville de Kawkareik, située sur l'Asia Highway, qui relie Rangoun, plus grande ville du pays, à la frontière thaïlandaise.

L'Asia Highway, qui mène à la ville frontalière de Myawaddy, a été régulièrement bloquée au cours de décennies de combats entre l'armée et la KNU. Myawaddy est le deuxième point de passage le plus important en termes de volume pour le commerce transfrontalier, selon le ministère birman du Commerce.

Le pays d'Asie du Sud-Est est en proie à un violent conflit civil depuis le coup d'Etat de février 2021 qui a délogé du pouvoir la dirigeante civile Aung San Suu Kyi, comme l'attestent les données de l'Institut international d'études stratégiques. Basé à Londres, l'IISS a cartographié des milliers d'événements violents depuis la prise du pouvoir par la junte.

>> Lire à ce sujet : Coup d'Etat en Birmanie, Aung San Suu Kyi arrêtée par l'armée et Un an après le coup d'Etat, la Birmanie s'enlise dans un long conflit

- L'OFFENSIVE DU 27 OCTOBRE -

Des combats d'une ampleur bien plus importante ont éclaté le 27 octobre dans le nord de l'Etat Shan, près de la frontière avec la Chine, après une attaque lancée par une union formée par l'Armée de libération nationale Taaung (TNLA), l'Armée d'Arakan (AA) et l'Alliance démocratique nationale du Myanmar (MNDAA).

Cette offensive représente pour les généraux au pouvoir une menace militaire d'une ampleur inédite depuis le coup d'Etat de 2021.

Sous le nom de code "Opération 1027", cette offensive a permis à ce qu'on nomme l'Alliance de la fraternité (Brotherhood Alliance) de s'emparer de dizaines de positions militaires et de plusieurs routes, ainsi que notamment la ville frontalière de Chinshwehaw, stratégique pour les échanges avec la Chine, le principal partenaire commercial de la Birmanie.

Dans la foulée, l'AA a lancé de nouvelles attaques contre l'armée dans l'Etat de Rakhine (ouest), tandis que les combattants anti-junte dans l'Etat de Kayah, à la frontière thaïlandaise, affrontent l'armée près de la capitale de l'Etat, Loikaw.

Cyril Payen, grand reporter pour France 24, indique qu'environ 40% du territoire serait désormais contrôlé par ces groupes d'opposition. Les récents combats à travers le pays ont déjà fait quelque 200 victimes civiles, dont des enfants, et forcé environ 335'000 personnes à fuir, selon l'ONU.

Les régions frontalières de la Birmanie sont le théâtre depuis plusieurs décennies d'affrontements entre l'armée et des groupes ethniques pour le contrôle des richesses naturelles et des ressources liées à des trafics allant de la drogue aux casinos en passant par les arnaques en ligne, sur fond de revendications d'autonomie politique.

Certains mouvements ethniques ont également contribué à entraîner et équiper les groupes armés composés d'opposants politiques (les Forces de défense du peuple, ou PDF), qui ont essaimé dans le pays après le coup d'Etat de 2021 contre Aung San Suu Kyi et la répression qui a suivi.

>> Lire à ce sujet : En Birmanie, des groupes ethniques résistent face à la junte

La Birmanie compte plus d'une douzaine de groupes armés de minorités ethniques, dont beaucoup contrôlent des territoires dans les régions frontalières du pays et luttent contre l'armée régulière depuis l'indépendance du pays en 1948.

- LE POIDS ÉCONOMIQUE DE LA CHINE -

L'offensive du 27 octobre a visé une zone importante économiquement. Dans la région, explique le South China Morning Post, "les milices fidèles à la junte au pouvoir contrôlent les principaux postes commerciaux par lesquels des centaines de millions de dollars de marchandises passent en Chine chaque année, ainsi que la constellation de casinos utilisés pour blanchir l’argent de la drogue et les réseaux d’escroquerie en ligne".

Plus d'un tiers des 5,32 milliards de dollars d'échanges de la Birmanie avec les pays voisins ont transité par les postes frontaliers de Chinshwehaw et de Muse, entre avril et début novembre cette année, selon le ministère du Commerce.

La fermeture des principales routes commerciales terrestres vers la Chine - allié et fournisseur d'armes majeur - est un "affront embarrassant" pour l'armée, note Richard Horsey, analyste de l'ONG International Crisis Group.

- AVANTAGE A L'ARMÉE SUR LE PAPIER -

L'armée, connue sous le nom de Tatmadaw, reste bien plus importante et mieux entraînée que les forces de la résistance et dispose de blindés, de forces aériennes et même de moyens navals pour combattre les milices légèrement armées organisées par divers groupes ethniques minoritaires.

On estime à environ 80'000 le nombre de soldats enrôlés dans des groupes ethniques, contre 400'000 dans les rangs de la Tatmadaw.

Mais avec des pertes aussi rapides qu'inattendues et des forces surchargées, le moral des troupes s'effondre et de plus en plus d'entre elles se rendent ou font défection, ce qui suscite un optimisme prudent chez les divers opposants.

"Je dirais que la révolution a atteint le niveau suivant", a déclaré Nay Phone Latt, porte-parole du gouvernement d'unité nationale, la principale organisation d'opposition.

>> Lire aussi : "En Birmanie, la société a évolué à vitesse grand V, pas l'armée"

Caryl Bussy avec les agences

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Une mosaïque ethnique

Composée de 135 ethnies, la Birmanie est une véritable mosaïque. Le pays de 53 millions d’habitants (2021) regroupe en une fédération, l'Union de Myanmar, l'ancienne colonie anglaise de Birmanie et sept États "périphériques" peuplés de minorités.

Les Birmans représenteraient 65 à 75% de la population mais n'occuperaient qu'environ 53% du territoire de 678'000 km2. Ils se concentrent dans la partie centrale du pays.

Cette région comprend notamment Rangoun, la plus grande ville du pays (4 millions d'habitants), ainsi que la capitale Naypyidaw et Mandalay.

Les autres minorités, les Rakhines, les Môns, les Karens, les Shans, les Kachins, les Chins, sont réparties en périphérie ou dans les montagnes.

La minorité la plus nombreuse, les Shans, environ 9% de la population, vivent à l’est. Au sud-est, on trouve les Karens (7%).